▪ Nous avons fait le tour du monde la semaine dernière. Nous aimerions pouvoir dire que nous avons appris quelque chose. Mais les voyages modernes ont été standardisés… et la culture et la technologie ont été « mondialisées »… si bien que plus on voyage, moins on a l’impression d’être parti de chez soi.
« Comment était votre voyage autour du monde ? » a demandé notre assistante lorsque nous sommes revenu au bureau à Baltimore.
« Aucun problème. Rien de spécial », avons-nous répondu.
Comment un voyage autour du monde pourrait-il n’avoir « rien de spécial » ? Eh bien, les aéroports sont tous les mêmes. Les avions sont tous les mêmes. Les restaurants et les hôtels sont tous les mêmes — des chaînes internationales en général. Idem pour les boutiques… et les produits.
On peut voyager de l’autre côté du globe… et à part le fait qu’on ne se rappelle pas tout à fait où l’on est… ni l’heure qu’il est… on aurait aussi bien pu rester chez soi.
Mais revenons à domicile.
▪ Le bout du tunnel… ou pas
Nous avons appris la grande nouvelle lorsque nous avons pris un exemplaire de USA Today à l’aéroport de Los Angeles. « La lumière au bout du tunnel de la dette ? » demandait un gros titre.
Nous pensions connaître la réponse avant même de commencer à lire.
L’article nous donnait les résultats d’une étude de McKinsey Global Institute. En tant que pourcentage du PIB, les Etats-Unis ont réduit leur « dette privée et publique » de 16 points depuis 2008, disent-ils. Cela les met au même rang que la Corée du Sud dans la course à la réduction de dette.
Nous n’avions lu qu’un seul paragraphe lorsque nous avons commencé à soupçonner que ni le journaliste ni les chercheurs de McKinsey n’ont la moindre idée de ce qui se passe.
16 points de pourcentage, ce n’est pas trop mal. Mais si nos souvenirs sont bons, la dette totale des Etats-Unis était d’environ 325% du PIB. Supprimez 16 points… et on n’a qu’une réduction de 5%. De plus, la dette gouvernementale américaine a en fait augmenté sur cette période. Les autorités américaines sont le plus grand débiteur au monde. Et elles ont gonflé leur dette de 66% au cours des trois dernières années. Elle était de 9 000 milliards de dollars en 2008. Elle en est à 15 000 milliards de dollars actuellement ; une augmentation de 6 000 milliards de dollars.
Les repères donnés dans l’article de USA Today ne sont pas ceux que nous connaissons. Ils affirment que la dette totale des Etats-Unis était de 279% du PIB au deuxième trimestre de l’année dernière. Et ils disent que la dette financière a diminué de moins de 2 000 milliards de dollars, tandis que celle des ménages a baissé de 500 milliards. Hein ? Voilà qui ne fait pas 6 000 milliards de dollars.
Nous avons trouvé un meilleur article dans le Financial Times. Gillian Tett explique que si le secteur privé se désendette, le secteur public, lui, emprunte et dépense plus que jamais. Elle continue en remettant en question les conclusions de McKinsey sur « la lumière au bout du tunnel ».
Oui, le secteur privé se désendette — comme on pourrait s’y attendre. Ce sont en grande partie les dettes immobilières et hypothécaires qui sont éliminées, et elles sont supprimées principalement par le biais de défauts de paiement et des saisies. A ce rythme, raisonne McKinsey, les consommateurs américains « pourraient atteindre des niveaux de dette supportables d’ici deux ans ou plus ».
▪ Alléluia ! Une reprise en 2014 !
Mais attendez une minute. Les conclusions de McKinsey sont basées sur ce qu’ont vécu deux pays scandinaves, la Finlande et la Suède, dans les années 90. Tous deux avaient trop dépensé. Ils ont donc dû réduire leurs dépenses. Le secteur privé a subi un ralentissement, tandis que le secteur public prenait le relais. Une fois la dette du secteur privé suffisamment réduite, après quelques années, il a pu reprendre sa croissance… tandis que le gouvernement remboursait progressivement ses propres dettes. Tout est bien qui finit bien. Or les chercheurs de McKinsey affirment que « les Etats-Unis suivent aujourd’hui de très près ce chemin de réduction de dette ».
Nous ne sommes pas de cet avis. Nous pensons que les Etats-Unis sont dans une situation qui n’a rien à voir. La Finlande et la Suède ont réussi ce « sauvetage » parce que les conditions étaient complètement différentes.
Pour commencer, les deux pays ont des populations limitées, avec une grande cohésion sociale et politique.
Deuxièmement, ils ont pu reprendre le chemin de la croissance parce qu’un boom se déroulait quasiment partout ailleurs ; ils ont pu exporter jusqu’à retrouver la santé financière.
Troisièmement, ils n’avaient pas tant de dette que ça, au départ. Les Finlandais et les Suédois pouvaient ajouter de la dette sans dépasser le point de non-retour.
Ce n’est pas le cas des Etats-Unis… sur aucun de ces sujets. Les Etats-Unis ont trop de dettes. Ils n’ont pas de chemin plausible vers la reprise. Et les autorités ajoutent plus de dettes qu’elles ne peuvent en rembourser.
Vous pouvez faire le calcul vous-même, cher lecteur. Avec un ratio dette gouvernementale/PIB à 100% (et en hausse)… et le passage à un financement de court terme ces dernières années… les autorités sont extrêmement vulnérables à la moindre augmentation des taux d’intérêts. Un tableau dans l' »Histoire des taux d’intérêts » de Sylla et Homer suggère que les investisseurs veulent un taux de rendement réel, de la part des obligations gouvernementales, de 3% à 5%. C’est ce qu’ils ont obtenu, selon le graphique, depuis 1850.
Le taux d’inflation des prix à la consommation actuellement mesuré aux Etats-Unis est d’environ 2%. Ce qui suggère que les rendements nominaux des actions devraient être entre 5% et 7%. Mais à 5% d’intérêt, les autorités devraient verser environ 750 milliards de dollars d’intérêts tous les ans, c’est-à-dire entre un tiers et un quart de l’intégralité des recettes fiscales prévues. L’équivalent du budget de la défense, par exemple.
A 5% d’intérêt, les investisseurs obligataires se demanderaient sans doute comment les autorités US peuvent rester en activité. Très probablement, les rendements échapperaient rapidement à tout contrôle… forçant les autorités à imprimer plus d’argent pour couvrir les déficits. En quelques jours, toute l’affaire serait terminée.
C’est bien ce qui rend les autres nouvelles si intrigantes…
« Les rendements négatifs n’empêchent pas l’appétit des investisseurs pour les TIPS », dit un titre.
« Le taux de prêt à 30 américain atteint un nadir », déclare un autre.
Ce que les deux titres nous disent, c’est que soit nous nous trompons sur la manière dont le monde fonctionne… soit le monde ne fonctionne pas aussi bien qu’il le devrait. La deuxième explication nous convient mieux. Le secteur public s’endette de plus en plus. A mesure qu’il augmente ses encours, la qualité de la dette devrait baisser. De même que le prix. Ce n’est pas le cas : donc soit l’époque est complètement tordue… soit c’est nous qui le sommes.
Pour l’instant, plus les finances américaines sont faibles, plus les gens semblent vouloir leur prêter de l’argent.
Tout ça doit mal finir…