La Chronique Agora

2020, boule de cristal et rétroviseur

Les foyers de crise se multiplient – et les élites sont incapables de résoudre le problème puisqu’elles sont le problème.

« La prédiction est un exercice très compliqué, spécialement quand elle concerne le futur. »

– Niels Bohr

Vous avez bien sûr remarqué que je fais très peu de prévisions. Lorsqu’il arrive que des lecteurs ou interlocuteurs m’en demandent, je leur réponds que l’avenir ne se devine pas, il se construit. A l’intérieur du déterminisme, il existe des fenêtres pour l’intervention de la volonté des hommes.

Ce fut le cas en 2008 où, face à la crise financière, on aurait pu choisir une autre voie si les rapports des forces sociales avaient été différents. On aurait pu… mais cela ne s’est pas produit parce les ultra-riches avaient le pouvoir de décision, parce que les partis populaires et les syndicats n’avaient rien compris et parce que les médias avaient déjà trahi puisqu’ils appartenaient aux ultra-riches.

Pour prédire l’avenir, rien ne vaut le présent

En fait le déterminisme prévaut ; si on prétend avoir une utilité sociale, il vaut mieux se consacrer à analyser et mettre à jour le présent. Bien souvent ce qui va se passer est déjà écrit dans le présent : il suffit de le mettre au grand jour.

Tout au plus dis-je de temps à autre que la prévision est impossible, certes – mais l’intelligence, la culture, l’Histoire nous donnent la possibilité de voir ce qui se passe aujourd’hui avec les yeux de demain.

Appliquer la méthode scientifique et faire des prédictions en sciences sociales est clairement difficile car le sujet étudié est l’être humain.

La méthode scientifique est pleine d’embûches : erreurs humaines ; données inadéquates ; hypothèses irréalistes ; conclusions incohérentes ; pressions politiques et idéologiques fortes.

Il ne faut pas sous-estimer les forces de dissimulation des idéologies et du mensonge : elles sont centrales. Toutes les statistiques sont fausses ou biaisées – et c’est ce qui explique que beaucoup de prévisions logiques se trouvent sans cesse reportées dans le futur : l’homme est un gogo !

Tout était écrit

Je peux faire des prédictions avec un certain degré de certitude ; c’est pour cela que j’attire votre attention sur mon éditorial fleuve de janvier 2011. Il permet de montrer que tout était écrit dès lors que l’on a choisi la fuite en avant.

Les calendriers sont toujours aléatoires, mais la logique dialectique de l’enchaînement des faits est inévitable. On ne peut y déroger, même si les modes d’apparitions sont travestis ou truqués.

Ainsi l’apparition du populisme et le regain de tensions mondiales tout comme la dislocation sociale étaient écrits – et je les avais prévus. J’ai même prévu que nos certitudes théoriques allaient être mises à mal et que nous changerions de théories en matière économique, politique et sociale.

Les élites ont retourné le fascisme : elles en font un instrument de culpabilisation des peuples, elles inversent le processus des années 30. Elles en ont tiré la leçon.

Nos régimes sont illibéraux, de plus en plus autoritaires et surveillants – et ils prétendent que nous refusons le libéralisme voire la démocratie ! Les élites s’enrichissent de façon éhontée sur notre dos et elles prétendent que nous vivons au-dessus de nos moyens.

Sous le mode de production capitaliste, il y aura toujours, plus ou moins régulièrement, des crises – ralentissement des investissements et de la production, hausse du chômage, excès spéculatifs – qui ne peuvent être évitées.

Nous pouvons affirmer que la rentabilité du capital diminuera avec le temps à mesure que le capitalisme étend ses forces productives et que le capital s’accumule. Surtout si la politique monétaire est laxiste au point d’entretenir les entreprises zombies, le capital parasite et fictif et la rentisation des économies.

Nous savons tout cela, mais ce n’est pas la même chose que de faire des prévisions.

Ce que nous ne pouvons pas prévoir

Nous ne pouvons pas prévoir quand ou dans quelle mesure le taux de profit baissera. Nous ne pouvons deviner la variation de la production ou de l’investissement susceptible d’intervenir au cours d’une année.

Tout cela résulte d’événements aléatoires qui influent sur les calendriers mais pas sur le sens de l’Histoire.

