La Chronique Agora

Nous aussi, plongeons dans la fosse à liquidités TARGET2 (2/2)

zone euro - sortie

TARGET2 est une baleine qui préoccupe les Allemands et mine le secteur bancaire européen. La nouvelle crise de la Zone euro trouvera peut-être ici son foyer.

TARGET2 est un système de règlement interbancaire dépourvu de mécanisme de règlement entre les différents Etats-membres, ce qui le rend plus fragile que ne l’est celui de la Réserve fédérale américaine.

Il n’y a donc rien d’étrange à ce que l’Allemagne s’inquiète à la vue du quasi-millier de milliards d’euros qu’elle a en créance sur certains de ses voisins…

Contrôler les mouvements de capitaux… et quitter la Zone euro ?

Pour Clemens Fuest, successeur de Hans-Werner Sinn à la tête du think tank Ifo Institut pour la Recherche Economique, si l’Italie ne joue pas le jeu de la Zone euro, la BCE se devra de prendre les choses en mains.

Comme le rapporte le Daily Telegraph, cet économiste a en effet « averti [au mois de mai] que la BCE devra couper les lignes de crédit TARGET2 accordées à la banque d’Italie dans le cadre de son système de paiement interne, ce qui pourrait accentuer gravement la crise. ‘Si l’Italie se met à violer les règles fiscales de la Zone euro, la BCE devra agir, même si elle ne le souhaite pas. Ce sera comme la crise grecque. L’Italie devra mettre en place des contrôles des capitaux et sera forcée de quitter la Zone euro’, a-t-il déclaré. ‘Ce serait un revers majeur mais je pense que l’euro pourrait survivre avec la France, l’Allemagne et l’Espagne. Ce serait cependant un euro différent’, a-t-il déclaré. »

Bref, vous l’avez compris, les pays du Sud de la Zone euro – et en particulier le gouvernement de Giuseppe Conte – ne comptent pas beaucoup de fans outre-Rhin.

Au mois de juin, dans une interview donnée à Die Welt (un autre des trois grands quotidiens allemands, lui aussi sur une ligne libérale-conservatrice), Hans-Werner Sinn proposait une solution encore plus radicale. Il s’agirait de faire en sorte que « la Bundesbank […] mette en place un contrôle des mouvements de capitaux pour limiter la croissance des balances TARGET2 », comme le rapporte Bruno Bertez.

« La fuite des capitaux vers l’Allemagne bat son plein »

Pour l’ancien professeur d’économie de l’Université de Munich, cela serait l’unique moyen pour que l’Allemagne puisse espérer revoir son argent.

« En fait la demande de Sinn n’est ni plus ni moins qu’une demande indirecte de sortie de l’euro pour l’Allemagne. Reste la question comment rembourser, avec quels moyens de paiements ? », résume Bertez.

L’Allemagne pourrait-elle quitter la zone euro ? Comme l’écrivait Simone Wapler le 25 mai, « l’Allemagne en connaît le prix : les créances qu’elle a dans TARGET2. TARGET2 comptabilise tous les impayés en souffrance entre les pays de la Zone euro. L’Italie doit 450 Mds€ aux entreprises allemandes. Ces créances seraient immédiatement dévaluées. Mais ce prix serait celui de la souveraineté retrouvée pour l’Allemagne et de ne pas endosser un passif qu’elle ne contrôle pas. »

Les Allemands, bons en tactique, nuls en stratégie

Si l’on adopte un point de vue historique, comme le fait le blogger Franck Boizard, on constate qu’« il y a des peuples qui se battent jusqu’à la victoire. Les Allemands, eux, se battent jusqu’à la défaite ».

Excellents en tactique et nuls en stratégie, continue le blogger :

« Les Allemands nous ont vendu leurs voitures puis, au lieu de remettre cet argent dans leur économie ou de nous le redonner, ils nous l’ont prêté pour qu’on continue à leur acheter des bagnoles. Aujourd’hui, ils sont assis sur un tas gigantesque de bons du trésor grecs, italiens et français qui ne vaudront bientôt plus rien, quand ces pays auront fait banqueroute.

