La Chronique Agora

A quoi mesure-t-on la réussite ?

** Nous sommes en Allemagne pour fêter le 50ème anniversaire d’un ami. C’est le "Warren Buffett de Bonn", déclare la presse locale.

* La fête a commencé le matin par un toast au champagne… et s’est terminée en fin d’après-midi par une croisière sur le Rhin. Tandis que nous naviguions sur le fleuve, une pensée nous a frappé : a quel point Warren Buffett a-t-il réussi, en fin de compte ? Nous y revenons dans quelques lignes.

* En revenant d’Argentine, nous avons ouvert les journaux. Nous nous sommes connecté sur internet. Nous avons regardé ce qui s’était passé dans le monde de la finance.

* Pas grand’chose.

* Les actions ont rebondi. Le dollar a chuté. L’or a grimpé.

* Selon les analystes, tout cela est causé par une probable baisse des taux cette semaine.

* Que pouvons-nous dire de plus ? La Fed va-t-elle baisser ses taux ? Le dollar va-t-il chuter plus encore ? L’or atteindra-t-il les 800 $ ? Les 900 $ ? Plus encore ?

* La réponse à toutes ces questions est "oui, bien entendu".

* C’est le timing qui reste incertain.

* Tous ces commentaires négatifs au sujet du dollar nous rendent nerveux. Oui, le billet vert chute. Mais les choses fonctionnent rarement aussi proprement qu’on l’attend. Il est difficile de croire que les spéculateurs n’ont pas déjà compris la chute du dollar. Il est difficile de croire qu’ils ne l’ont pas anticipée. Dan Denning se posait d’ailleurs le même genre de question au sujet du pétrole.

* La plupart des gens, cependant, achètent du dollar… ils ne le vendent pas. Ils détiennent des actifs libellés en dollars parce qu’ils pensent que ces actifs peuvent leur rapporter un rendement positif et sûr. Parce qu’ils gagnent des dollars. Ou parce qu’ils dépensent des dollars. De nombreux spéculateurs empruntent des yens ou des francs suisses, échangent l’argent contre des dollars, et achètent des actifs libellés en dollars. Si le dollar chute, ils perdent de l’argent. Mais ils sont convaincus que ce dernier va remonter. En fait, une étude de Bloomberg démontre que la moyenne des prévisions voit le dollar remonter bientôt à 1,40 $ par euro, plutôt que les 1,43 $ actuels.

* Comment peuvent-ils rester si optimistes ? Les actions US sont en hausse cette année… mais elles font toujours partie des pires performances de la planète. Le dollar a chuté de 8% par rapport à ses principaux partenaires commerciaux. Et voilà que les étrangers harcèlent les Etats-Unis sur leurs problèmes de subprime… et sur le fait qu’ils sont une menace pour l’économie mondiale toute entière.

* Il y a toujours des surprises. Il serait surprenant, pour beaucoup, de voir le dollar se remettre. Mais il serait peut-être encore plus surprenant de le voir s’effondrer. Parmi les prévisions que nous avons lues, toutes ou presque voient un lent déclin de la devise américaine… menant à des exportations vigoureuses des Etats-Unis vers le reste du monde. Et si la grande surprise était de voir le dollar chuter tout à coup à 1,50 $ par euro… et le prix de l’or dépasser soudain les 1 000 $ ?

* Nous ne sommes pas en train de le prédire, cher lecteur. Nous avons déjà essayé à maintes reprises de voir l’avenir, sans jamais y parvenir. Nous nous contentons donc de prendre ce qui vient, comme tout le monde.

* Mais ce serait un beau choc !

** Voici une question-piège, cher lecteur :

* Qui a le mieux réussi, Bill Gates ou Warren Buffett ?

* Réponse : tout dépend de ce qu’on appelle réussite…

* Nous avons eu une idée, la semaine dernière : la vie imite la recherche. En d’autres termes, au fil du temps, les gens commencent à agir suivant ce que des universitaires fêlés pensent qu’ils doivent agir.

* Au Moyen-Age, les gens avaient des idées bien différentes sur le sens de la vie. Nous n’en savons pas long sur le sujet, mais nous imaginons que l’argent jouait un rôle bien moins important. Les gens s’inquiétaient de mourir. Et d’aller au Paradis. Ils étaient obsédés par la nature de Dieu… et passaient leur temps à discuter du "nombre d’anges pouvant danser sur une tête d’épingle". Evidemment, ils devaient bien penser à l’argent qu’ils avaient… mais on ne voit pas beaucoup d’auteurs de cette période s’en préoccuper.

* Entrez dans une librairie aujourd’hui, et vous trouverez tout un rayon de livres consacrés au nombre de dollars que vous pouvez gagner en investissant ici ou là… comment améliorer votre entreprise en appliquant ci ou ça… comment être meilleur en affaires, en sport ou quasiment partout en faisant ci ou ça.

* Dans toutes ces opérations, deux choses sont suprêmement importantes : utiliser votre temps "efficacement"… et mesurer les résultats.

* Plus personne ne s’inquiète de savoir combien d’anges peuvent danser sur une tête d’épingle parce que ce n’est pas efficace — à quoi bon ? Et ce n’est pas mesurable. Il n’y a aucun moyen de le tester. Dans le monde actuel, les gens font des choses qui ont des résultats mesurables. S’il n’y a pas moyen de dire si vous faites des progrès… ou si vous utilisez efficacement votre temps… ou si vous gagnez plus d’argent… oubliez ça ! Tout ce qui compte, c’est tout ce qu’on peut compter. La vie elle-même est devenue numérique. Combien pesez-vous ? Quel est votre taux de cholestérol ? Combien de rendement, votre portefeuille ? A combien avez-vous vendu votre maison ?

* En d’autres termes, les gens agissent comme le disent les économistes ; il deviennent les personnes que les chercheurs disent qu’ils doivent être — des "optimisateurs de profits" parfaitement rationnels.

* Donc si on vous demande qui a le mieux réussi, Buffett ou Gates, vous tendrez à regarder directement le résultat de l’addition — en tant que résultat mesurable — c’est-à-dire la quantité d’argent que chacun a gagnée. C’est quasiment le seul succès que les gens peuvent comprendre aujourd’hui.

* Pourtant, il y a bon nombre d’autres manières d’envisager le succès… et bon nombre d’autres choses pour lesquelles les chiffres ne comptent pas…

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