La Chronique Agora

Abracadabra… et l’euro survivra !

▪ Une petite réunion de crise et hop, envolés tous les problèmes de refinancement des Etats ne respectant par les critères de Maastricht et les directives du sommet de Lisbonne !

La solution semble si efficace et répondre si pertinemment à tous les problèmes que l’on se demande bien pourquoi on n’y avait pas songé plus tôt, lorsqu’un arrosoir pour jardinet d’intérieur aurait suffit à éteindre le début d’incendie qui commençait à roussir une extrémité de la dette grecque… au lieu d’attendre de devoir sortir la lance haute pression spéciale brasiers industriels.

La création d’un fonds de stabilisation de la Zone euro (750 milliards d’euros d’aide aux pays actuellement sur la sellette) était déjà dans les tuyaux dès le 7 mai. Des chiffres allant de 600 à 800 milliards d’euros circulaient comme autant de rumeurs accréditant un scénario de faillite imminente des « PIGS » en cas de désaccord ce week-end.

Si les sommes évoquées donnent le tournis, nos sherpas de Bruxelles et de la BCE nous assurent qu’il ne s’agit pas de créer un euro supplémentaire. Ils disent vrai… si le fonds n’est pas mobilisé dans les prochains jours ou les prochaines semaines !

En attendant, la BCE — qui, comme elle le réaffirme, ne cède jamais à la moindre pression — a commencé à ramasser des emprunts grecs que Moody’s menaçait de ravaler à son tour au rang de junk bond ce lundi dans l’indifférence générale.

Attention, il ne s’agit en aucun cas de monétisation de la dette grecque. C’est juste une mesure de soutien technique destinée à accompagner une injection massive de liquidités dans le système monétaire de l’Eurozone.

Nous attirons votre attention sur le fait que dans le sillage de la Grèce, des évolutions économiques très déplaisantes pourraient survenir chez ses voisins, comme la Bulgarie, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine… Et pour tous ces pays qui s’enfoncent dans la récession, aucun plan d’aide n’est prévu : c’est comme si le danger de contagion régional n’existait pas !

▪ Au fait, le saviez-vous ? L’Angleterre avait menacé dimanche de s’opposer au plan de stabilisation mais s’était ravisée puisque l’euro ne la concerne pas. A partir du moment où Bruxelles ne demande pas à Londres de soutenir Dublin, tout va bien.

Nous n’allons pas non plus vous embêter avec des questions stupides comme la provenance des fonds qui serviraient le cas échéant à renflouer l’Espagne ou l’Italie… La quote-part de la France s’élèverait à près de 88 milliards d’euros, celle de l’Allemagne à près de 120 milliards, ce à quoi il faudrait rajouter les mesures en faveur d’Athènes.

▪ Mais après tout, la Grèce — contrairement à Lehman lâché par Washington — n’a pas officiellement fait faillite. Attendons de voir si la pression retombe durablement. Le principal écran à surveiller pour s’en assurer sera celui du Forex. Après une chute historique de 8% en une semaine, l’euro a entamé son rebond. Pour les vendeurs à découvert, il y avait un sacré paquet de plus-values latentes à matérialiser compte tenu des masses de capitaux en jeu et des effets de levier sur les dérivés monétaires…

La monnaie unique a-t-elle vraiment retrouvé la faveur des cambistes ? La réponse était affirmative lundi matin en Asie, avec un dollar rechutant de 2% vers 1,3095/euro. L’impression était un peu plus mitigée lundi soir : le billet vert retrouvait une nouvelle vigueur et repassait le cap des 1,28/euro (à 1,2780).

L’effritement de l’euro en cours de journée n’a pas freiné l’ardeur des investisseurs. Les indices européens n’ont cessé de gagner du terrain jusqu’au coup de cloche final, l’Euro-Stoxx 50 s’envolant de 10,35%, la seconde plus forte hausse de l’histoire après les 11% du 13 octobre 2008.

