La Chronique Agora

2 + 2 = 5

** Leçon numéro 1 : 2 + 2 = 5. Vous avez compris ? Vous remarquerez que seuls les économistes hochent la tête.

– Cela fait un bon moment que les chiffes économiques ne sentent pas bon, cher lecteur. Mais ils dégagent désormais une puanteur à faire rougir un abattoir.

– Ces 10 derniers jours, l’indice Dow Jones a GAGNE près d’un point pour chaque millier d’emplois PERDUS aux Etats-Unis pendant le dernier mois. Le rebond s’appuie sur des chiffres complètement bidon.

– Le lecteur non économiste peut se demander, par exemple, comment le taux de chômage américain a pu passer de 9,5% à 9,4% alors que 247 000 travailleurs ont reçu leur lettre de licenciement (les lecteurs peuvent s’en référer à la leçon numéro 1 ci-dessus). Comment est-ce possible ? Comment se peut-il qu’un quart de million de personnes ait rejoint la longue file des demandeurs d’emploi et que, simultanément, le pourcentage de main-d’oeuvre sans emploi ait chuté ?

– La réponse est simple : la taille de la main-d’oeuvre a elle-même diminué… de 422 000 personnes. Près d’un demi-million d’Américains ont disparu de la liste des chômeurs et sont entrés dans la catégorie des "travailleurs découragés" ; ils ne cherchent plus de travail, mais restent quand même sans emploi. En réalité, le nombre de chômeurs de longue durée — ceux qui pointent au chômage depuis six mois ou plus — a augmenté de 584 000 en juillet pour atteindre les cinq millions.

– En d’autres termes, nous avons vu plus de personnes disparaître de la liste des chômeurs (simplement parce qu’ils ont cessé de chercher du travail) que de gens apparaître sur cette liste. Ce qui explique la baisse du taux de chômage. Tordu, vous ne trouvez pas ?

– Alors, pourquoi toutes ces réjouissances ? Bonne question. Une fois encore, tout ceci ne fait sens qu’une fois que vous avez bien compris l’idée principale de la leçon numéro 1.

** Le problème avec l’économie, c’est que les gens "futés" s’en sont emparés. Leur première erreur a été de considérer leur talent comme une science. A partir de là, il n’y avait qu’un pas pour passer de philosophe moral à charlatan en numérologie. Puis ils ont commis le pire crime possible : ils ont commencé à croire à leurs mathématiques impossibles et à leurs tableaux Excel bidon. Il n’y a pas besoin de chercher bien loin pour trouver des exemples de leurs théories imprudentes mises en place dans la société.

– Par exemple, qui d’autre qu’un crétin bercé d’illusions et se servant encore d’un boulier aurait pu concevoir quelque chose d’aussi idiot que le programme américain Cash for Clunkers ["Du cash contre votre tacot", ndlr.] ? L’idée sous-tendant le dernier projet du gouvernement américain pour gaspiller de l’argent consiste à donner des bons d’achat de plusieurs milliers de dollars à des gens qui conduisent des vieilles voitures pour les pousser à acheter de nouveaux véhicules.

– Les partisans affirment que cela va donner le coup de pouce nécessaire au secteur automobile américain en plein déclin. Les verts seront contents de voir des voitures plus récentes et donc moins polluantes sur la route, disent-ils, et les dépenses de consommation vont augmenter quand ces véhicules sortiront des lignes de production.

– Oublions un instant que le gouvernement américain n’a pas les trois milliards de dollars nécessaires pour financer ce programme, un problème pour le moins insurmontable pour ceux qui n’ont pas intégré la leçon numéro 1 ci-dessus. Oublions aussi que cela va maintenir en vie artificiellement les mourants d’un secteur qui a terriblement besoin d’un coup de machette de la part de l’économie de marché. Pensez plutôt à la myriade d’autres secteurs — ceux qui ne peuvent pas s’offrir les services de lobbyistes à Washington — qui auraient pu survivre si cet argent avait été mobilisé pour leurs biens et leurs services. Quand ils mourront, comme beaucoup vont mourir, ils pourront remercier l’Oncle Sam d’avoir détourné les dollars des consommateurs de leurs entreprises, pour les envoyer vers General Motors et Ford.

– Cela me rappelle un commentaire que m’a fait le barbier la semaine dernière à New York.

– "Vous voulez aussi que je vous rase, monsieur ?" m’a-t-il demandé après m’avoir coupé les cheveux. Déconcerté, je lui ai répondu que je m’étais rasé le matin même.

– "Je vois bien", a acquiescé le vieux monsieur. "Mais c’est la crise…on a besoin de travailler".

– Les Etats-Unis sont peut-être dans les premières phases d’une crise, mais ils ont besoin de l’intervention des économistes comme d’un rasoir sur la gorge.

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