La Chronique Agora

Pour 2014, quid des marchés actions et du tapering de la Fed ?

▪ C’est la fin de l’année ; tous les grands intermédiaires financiers de la place convient leurs clients et relations pour faire le bilan de l’année écoulée et brosser les grandes lignes de leurs stratégies 2014.

Ils font leur métier sérieusement. Les « slides » défilent, déroulant une logique haussière implacable : les économistes trouvent des concordances, font des rapprochements auxquels je n’aurais jamais pensé. Cela prouve que même en lisant la presse, les blogs, les essais de tel ou tel Prix Nobel, je passe toujours à côté de quelque chose, du petit indice qui aurait pu me mettre sur la bonne piste.

Donc chapeau et hommage au travail de recherche et de synthèse des courtiers qui me font l’honneur de me recevoir et qui me bluffent en parvenant à expliquer ce qui me paraît a priori inexplicable.

Mais je dois convenir qu’au fond de moi, je pressens que quelqu’un quelque part détient une réponse. Parce que si c’est arrivé, c’est qu’il existe une chaîne de causalité… et en bonne logique newtonienne, s’il y a eu réaction, c’est qu’initialement, il y a avait eu action.

Des actions, les banques centrales n’en ont pas été avares depuis 2009… mais des réactions dans la vraie économie des vrais gens, je peine à en distinguer.

▪ Qui possède encore des actions boursières aux Etats-Unis ?
En revanche, je constate que toutes les réactions mécanistes des marchés sont parfaitement bien cernées et jugées totalement naturelles… puisque le « plan de reflation des actifs a été conçu pour cela ».

La principale justification serait que 90% des ménages américains en activité ou à la retraite possèderaient des actions. Sauf que 40% des Américains n’ont aucune épargne devant eux — uniquement des dettes. Ils seraient d’ailleurs bien en peine de déterminer si les maigres pensions qui leur sont versées — quand ils en reçoivent — proviennent de la réalisation de dividendes (ou de la vente) d’actions ou de coupons obligataires (et s’il s’agit d’emprunts d’Etat, de dettes municipales ou d’émissions corporate).

En réalité, plus de 50% des épargnants ne possèdent pas ou si peu d’actions que leur variation n’influence pas d’avantage leur patrimoine qu’une hausse ou une baisse des carburants… Et encore là, chacun se rend compte de ce que cela lui coûte ou combien il économise.

Il y a bien sûr les 5% d’Américains qui détiennent un peu plus que la moyenne… et en fait 85% des valeurs mobilières existantes (titres obligataires, convertibles ou actions cotées ou non).

Si l’on exclut les 40% d’Américains qui ne possèdent rien qu’ils puissent négocier, les 51 millions qui possèdent une épargne retraite en actions (sous forme de 401k) en détiennent en moyenne pour 60 000 $… Mais une fois encore, il ne s’agit que d’une moyenne car 80% de ces 51 millions d' »actionnaires » possèdent moins de 20 000 $ en actions.

Si vous y rajoutez les portefeuilles détenus en direct en complément de l’épargne abondé par les entreprises, cela ne change pas grand’chose au fait que 100 millions d’Américains répertoriés comme actionnaires — de façon passive ou active — se partagent moins de 15% des actions en circulation.

▪ Alors qui s’enrichit lorsque les banques centrales « reflatent les actions » ?
Ceux qui ont perdu leur emploi et leur maison… ou ceux qui possèdent 10 résidences secondaires, une flotte de voitures de luxe, un jet privé et des oeuvres d’arts valant plusieurs dizaines de millions de dollars ?

Dans aucune des présentations auxquelles j’ai pu assister ces dernières semaines les stratèges ne se sont montrés très soucieux de l’incroyable inégalité de répartition de la richesse additionnelle engendrée par les quantitative easings. Le postulat est que les actions sont un tout (peu importe le profil de qui les détient et la possibilité de les négocier librement) et qu’elles constituent le reflet des anticipations du marché…

… Même si ce marché se résume à quelques milliers d’individus et à une poignée de « grandes maisons » qui gèrent l’essentiel de la fortune des 1% situés tout au sommet de la pyramide et qui possèdent à eux seuls 50% des actions.

En ce qui concerne le pronostic 2014, le seul mot que je n’ai jamais entendu prononcer en l’espace de cinq conférences est « consolidation ».

C’est logique, il n’y a en a pas eu une seule à Wall Street depuis six mois. A part Goldman Sachs (évoqué hier), personne n’envisage une possibilité de repli de 10% en 2014. En ce qui concerne le repli des émergents, il s’agit d’un arbitrage au profit de l’Europe et des Etats-Unis : les flux se sont déplacés mais il n’y a pas eu un dollar de désinvestissement.

On constate même un renforcement des positions en action et une poursuite de la décrue des emprunts d’Etat après la vague de dégagements assez brutale de fin mai à mi-juillet.

Avec le ralentissement extrêmement prudent des injections de liquidités que devrait orchestrer la Fed, le marché n’a aucune raison de se sentir traumatisé. Par ailleurs, il ne faut oublier que même si les rachats de la Fed diminuent, on se situera toujours dans un contexte d’expansion des liquidités.

▪ Quelle alternative ?
Ceci nous amène à parler du la troisième thématique totalement absente des discours des stratèges : l’existence d’un placement alternatif aux actions. A aucun moment, dans aucune réunion, il n’a été question de diversification (immobilier, matières premières, oeuvres d’art) ou de répartition des risques. La seule préoccupation demeure d’identifier quel secteur, quelle catégorie d’action va surperformer en 2014.

Le postulat est que l’appétit pour le risque l’emporte sur toute autre considération. On part du principe que l’économie réelle n’existe pas ou va continuer de servir de lointain référent… du type « nos ancêtres les Gaulois » pour les petits Africains fréquentant les écoles de la République.

En fait, il ne faut surtout pas qu’il se passe quelque chose dans l’économie réelle. L’équation idéale, c’est une croissance molle à inexistante (donc injection de liquidités) et la poursuite de l’illusion que l’euro peut survivre à ses contradictions internes.

On sous-entend que les peuples vont continuer d’accepter sans broncher la destruction de leur pouvoir d’achat (déflation salariale pour retrouver une hypothétique compétitivité), l’anéantissement d’un siècle de progrès social (au nom de la réduction des déficits) et l’absence de toute perspective pour leurs enfants (obligés de s’endetter sans limite pour qu’un diplôme de troisième cycle leur ouvre enfin les portes d’une entreprise).

Le tableau économique tel qu’il transparaissait ce jeudi semblait idéal : contradictoire à souhait !

Si les opérateurs s’en tiennent aux inscriptions hebdomadaires au chômage américain, ils n’ont à craindre aucun tapering imminent, avec un rebond inattendu de +68 000 à 368 000.

Les ventes au détail en revanche ont progressé plus que prévu : 0,7% alors que le consensus tablait sur 0,6%. Les prix à l’importation ressortent en hausse de 0,6%, à un rythme inchangé par rapport à octobre, soit la confirmation d’une absence persistante d’inflation.

Et avec des stocks des entreprises qui grimpent de 0,7% en octobre (contre 0,3% attendu), ce n’est pas le moment de réduire la liquidité… Tout va continuer à bien se passer.

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