La Chronique Agora

Zappons pour une purge salutaire

** "Ce qu’il faut à présent, c’est que le pays se ressaisisse, et nous allons le reconstruire. […] Il faut absolument empêcher que trop de citoyens américains se retrouvent chassés de leur maison. […] Nous pouvons raisonnablement tabler sur une perspective de sortie de crise dès cette année et nous en ressortirons plus forts qu’avant. […] Les déficits américains ne peuvent se creuser indéfiniment". [C’est pourtant ce qu’ils sont appelés à faire au moins jusqu’en 2012, NDLR]

Selon un sondage commandé par le Washington Post/ABC News, 68% des Américains soutiennent l’action de Barack Obama — nombre des 32% restants doivent encore travailler à Wall Street. Nous sommes prêts à parier qu’ils sont au moins 86% à approuver les déclarations extraites du discours du président mardi soir qui servent de préambule à cette chronique.

Nous ajouterons pour faire bonne mesure que nous sommes tout comme lui contre les injustices, les escrocs en costumes à 6 000 $, le cancer, les accidents vasculaires cérébraux, les véhicules trop polluants, les embouteillages du dimanche soir, les lieux touristiques trop fréquentés, les lieux communs, les sapins de Noël recouverts de guirlandes mauves et les articles économiques à la guimauve.

A notre humble niveau de commentateur de l’actualité boursière, nous détestons par-dessus tous les mouvements de marché qui traduisent soit une complète schizophrénie des opérateurs, soit la preuve que l’étroitesse des volumes permet toutes les manipulations de cours — en profitant du premier terme de l’alternative.

Il est particulièrement inconfortable de se retrouver exposé à la critique — preuve à l’appui — qu’il nous est possible de démontrer à peu près tout et son contraire à 24 heures d’intervalle. Ou d’affirmer que toutes ces contradictions doivent bien avoir un sens alors que nous sommes convaincus que Wall Street change de thématique comme un amateur de séries policière zappe de chaîne en chaîne durant les écrans publicitaires… et ne s’arrête que le temps de changer les piles lorsqu’elles sont trop usées.

** Nous avions suggéré hier que l’épisode baissier étant achevé, le coupable —  un dénommé Marc Toumarquett — démasqué et le héros (Barack o’Bernanke) applaudi par ses fans, les marchés pourraient carrément se brancher sur un autre programme où c’est au tour du (sympathique) suspect de mystifier les enquêteurs.

Nous écrivions la phrase suivante : "nous sommes en effet convaincu que le gap des 2 668 points datant du 13 mars 2003 doit absolument être comblé pour que certains analystes techniques estiment qu’un ‘point d’appui’ historique a été trouvé". C’est exactement ce qui a failli se produire mardi vers 10 heures du matin lorsque le l’indice phare parisien a inscrit un plancher de… 2 669 points.

Partant du constat que notre objectif avait été atteint, certains spécialistes de l’analyse technique appartenant à la rédaction des Publications Agora — et dont les écrits vous sont familiers — ont volontiers reconnu que si la tendance de fond demeurait nettement baissière, le moment ne pouvait être plus mal choisi pour initier de nouvelles positions short à Wall Street.

Et comme pour confirmer un dénouement trop prévisible — fruit d’un consensus uniformément baissier –, les indices américains, exception faite du Dow Jones, ont effacé mardi soir la totalité des pertes accumulées lundi. Ils ont ainsi matérialisé ce que les chartistes appellent un "avalement haussier", le genre de scénario qui donne des sueurs froides aux vendeurs à découvert et des remords aux acheteurs restés sur la touche la veille.

** Le S&P matérialise ainsi à trois mois d’intervalle l’ébauche du parfait "W" haussier sur 741 points puis 742,35 points les 21 novembre 2008 et 23 février 2009. Il reste cependant à confirmer le sursaut de ce 24 février par le comblement du gap des 825 points, ce qui propulserait également l’indice au-dessus de la grande résistance baissière moyen terme partie des sommets de la fin août 2008.