[…] Mais le jour où les débiteurs récusent leurs dettes (et ce jour approche), qui est-ce qui se retrouve avec des bons du Trésor qui ne valent plus rien ? Adieu veaux, vaches, cochons, économies, retraites… Et après ? Ils envoient les panzers ? Ce jour-là, on se dira qu’ils auraient pu couler leurs BMW et leurs Mercedes dans le port de Hambourg, le résultat aurait été le même. Il n’y a rien de nouveau : depuis Colbert, on sait que le mercantilisme se termine en catastrophe. Seuls les Allemands et les énarques l’ignorent. Les Allemands se seront battus, une fois de plus, jusqu’à la défaite. » 

Si l’Italie quittait la Zone euro, cela désamorcerait-il la bombe à 1 Md€ sur laquelle est assise l’Allemagne ?

Il convient de tordre le cou à l’idée selon laquelle il serait impossible pour un pays de quitter la Zone euro.

Etrangement, si l’article 50 du traité sur l’Union européenne prévoit la possibilité pour un Etat de sortir volontairement de l’UE, aucune disposition ne concerne la sortie de la Zone euro.

Commençons cependant par rappeler, comme l’avait subtilement expliqué De Gaulle à Peyrefitte au sujet du Traité de Rome dans lequel rien n’était prévu pour qu’un de ses membres le quitte :

« C’est de la rigolade ! Vous avez déjà vu un grand pays s’engager à rester couillonné, sous prétexte qu’un traité n’a rien prévu pour le cas où il serait couillonné ? Non. Quand on est couillonné, on dit : ‘je suis couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp !’ Ce sont des histoires de juristes et de diplomates, tout ça. »

Ceci posé, il convient de souligner que dans une lettre adressée à deux députés européens italiens le 18 janvier 2017, Mario Draghi a impliqué dans les termes suivants qu’un pays peut quitter la Zone euro, mais qu’il lui faudrait d’abord régler[1] ses dettes TARGET2 :

« Si un pays devait quitter l’Eurosystème, les créances ou les engagements de sa banque centrale nationale vis-à-vis de la BCE devraient être réglés intégralement »

 

Deux remarques s’imposent.

Vous noterez tout d’abord que le président de la BCE a pris soin de s’abstenir d’évoquer dans quelle devise le règlement devrait être effectué…

On pourrait ensuite émettre deux objections au raisonnement de Mario Draghi. En effet, comme l’évoque Zero Hedge :

 « Si l’Italie devait quitter l’union monétaire et revenir à la lire, on dit que la Banque d’Italie serait obligée de régler immédiatement ses engagements vis-à-vis de la BCE. On se demande cependant comment cela pourrait se passer pratique et comment on pourrait l’y forcer. Aux dernières nouvelles, la BCE ne dispose pas d’une armée, elle ne peut donc pas menacer d’envahir l’Italie pour la piller en représailles.

 De plus, étant donné que cinq pays participant au système TARGET2 ne sont pas membres de l’union monétaire (Bulgarie, Croatie, Danemark, Pologne et Roumanie), pourquoi un pays qui quitte l’union monétaire ne pourrait-il pas rester membre du système de paiement ? Et, le cas échéant, pourquoi ce pays devrait-il régler ses passifs liés à TARGET2 ? »

 

 

Comme vous le voyez, dans l’hypothèse d’une sortie de l’Italie de la Zone euro, le gouvernement italien pourrait bien donner une leçon de realpolitik à son éminent compatriote de la BCE.

Mario Draghi cumulerait alors la figure du pompier pyromane et celle de l’arroseur arrosé, lui qui a autorisé l’achat d’obligations italiennes par la BCE, ce qui a permis au gouvernement italien de continuer de financer sa gabegie à des taux ridiculement bas.

Nous n’en sommes pas encore là, mais il est important d’avoir ces scénarios en tête pour tenter d’anticiper comment pourrait se dérouler la prochaine crise de la Zone euro.

 

[1] https://www.reuters.com/article/us-ecb-eurozone-idUSKBN1542KL

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