Tout semblait se dérouler de façon optimale jusqu’au jeudi 28 avril pour les haussiers. La tradition des clôtures mensuelles au zénith pour les indices boursiers et au plus bas pour les vendeurs de volatilité (le cas de figure optimal) semblait devoir être respecté.
Cerise sur le gâteau : le pétrole se mettait de la partie, avec l’entame d’une ascension irrésistible en direction de la zone des 48 $ (résistance de début novembre 2015, sommet du canal baissier en vigueur depuis la mi-juin 2015).
Beaucoup de commentateurs commençaient à évoquer un retracement du seuil de résistance majeur des 50 $ de la mi-octobre 2015… Puis, soudain jeudi dernier, les indices boursiers ont cessé de bénéficier de leur arrimage au cours du baril.
Vendredi sont parus les mauvais chiffres de l’activité manufacturière dans la région de Chicago (en recul de 53,6 vers 50,4) et d’une consommation anémique (+0,1%). Wall Street aurait pu en profiter pour se rassurer complètement sur le report d’une hausse de taux au-delà du mois de juin, la Fed ayant suggéré lors de ses dernières analyses que ni la croissance ni l’inflation ne remplissaient les critères justifiant un nouveau tour de vis monétaire.
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La « mauvaise nouvelle » du PIB a semble-t-il fourni un prétexte aux vendeurs pour prendre le consensus haussier à contrepied. Cela aurait toutefois pu être tout l’inverse. En effet, le repli du dollar aurait dû soutenir les valeurs exportatrices tandis que le pétrole alignait, imperturbable, une quatrième séance de hausse consécutive sans manifester la moindre humeur face à la dégradation de la confiance des consommateurs américains.
Matières premières et marchés actions
Ce n’est qu’un exemple supplémentaire du peu de relation existant entre les fondamentaux économiques et l’évolution des actifs boursiers et des matières premières.
Des écarts positifs comme négatifs de 2,5 à 3% surgissent inopinément sur la base des mêmes statistiques, parfois à quelques séances d’intervalle |
Des écarts positifs comme négatifs de 2,5 à 3% surgissent inopinément sur la base des mêmes statistiques, parfois à quelques séances d’intervalle. Cela sans éveiller le soupçon que les scénarios les plus « inattendus » résultent de mouvements de marché parfaitement orchestrés afin de ramasser la mise quand trop de mains fragiles tentent de saisir à la volée une tendance qui les fuit comme une anguille.
Les commentateurs ne remettent jamais en cause l’absurdité des évolutions boursières, préférant de très loin se complaire dans le storytelling. Cela consiste par exemple à écrire des légendes bidon pour illustrer un graphique — un des procédés les plus fréquents consistant à invoquer le « moins pire que prévu » pour justifier une hausse, ou le fait accompli quand une bonne statistique débouche symétriquement sur un décrochage indiciel.
S’il s’agissait d’un documentaire animalier, ils n’hésiteraient pas à faire dire à la grenouille empalée sur le bec d’une cigogne « ça y est, je ne me contente plus de sauter : enfin je vole » !
Le fiasco boursier de vendredi n’avait évidemment quasiment rien à voir avec une consommation en panne aux Etats-Unis ; la révision en hausse des anticipations de croissance en Europe avait laissé les marchés tout aussi indifférents.
Le véritable déclencheur a été l’envolée contre-intuitive du yen (économie japonaise au point mort) et la chute symétrique du dollar sous le support 108, jusque vers 106,5.
Cette hausse du yen est bien le phénomène le plus improbable auquel on puisse s’attendre : l’activité manufacturière nippone s’est contractée à son rythme le plus marqué depuis plus de trois ans. L’indice PMI Markit/Nikkei est ainsi tombé à 48,2 en avril contre 49,1 en mars… et la production, revenue à 47,8 contre 49,8 a connu son ralentissement le plus sévère depuis avril 2014.
La fin du carry trade ?
La hausse de la devise nippone n’est à notre avis rien d’autre que cela : la manifestation d’un dégonflement des positions spéculatives reposant initialement sur l’emprunt puis la vente à découvert massive du yen depuis novembre 2012 — et dans une moindre mesure de l’euro depuis mars 2014.
C’est le contrecoup d’un système pervers où la liquidité reste surabondante, où le risque n’a plus de prix |
C’est le contrecoup d’un système pervers où la liquidité reste surabondante, où le risque n’a plus de prix, à tel point que le Japon est — apparemment — payé pour s’endetter malgré un déficit qui se monte à 280% du PIB.
Dans ces conditions, quel idiot pourrait vouloir acheter du yen en masse, au point de le faire rebondir de 15% depuis que la Banque du Japon a fait basculer son taux directeur en territoire négatif ?
La banque centrale japonaise, à la pointe de tout ce qui se fait de plus expérimental et de plus déjanté en matière de politique monétaire, semble désormais hésiter à poursuivre sa surenchère en matière de faux monnayage et d’euthanasie des rentiers.
L’échec des Abenomics est devenu tellement évident qu’il s’agit d’un avertissement sévère pour la BCE. Cette dernière s’était lancée dans une fuite en avant à la japonaise, faisant fi des avertissements et des récriminations allemandes.
De mauvaises langues prétendent que si la Bundesbank ne s’est pas opposée à la salve d’artillerie monétaire de la BCE du 10 mars — notamment l’expansion des TLTRO –, ce n’est pas par bonté d’âme face aux difficultés de l’Italie (confrontée à 360 milliards d’euros de créances douteuses)… mais parce que cela pourrait sauver la Deutsche Bank, confrontée à plus 50 000 milliards d’encours sur les marchés dérivés — dont une position de taille inconnue sur le carry trade yen/dollar (vente à découvert de yen pour acheter du dollar) qui devient chaque jour un foyer de pertes de plus en plus abyssal.
Si le carry trade yen/dollar se renverse, c’est peut-être la manifestation d’un phénomène de dégonflement des positions spéculatives sur toutes les classes d’actifs susceptibles d’être travaillées en levier (actions, dettes, ETF, matières premières).
Il pourrait ne s’agir là que d’une supposition parmi tant d’autres… si l’or n’était pas sur le point d’attaquer la barre des 1 300 $/once, tandis que le pétrole s’avance vers la résistance majeure des 48 $ évoquée en préambule, en dépit de tous les signaux de ralentissement économiques provenant du Japon, des Etats-Unis et de la Chine.
Notons au passage que la Chine, compte tenu du plongeon tendanciel de ses exportations, est le pays d’Asie qui a — de très loin — le plus intérêt à voir le yen grimper par rapport au dollar. Sans oublier que du point de vue d’un Chinois fortuné et bien informé de l’Himalaya de créances pourries qui menace de dévaler sur Pékin… n’importe quelle monnaie vaut mieux que le yuan, y compris un yen rémunéré à -0,1%.
D’une pierre deux coups : la hausse du yen n’a donc rien d’un casse-tête chinois !