La Chronique Agora

A 122 $ le baril, la consommation risque un vrai coup de pompe

** S’il vous arrive de vous demander si les seuils psychologiques ont les importants effets qu’on leur prête parfois sur le comportement des investisseurs, il ne fait guère de doute que l’indifférence de Wall Street à l’égard d’un baril de pétrole qui pulvérise la barre des 120 $ (il cotait entre 122 $ et 123 $ mardi soir) apporte une réponse en forme de démenti… qui nous laisse cependant perplexe.

Compte tenu du fait que les réservoirs des véhicules de tourisme contiennent entre 15 gallons pour une « compact » et 30 gallons pour un gros 4×4… et sachant que le propriétaire d’un véhicule unique lui servant à rejoindre son lieu de travail puis sa résidence secondaire le week-end fait en moyenne un plein par semaine (et ne parlons pas des commerciaux)… le budget carburant est au minimum de 250 $ par mois. Il dépasse allègrement les 500 $ pour une grosse cylindrée qui réclame ses 15 litres au 100 km — c’est un plancher pour un pick-up d’entrée de gamme.

Nous savons que beaucoup de nos lecteurs pourraient se laisser tenter par un circuit en camping-car aux Etats-Unis cet été, compte tenu de la faiblesse du dollar. Sachez qu’un « combi » de confort minimum (pesant autour de 2,5 tonnes) consomme 20 litres au cent, tandis qu’un camping-car avec remorque détachable — très pratique malgré ses huit mètres de long et ses trois tonnes au minimum — consomme 25 à 30 litres : comptez un plein tous les 400 km si vous prenez les descentes en roue libre… mais vous parcourez à peine plus de 300 kilomètres en terrain accidenté.

Le style de conduite, les embouteillages, l’usage immodéré de la climatisation peuvent ensuite alourdir la facture de 20%… De quoi y réfléchir à deux fois avant de programmer un circuit de 3 000 km dans le Grand ouest (du Grand Canyon à San Francisco en passant par Las Vegas) : le voyage risque de ne pas s’avérer aussi économique que prévu !

En effet, si le dollar a effectivement perdu 15% par rapport à l’été dernier, le coût des carburants a explosé de 30% en un an. Le gallon de sans plomb valait en effet entre 2,70 et 2,90 $ en juillet 2007 selon les états, le prix variant en fonction de certaines taxes locales.

Si nous nous livrons à de tels calculs, c’est que l’actualité du jour le justifie pleinement : le baril de pétrole a pulvérisé hier la barre des 120 $, pour établir un nouveau record absolu à 122,5 $… et qui sait s’il n’aura pas franchi le cap des 125 $ quand vous lirez ces lignes.

** A la question de savoir s’il faut vous en inquiéter, l’observation des indices boursiers va vous permettre de vous tranquilliser à ce sujet ! Prenez le marché parisien : il alignait hier une seconde séance de consolidation sans réelle intensité (-0,44%).

Les volumes d’échanges se sont certes étoffés à 4,9 milliards d’euros… mais comment aurait-il pu en être autrement au lendemain de la séance la plus creuse de l’année, avec 2,7 milliards d’euros traités sur les 40 poids lourds de la cote parisienne.

La volatilité a pris une petite revanche et s’est avérée deux fois plus forte que lundi : les pertes du CAC 40 ont atteint près de -1% à une heure de la clôture, avant de se réduire à 0,3% vers 17h.

La chute de l’indice PMI des services au mois d’avril dans l’Hexagone — 4,5 points perdus, à 52,8 contre 57,3 en mars, son plus mauvais score depuis août 2003 — a été largement ignorée. La flambée du pétrole, avec le franchissement de la barre des 121 $ vers 16h30 puis des 122 $ peu avant 17h30, n’a pas empêché les indices boursiers européens de réduire de moitié leurs pertes au cours de la dernière heure de cotations (l’Eurotop 100 est remonté, passant de -1,3% vers -0,53%).

** La tendance semble donc avoir été essentiellement influencée par les évolutions quasi-surréalistes du numéro un mondial des prêts hypothécaires, Fannie Mae. Victime d’un plongeon initial de 7% (pertes abyssales, réduction du dividende puis augmentation de capital de six milliards de dollars) le titre récupérait le terrain perdu en à peine une heure… et s’offrait même le luxe de gagner 6% à la mi-séance. Cela a permis au S&P 500 de confirmer le débordement des 1 400 points, et au Dow Jones de refranchir les 13 000 points.

Il n’en fallait pas davantage pour faire oublier la flambée du pétrole et la faiblesse de l’activité dans le secteur tertiaire en France.

Le sursaut inattendu de Fannie Mae mardi tempérait les craintes de rechute des marchés sous l’impact de la cascade d’effets collatéraux provoqués par la crise du subprime. Un frisson avait en effet parcouru le dos des investisseurs lundi matin lorsqu’ils avaient appris que la plus grande banque helvétique — UBS — avait enregistré baisse significative des dépôts de la clientèle particulière, ce qui provoquait une chute des revenus de la branche « banque de détail ». Le titre a dévissé de 4,5%, faisant chuter Zurich de 1,5% — mais le cap des -2% avait été allègrement franchi à la baisse en milieu d’après-midi.

** Parmi les principaux motifs de satisfaction, le dollar a résisté de façon inespérée à l’envol du pétrole au-delà des 122 $. Après un test des 1,56/euro, il revenait au contact des 1,5550/euro (score identique à la veille), puis progressait encore en direction des 1,5525 alors que le baril tutoyait les 123 $.

Si cette bienheureuse décorrélation se confirmait, cela pourrait permettre au CAC 40 de retenter l’aventure en direction des 5 220/5 260 points… mais nous doutons que cela puisse être le cas bien longtemps : les investisseurs ne pourront pas éternellement balayer du revers de la main les effets de la flambée des carburants sur le pouvoir d’achat des ménages et la croissance. La consommation va être victime d’un sérieux coup de… pompe !

Et seuls les chèques en bois distribués par le Trésor US à chaque contribuable américain ces dernières semaines (l’équivalent d’un mois de carburant) permet d’entretenir l’illusion qu’une récession « profonde, pénible et durable » — selon les propres termes employés par Warren Buffett — pourra être évitée.

Philippe Béchade,
Paris

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