A Paris, la séance s’est également achevée par la seconde plus forte hausse du CAC 40 sur les 20 dernières années (après l’envolée de 10,1% du 24 novembre 2008). L’indice a clôturé au plus haut du jour, à 3 720 points, sous l’effet d’une ultime vague de rachats de découvert (ou d’achats d’anticipation pour les plus optimistes)… un niveau proche du plus bas du 1er mars après l’ouverture d’un gap entre 3 710 et 3 724 points.

Les volumes d’échanges se situeraient au-delà des 13 milliards d’euros, égalant ou dépassant ceux observés le 19 septembre 2008. Un tel scénario s’apparente bel et bien à celui observé au lendemain de l’annonce, le 18 septembre 2008, de la création du fonds de secours au secteur bancaire baptisé TARP (d’un montant de 750 milliards de dollars).

▪ Il n’a pas échappé aux commentateurs anglo-saxons que le plan de soutien aux pays de la Zone euro par les responsables de l’UEM s’apparente à un « super-TARP » de 1 000 milliards de dollars. Mais si le TARP avait permis de nationaliser Citigroup… comment devrait-on baptiser le renflouement d’un Etat qui n’a aucun actif matériel à céder à ses bailleurs de fond ?

Un retour sur le film des séances qui ont suivi la faillite de Lehman s’avère éclairant. Wall Street avait plongé de 7% en trois séances sur la nouvelle (-5% sur le CAC 40)… et c’est exactement ce qui a été perdu la semaine dernière par le Dow ou le S&P : curieuse coïncidence… Les indices paneuropéens avaient ensuite repris 9% d’un coup — autant que de terrain perdu par Wall Street vers 20h45 le jeudi 6 mai — des gains qui furent hélas intégralement effacés à l’entame du mois d’octobre.

Et tout comme en 2008, « faire courir » les dernier vendeurs pendant 48 heures ne résout pas les problèmes de fond : Wall Street a gagné 4,5% d’entrée de jeu mais rien de plus au final lundi soir. Le vrai krach de l’automne 2008 ne s’était enclenché que lorsque les marchés avaient réalisé que de la mauvaise dette serait remplacée par encore plus de dette… et de vagues promesses de retour de réduction des déficits si la croissance permettait d’accroître mécaniquement les recettes fiscales (sans lever de nouvelles taxes ni augmenter les impôts naturellement).

Alors que les pays européens vont annoncer des mesures de rigueur visant au retour à un équilibre budgétaire à l’horizon 2013 ou 2014… à quel genre d’effort les Etats-Unis comptent-ils s’engager pour rassurer leurs créanciers ? Mais l’Amérique présente l’avantage de se faire oublier grâce aux déboires de la Grèce (et la Bulgarie ou la Serbie sont dans une impasse encore plus redoutable).

▪ Un diagnostic politique de l’Europe ne permet pas de se rassurer sur sa capacité à redonner confiance aux marchés !

Mme Merkel vient de perdre les élections dans le Land le plus emblématique d’Allemagne (Rhénanie du Nord-Westphalie) pour cause de soutien trop ostensible à la Grèce.

L’Angleterre n’a plus de Premier ministre et toujours pas de coalition pour la diriger… La Belgique n’a plus de gouvernement… Et pire que tout, Mme Merkel n’a plus de majorité au Bundesrat : autrement dit, le Parlement pourrait refuser d’honorer les engagements de la chancelière (« de l’argent perdu », estiment 56% des Allemands).

Autrement dit, même si Bruxelles se voit autorisé à lever 750 milliards d’euros, plus de 50% de la population du Vieux Continent n’a plus de gouvernement. C’est un vide politique sans précédent.

Les spéculateurs ne pourront manquer de l’exploiter dès que commenceront à ressurgir les premières interrogations sur la croissance des pays qui viennent de passer ce week-end en mode austérité.

C’est un vocable qui ne s’applique pas à la France, le président nous en assure… Sauf qu’avec des dépenses gelées pour trois ans et la suppression programmée de la prime de rentrée scolaire dès cet automne, nous avons du mal à nous convaincre que tout va continuer comme avant…

… Comme avant le « désastre évité de justesse », selon Mme Lagarde… mais tout est rentré dans l’ordre en quelques heures : même les marchés font semblant d’y croire (juste semblant) !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile