Une nouvelle bulle internet ?
Il y a quelques jours, l’uranium atteignait les 90 $ la livre. Et le voilà soudain à 113 $. Rappelez-vous que mi-2003, il cotait encore 10 $ la livre ! Ça nous fait du +1 000 % ! Rien que depuis octobre dernier, le cours de l’uranium a doublé, gagnant 105%.
Alors forcément, des voix commencent à s’élever, parlant de spéculation et allant même jusqu’à comparer l’envolée du marché de l’uranium à la bulle internet que nous avons connue en 1999/2000.
Je le vois bien, vous vous posez des questions. Je vous sens dubitatif. Alors laissez-moi vous donner mon avis sur la question.
L’uranium n’est pas l’internet
L’internet à l’époque de la bulle, c’était, il faut bien le dire, en grande partie "du vent". Intangible, impalpable, totalement abstrait, difficile à cerner et imaginer. Les choses ont depuis beaucoup changé… heureusement !
C’est là l’une des grandes différences avec l’uranium. La matière première, quelle qu’elle soit, c’est du concret, du tangible. Quelque chose que vous utilisez au quotidien et dont vous ne pouvez pas vous passer. En l’occurrence ici : l’électricité.
Les matières dépendent de fondamentaux concrets : la demande, l’offre et les stocks. Des données factuelles, chiffrées, quantifiables. L’équation est simple et on y voit clair.
Bien sûr, là-dessus peut venir se greffer de la spéculation. Mais on peut la cerner et l’évaluer.
Revenons sur l’envolée de l’U308 (uranium)
Jusque vers 2005, nous avons assisté au début du rally, justifié par les fondamentaux. Puis sont arrivés les spéculateurs qui ont mis la demande sous pression. Et depuis octobre, le cours s’envole. En cause : deux mines dont la production attendue s’effondre.
Dame Nature nous tient !
Vous allez me dire que deux mines, cela ne peut pas être bien grave. Eh bien si !
Je vous rappelle que depuis des années, la demande d’uranium n’est satisfaite qu’à hauteur de 60% (et ce déficit de production a toutes les chances d’aller en s’empirant). L’offre est insuffisante, d’année en année, et on doit puiser dans les réserves stratégiques pour équilibrer le marché. Sauf qu’à force de puiser, les stocks fondent comme neige au soleil…
Inutile de vous dire que le marché est hyper tendu.
Alors, lorsque qu’une mine tant attendue comme Cigar Lake, qui doit enfin produire à partir de 2008, s’effondre sous des tonnes d’eau, vous comprendrez que le cours de l’uranium explose ! Cette mine qui était sur le point d’entrer en production devait représenter 12% de l’offre mondiale d’uranium. Enorme !
Elle est détruite. Produira-t-elle en 2010 ? Personne ne peut aujourd’hui le dire… Et voilà qu’il arrive la même histoire à la troisième plus grosse mine d’uranium du monde (Ranger Mine). Inondée ! Sous les eaux ! Certes, les dégâts sont moins graves, mais le déficit d’uranium va s’accroître et l’uranium s’envole une fois de plus, à 113 $ la livre.
Les fondamentaux au beau fixe
Je ne reviens pas là-dessus. Vous le savez déjà, le marché de l’uranium est structurellement déficitaire de 40% par rapport à la demande actuelle.
Or partout dans le monde, on construit des centrales nucléaires. Plus de 200 centrales en construction ou projet. Ce qui veut dire que le déficit d’offre actuel va s’empirer au fur et à mesure de la mise en route de ces nouvelles centrales. Car côté offre, il va falloir encore attendre quelques années avant de pouvoir franchement accroître le niveau de production. D’ici là, le prix de l’uranium a de beaux jours devant lui…
Une demande totalement inélastique au prix
Autre donnée très importante à avoir en tête : si le prix de l’uranium augmente, cela n’aura aucun impact sur la demande. Elle ne baissera pas.
Le prix de l’uranium dans le KWh produit par la centrale est pour ainsi dire… insignifiant. Il ne représente que 5% du coût de production. L’essentiel du coût d’une centrale résidant dans sa maintenance et dans sa politique de sécurité.
Ce qui veut dire que même si le prix flambait à 200 $ la livre, les centrales continueraient d’acheter l’uranium dont l’impact sur le prix de l’électricité reste faible. En clair, il reste de la marge pour de la hausse.
Le potentiel reste significatif
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, nous ne sommes à mon avis pas dans une bulle. Le prix reflète la réalité du marché et de ses fondamentaux. Et il peut encore grimper, toujours en phase avec l’évolution de ces mêmes fondamentaux, dans les mois à venir.
Ajoutez à cela la naissance prévue pour mai sur le NYMEX d’un contrat à terme sur l’uranium (le tout premier !) et vous pouvez alors avoir un cocktail détonnant.
C’est en effet une porte d’entrée à la spéculation sur ce marché, spéculation qui était pour l’instant très largement contenue, étant donné l’étroitesse du marché de l’uranium (jusqu’ici on ne pouvait le jouer qu’en misant sur les mines, souvent peu liquides).
Ma conclusion : pas de bulle pour l’instant. Il reste même du potentiel à la hausse sur le métal et de belles opportunités à saisir en terme de valeurs minières.