Le Dow n’a repris "que" 3,35%. Mais avec un gain de 236 points (dans des volumes supérieurs à ceux de la veille) et un score final de 7 350 points, l’indice historique s’est significativement éloigné de ses plus bas quasi historiques — puisqu’il fallait remonter 12 ans en arrière pour le retrouver au contact des 7 100 points.

Tous les journaux et commentateurs, même "généralistes", n’ont pas manqué de souligner que les 30 industrielles avaient perdu très exactement la moitié de leur valeur en 17 mois — entre 14 200 points et 7 100 points d’après les contrats à terme.

L’administration Obama évite soigneusement d’évoquer l’hypothèse d’une nationalisation de groupes bancaires — même si en pratique, et avec bientôt 40% du capital, Citigroup (+21,5% à 2,6 $ ce mardi soir contre 1,6 $ au plus bas vendredi dernier) est bel et bien placé sous la tutelle de l’Etat pour une durée indéterminée.

Le Dow Jones a également bénéficié du rebond de General Motors (+25,4%) qui est sur le point d’aboutir à un accord avec les syndicats automobiles. Ont aussi rebondi Bank of America (+20,5%), American Express (+12,5%) ; le géant de l’acier Alcoa a repris 9% sur ses planchers — datant de 21 ans — établis la veille (les cours re-testés à cette occasion étaient si vieux qu’ils étaient tout couverts de rouille !).

Parmi les rares déconvenues du jour il n’était guère étonnant de retrouver AIG (-22,6% sur l’anticipation d’une perte record de 60 milliards de dollars) puis Target (-2,1%), le distributeur étant miné par l’impact de la crise économique sur les consommateurs.

** Wall Street a interprété favorablement l’intervention de Ben Bernanke, président de la banque centrale américaine, devant la Commission des finances du Congrès US. Il était venu s’expliquer au sujet des achats des créances long terme d’établissements de crédit en difficulté par la banque centrale en l’échange de bons du Trésor.

Selon le patron de la Fed, les probabilités d’une dégradation supplémentaire de l’activité économique aux Etats-Unis l’emportent sur celles d’une atténuation de la crise… mais il n’exclut pas que le creux de la vague puisse être atteint dès 2009, avant une lente reprise en 2010. Wall Street se fait à l’idée que la crise pourrait se prolonger encore trois ans (ce qui est déjà anticipé) avant un retour de la croissance vers ses niveaux médians long terme.

Les investisseurs ont encaissé sans broncher une nouvelle forte chute de la confiance des consommateurs américains. L’indice a inscrit un nouveau plancher historique en février à 25 contre 37,4 en janvier (le plus bas score depuis 1967).

Les prix de l’immobilier aux Etats-Unis ont reculé de 19,2% en rythme annuel au mois de janvier. Certains économistes commencent à estimer que les mesures de soutien du plan Obama pourraient éviter que les prix des maisons descendent beaucoup plus bas. Le recul atteint déjà 40% en 18 mois en Californie. Cette dernière est en quasi-faillite, et a commencé à licencier des fonctionnaires en attendant que les sommes du plan de relance soient débloquées ; le "gouvernator" Schwarzenegger a déjà fait savoir qu’il accepterait sans faire la fine bouche cette manne démocrate !

Nombre de ses collègues du parti républicain ont fait savoir qu’ils refuseraient cet argent : voilà enfin des politiciens honnêtes, il en existe encore Dieu merci ! Nous admirons ces élus qui vont au bout de leur logique : les Etats ont le droit, sinon le devoir de faire faillite comme un brasseur d’argent de type Lehman… et d’entraîner dans leur chute des dizaines de milliers de fonctionnaires — le pays en regorge, place à une purge salutaire…

Philippe Béchade,
Paris

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