La lettre annuelle de Warren Buffett à ses actionnaires vient d’être publiée. C’est là sans doute l’une des lettres aux actionnaires les plus attendues de la sphère financière. Tout le monde veut savoir ce que pense l’Oracle. En outre, parce que Berkshire est une entreprise très vaste et qui touche un très grand nombre de secteurs — elle possède plus de 80 sociétés aujourd’hui — ses réflexions peuvent aider à comprendre la situation économique...
Cette lettre est la plus optimiste que l’on ait lue depuis longtemps — voire que l’on ait jamais lue. Buffett y écrit des phrases comme : « il y a une abondance d'[opportunités] en Amérique » et ses « meilleurs jours sont devant elle ».
Si l’on se penche sur ses entreprises, on comprend d’où vient cet optimiste. Iscar, qui fabrique des outils métalliques, a connu une hausse de 41% de son chiffre d’affaires en un an. TTI, un distributeur dans l’électronique, a vu ses ventes grimper de 45%. Burlington Northern, la compagnie de chemins de fer, affiche une hausse de 43% de ses bénéfices. Et ainsi de suite…
Obligé de choisir un indicateur pour juger de la santé économique, Buffett a dit que ce serait le fret ferroviaire. En 2010, le fret ferroviaire a augmenté de 7,3% par rapport à 2009, ce qui est la plus importante hausse en pourcentage depuis que des données sont disponibles (1988).
Il a également prédit la reprise du marché de l’immobilier d’ici un an. Quelques-unes de ses entreprises, comme le fabricant de tapis Shaw, sont encore bien en deçà de leur niveau d’il y a quelques années.
Nous y voilà donc. L’Oracle est optimiste.
▪ Au fil des ans, j’ai beaucoup appris de Warren Buffett. Etudier sa carrière est un passage obligé pour tout investisseur. Après tout, il est peut-être le plus grand investisseur de tous les temps. Mais je ne considère pas cette gaieté d’un bon oeil. J’en vois trop, partout. Peut-être Buffett aura-t-il raison lorsqu’on relira sa lettre d’ici quelques années. Mais sur le court terme, je vois beaucoup de choses qui me donnent à réfléchir.
Certains de ces points ne sont que des fragments épars mais si l’on y réfléchit… Le marché des introductions en Bourse se dirige tout droit vers un de ses plus beaux sursauts jamais vu, selon Dealogic. Jusqu’ici, 26 milliards de dollars ont été levés dans les nouvelles cotations. Et il y a une réserve de 48 milliards de dollars. Par conséquent, les initiés vendent pour l’essentiel des actions aux actionnaires publics qui, jusqu’ici, se sont jetés dessus comme une meute affamée.
Les initiés sont également en train de vendre des actions d’entreprises déjà publiques à un rythme effréné. Les ventes par les initiés ne sont pas un signal intéressant en soi, d’un point de vue des profits. En fait, les études ont montré à maintes occasions que les ventes des initiés ne sont pas un signe prédictif valable. Cela a une signification parce que les initiés peuvent vendre pour toutes sortes de raisons (ceci est différent des achats des initiés, qui est un signal intéressant à suivre en termes de profits). Nous avons eu un niveau très baissier de ventes d’initiés en novembre dernier, ce qui ne s’est matérialisé par aucune correction de marché. C’est bien troublant, néanmoins. Les ventes d’initiés surpassent les achats d’initiés par un ratio de presque 40-à-1. Mauvais. Si les choses étaient si roses, ce ratio aurait-il été si élevé ?
Et puis, il y a la hausse constante du prix des céréales et du pétrole. Les prix alimentaires élevés déstabilisent fortement les marchés émergents, où se trouvent un grand nombre de gens pauvres qui consacrent la majeure partie de leurs revenus à l’alimentation. Lorsque les prix de l’alimentation augmentent de 25% en Inde en quelques mois, cela a une énorme répercussion.