La politique unilatérale, impérialiste de Donald Trump est une réalité connue, mais elle ne permet pas de prévoir son activité sur Twitter – qui est plutôt produite par ses émotions personnelles.

Ayant constaté la nature des remèdes apportés à la fin de la Grande récession de 2009, j’ai fait une prédiction : les élites sont incapables de traiter et résoudre les problèmes, parce qu’elles sont elles-mêmes le problème.

Leur existence, l’ordre social qu’elle défendent, leur interdisent de voir les solutions. Un ordre économique est inséré inextricablement dans un ordre social et le tout est empaqueté dans une idéologie, dans une vision du monde qui masque le fonctionnement du réel. Ceci est particulièrement net pour un Emmanuel Macron qui ne cesse de projeter sa vision du monde à tout bout de champ.

La vraie capacité des élites

On ne peut pas être dans la rue et se voir passer à la fenêtre – eh bien, ici c’est la même chose. Seuls les immatures, les enfants du « en même temps », les transgenres de l’intelligence considèrent que c’est possible. Ils considèrent que tout est possible, y compris être en même temps dans la rue et à la fenêtre.

Non, la véritable capacité des élites est plutôt de repousser quasiment à l’infini l’inéluctable car elle disposent de la planche à billets élastique, celle qui fait prendre les vessies pour des lanternes – grâce au nominalisme, au pouvoir des signes, à la magie des fétiches.

La disposition de la planche à billets digitale permet de tout dire en même temps… tout en repoussant les contradictions, les antagonismes et les constats d’impossibles dans le futur.

Et les élites peuvent le faire parce les citoyens n’ont pas les moyens de s’y opposer ; les peuples sont naïfs, gogos, mal guidés. Seule la force effective, concrète des forces antagoniques viendra précipiter un jour ou l’autre le Big Reset.

Nous ne sortirons plus de cet inflationnisme exponentiel, de ce « toujours plus ». Nous allons continuer d’aggraver les déséquilibres et nous allons faire en sorte que la prochaine crise soit bien plus grave, destructrice et terrifiante que les précédentes.

Nous avons ajouté que le pouvoir des autorités – ne l’oubliez jamais – est de repousser l’inéluctable ; la limite de cela, c’est le refus par les peuples d’accepter la fausse monnaie.

Il n’y a pas eu de nouvelle crise mondiale

Une crise, c’est une certitude qui s’effondre, un invariant qui devient variant, c’est une rupture. Ici, l’invariant, c’est le mythe de la monnaie qui est bonne, qui a un pouvoir d’achat garanti dans le temps, qui est un instrument de liberté – bref, le mythe est de considérer la monnaie avec les yeux d’hier et d’avant-hier alors que c’est une nouvelle monnaie, un jeton.

Finalement, il n’y a pas eu une nouvelle crise mondiale.

La théorie du cycle soutient qu’un nouveau creux et un effondrement de la production capitaliste sont nécessaires pour dévaluer le stock de capital existant avant qu’un nouveau cycle d’innovations basé sur une rentabilité croissante puisse commencer.

Il n’y a pas eu de destruction et il n’y a pas eu de rebond ; il y a eu croissance lente, croissance ralentie. On a pataugé, en marche vers la japonisation.

En 2018, on a frôlé la catastrophe ; les autorités monétaires ont accepté de perdre toute crédibilité pour tenter une nouvelle fois de prolonger les apparences de croissance.

Le ralentissement de la croissance des bénéfices et l’augmentation du coût de la dette des entreprises, la chute de 20% du marché boursier ainsi que tous les facteurs politico-économiques d’une guerre commerciale internationale entre la Chine et les Etats-Unis, suggéraient qu’en 2019, la probabilité d’un effondrement mondial allait être élevée.

En fait, il n’y a pas eu de récession dans les principales économies en 2019 ; en revanche, elles ont enregistré le taux de croissance le plus lent de toute année depuis la fin de la Grande récession.

En 2019, la croissance mondiale a enregistré son rythme le plus faible depuis la crise financière mondiale il y a dix ans.

Quels ont été les facteurs du ralentissement et quels sont les facteurs qui ont permis aux principales économies capitalistes d’éviter une récession majeure qui aurait dû se produire maintenant ?

C’est ce que nous examinerons dès demain.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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