La Chronique Agora

Wall Street malade du remède tant espéré ?

** Nous maintenons contre vents et marées notre pronostic haussier depuis 10 jours — en fait depuis le test des 4 735/4 750 points survenu dès le 21 janvier… et nous continuons d’accumuler, doucement et au fil de l’eau, des positions acheteuses  au gré des opportunités qui se présentent depuis que le CAC 40 oscille entre 4 500 et 4 800 points. Nous avons simplement fait une pause vendredi dernier puis lundi.

Mais nous devons avouer que notre conviction de voir l’indice déborder les 4 950 points en direction des 5 100 puis des 5 260 commence à s’émousser. Nos premiers doutes ont commencé à émerger il y a une semaine, à la lecture de statistiques concernant le marché immobilier américain, que nous avons largement commenté depuis.

Ben Bernanke ne se montre pas plus rassuré que nous et il a décidé de sortir le grand jeu par deux fois en l’espace d’une semaine, réduisant le loyer de l’argent de 125 points de base de 4,25% à 3%. Tout cela dans le but de réduire le « stress considérable affectant les marchés financiers face à l’enlisement de la crise immobilière », sans parvenir à restaurer la confiance.

Wall Street — qui ne dispose d’aucune grille d’évaluation face à une stratégie d’assouplissement monétaire d’une agressivité sans précédent — reculait très sensiblement peu après l’annonce officielle de la Fed mercredi soir, mais qu’est-ce que cela cache ?

Les indices US prenaient d’ailleurs un bien mauvais départ jeudi, le Dow Jones cédant plus de 100 points dès les premiers échanges, précipitant les places européennes dans des abîmes de perplexité et les indices vers des planchers très proches de ceux testés les 21 et 28 janvier.

Cela s’est arrangé sur le tard, mais nous considérons qu’avec un recul de 2,5% de l’Euro Stoxx 50 (jusque sur les 3 700 points), les valeurs européennes ont fait une nouvelle démonstration de leur vulnérabilité. Nous pensons que du point de vue technique, nous sommes passés tout près d’un nouvel épisode de capitulation indiciel.

** Le malaise qui perdure depuis la mi-janvier n’est pas prêt de s’éteindre et nous y voyons deux raisons principales. La première concerne le divorce complet des politiques monétaires menées de part et d’autre de l’Atlantique. La Fed ayant réduit le loyer de l’argent à un niveau inférieur à celui de l’inflation, son prime rate se situe également 100 points en deçà de celui pratiqué par la BCE (taux « repo » maintenu à 4%), ce qui représente un écart considérable.

La seconde concerne les banques, qui n’ont pas fini de solder les avatars de la crise des subprimes et ne distillent des informations capitales au sujet des pertes — avérées ou encourues — que lorsqu’il devient impossible de les cacher aux cabinets charger d’auditer et de certifier les comptes.

Si un « trader fou », opérant sur un marché sans complication particulière, est parvenu à tromper une armée d’experts en informatique et de polytechniciens avec quelques ficelles informatiques et des « copié/collé » d’en-têtes d’e-mail… Imaginez alors ce qu’il est possible de monter comme écrans de fumée lorsqu’il s’agit de produits extrêmement complexes (CDO, ABS, CDS et autres options exotiques) par le biais de stratégies à terme (swaps, forwards), négociées de gré à gré (sans enregistrement officiel) avec des contreparties — anonymes en cas d’enquête — situées dans des paradis fiscaux pour optimiser l’effet de levier.

Pouvez-vous imaginer que de sur de telles « usines à gaz » (gorgées de produits volatils), les contrôles sont quasiment impossibles ? En effet, il s’agit d’engagements à terme quasi indétectables parce qu’ils ne génèrent pas d’appels de marges. Nous avons du mal à croire qu’une telle configuration n’ait pas favorisé des fraudes et des dissimulations qui portent sur des sommes considérables, à côté desquelles les 4,82 milliards d’euros perdus par la Société Générale feraient figure d’argent de poche…

Autrement dit, le malaise qui s’empare des investisseurs concerne l’efficacité même du remède prescrit par la Fed pour lutter contre la récession. Le point de non-retour n’a-t-il pas été franchi de longue date ?

La croissance mesurée à 4,9% au troisième trimestre 2007 serait, selon nous, le pur produit d’une véritable « fiction statistique ». C’est le résultat d’une série d’aberrations de la comptabilité nationale américaine qui réintègre avec retard des flux de capitaux transfrontaliers, des différés d’effets de re-stockage dans le secteur de l’énergie, etc.

Mais l’illusion de la croissance américaine bénéficiait encore d’une estampille officielle et Wall Street a fait semblant d’y croire jusqu’à fin octobre. Pour rappel, le S&P 500 a battu des records en pleine déconfiture immobilière, alors que le pétrole se remettait à flamber.

Et dire que la bourse tire l’une de ses plus grandes fiertés de sa capacité d’anticipation ! En ce qui concerne l’abaissement du loyer de l’argent, elle ne s’est pas trompée. La Fed a même été au-delà de ses rêves les plus fous : -225 points de base en moins de six mois. Mais au sujet de l’impact sur l’activité réelle, elle s’est apparemment complètement fourvoyée.

Et il nous revient en mémoire ce célèbre aphorisme de Kenneth Boulding, le président la défunte AEA (American Economic Association) dans les années 20 : « toute personne persuadée qu’une croissance exponentielle peut durer indéfiniment dans un monde fini est, soit le pensionnaire d’un asile de fous, soit un économiste ».

** Plus personne ne semble se faire d’illusion ; les indices boursiers avaient littéralement perdu pied ce jeudi dès 14h30 en découvrant les dernières statistiques publiées outre-Atlantique, lesquelles confortent les anticipations de récession aux Etats-Unis.

Le marché de l’emploi aux Etats-Unis s’est brusquement enfoncé du 20 au 26 janvier avec des demandes hebdomadaires d’indemnités chômage qui ont explosé de 69 000 à 375 000, la plus forte dégradation observée depuis septembre2005 et l’ouragan Katrina.

Les dépenses des ménages n’ont progressé que de 0,2% en décembre, durant la période des fêtes. Des chiffres qui rappellent que la croissance américaine a nettement ralenti au quatrième trimestre, avec une hausse de seulement 0,6% du PIB comme annoncé hier. Ce sont les plus mauvais chiffres depuis l’automne 2002.

Cette journée de vendredi sera placée sous le signe des statistiques de l’emploi aux Etats-Unis et il n’est pas illogique de penser que la connaissance anticipée de mauvais chiffres a pu inciter la Fed à réduire son taux directeur de 50 points de base supplémentaires mercredi soir. Il suffirait d’un rien pour relancer les spéculations sur un nouvel abaissement du prime rate à 2,5% d’ici le 18 mars prochain. Ceci risquerait cette fois-ci de précipiter le dollar sous le plancher des 1,4950/euro et les 105 yens, tandis que l’once d’or s’envolerait vers les 1 000 $.

Philippe Béchade,
Paris

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