Tout ceci a de l’importance pour les investisseurs parce que jusqu’ici le marché a flotté sur une mer de gros bénéfices. Si l’on se penche sur ces bénéfices, on ne peut s’empêcher de remarquer le nombre d’entreprises qui rapportent d’excellents résultats grâce à l’explosion des affaires au Brésil, en Russie, en Chine, etc. Les marchés émergents ont permis d’amener les bénéfices. Par comparaison, les résultats des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon ont été beaucoup moins éclatants.
J’ai bien peur que la hausse des prix de la nourriture et des matières premières ne freine ces résultats dans les trimestres à venir. C’est dommage.
Selon moi, il serait donc bon d’être prudent en ce moment. En fait, Buffett donne un excellent conseil dans sa lettre, lorsqu’il commence à évoquer les effets de l’argent emprunté.
« Le principe fondamental de la course de voitures est que pour terminer premier, vous devez d’abord terminer », écrit-il. Utiliser beaucoup de dette rend cette fin incertaine. L’Oracle continue :
« Incontestablement, certaines personnes sont devenues très riches grâce à l’utilisation d’argent emprunté. Mais c’est aussi un moyen de devenir très pauvre. Lorsque l’effet de levier fonctionne, cela augmente vos bénéfices. Votre épouse croit que vous êtes plus intelligent et vos voisins vous envient. Mais l’effet de levier, c’est comme une drogue. Une fois qu’ils ont profité de ses merveilles, très peu de gens reviennent vers des pratiques plus conservatrices. Et comme nous l’avons tous appris à l’école primaire — et certains l’ont réappris en 2008 — toute série de chiffres positifs, quelque impressionnants qu’ils soient, s’évapore lorsqu’elle est multipliée par un seul zéro. L’histoire nous apprend qu’à trop utiliser l’effet de levier, même par des personnes très intelligentes, on obtient zéro ».
Naturellement, ces mathématiques s’appliquent à l’investissement boursier, c’est pourquoi il est important d’étudier la force financière et les bilans, comme nous le faisons. Peut-être n’avons-nous pas gagné autant d’argent que nous ne l’aurions fait ces deux dernières années si nous avions parié sur des entreprises plus spéculatives, moins habilement financées. Mais, sur le long terme, nous suivons un chemin plus sûr (et nous n’avons pas mal réussi dans l’état actuel des choses).
Buffett évoque également une lettre écrite par son grand-père à son fils en 1939 : « Ernest n’a jamais étudié dans une école de commerce — en fait, il n’a jamais terminé le lycée — mais il avait compris l’importance de la liquidité comme la condition pour une survie assurée ».
Le vieil Ernest a donné à son fils Fred un très bon conseil. Il écrit : « au bout de pas mal d’années, j’ai connu beaucoup de gens qui, à un moment ou un autre, ont souffert de diverses manières simplement parce qu’ils n’avaient pas de cash disponible… Par conséquent, je pense que chacun devrait avoir une réserve ».
Buffett affirme qu’habituellement Berkshire garde au moins 20 milliards de dollars à portée de main, « afin que nous puissions à la fois résister à des pertes sans précédent en cas de sinistre… et rapidement saisir les acquisitions ou opportunités d’investissement, même durant les périodes de troubles financiers ».
C’est une bonne façon de diriger une entreprise. C’est une bonne façon de gérer vos finances personnelles. Et c’est une bonne façon de gérer un portefeuille. Mon conseil est donc de garder une réserve de liquidités.
En tant qu’investisseur long terme, je partage en partie l’optimisme de Buffett. Lorsque je regarde autour de moi, je vois beaucoup de gens faisant de grandes choses qui pourraient créer une grande richesse cette année et les années à venir.
En même temps, je ne conseillerais jamais de vendre sur la simple intuition de la direction que prendra le marché. Chercher à atteindre des maximum et minimum est une perte de temps. Mais je sais pertinemment que trouver de bonnes affaires est de plus en plus difficile. Beaucoup de valorisations n’offrent plus possibilités. Gardez une réserve de cash : ainsi, vous serez prêt à tirer avantage de nouvelles opportunités lorsque viendra l’inévitable baisse du marché.
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