Quels sont les points communs entre le film Un jour sans fin (la même journée banale qui recommence indéfiniment pour le malheureux journaliste qui couvre la « journée de la marmotte ») et l’évolution des indices boursiers entre le 11 et le 28 décembre puis entre le 3 et le 13 janvier ?
D’abord, ce qui se passe semble impossible (et pourtant, ce que nous vivons est bien réel). Ensuite, il s’agit bien de la répétition des mêmes séquences, tournées dans le même ordre, avec les mêmes personnages… Enfin, tout ceci est parfaitement scénarisé.
C’est sur ce troisième aspect que nous attirons votre attention : la scénarisation, le contrôle total qu’exerce le metteur en scène sur des acteurs dociles — qui ne voient aucune objection à rejouer 10 fois la même scène, puisque c’est du cinéma et qu’ils sont payés pour cela.
Sur les marchés, il semblerait qu’une majorité d’opérateurs se contentent de leur rôle de figurant : ils ont appris leur réplique par coeur, jurent de s’en tenir au scénario, rien qu’au scénario… et redoutent comme la peste toute circonstance requérant un minimum d’improvisation.
▪ La Corée du Nord à Wall Street ?
De nos jours, il n’y a plus guère que la Corée du Nord pour plier les chiffres économiques et la valeur des actifs aux décisions du Comité central.
Un marché complètement aux ordres de la Banque centrale, voilà un mode de fonctionnement qui devrait séduire les derniers dirigeants communistes de la planète. Fini la peur du lendemain et les valorisations aléatoires, les réactions hostiles à des décisions absurdes, les périodes douloureuses où les actifs corrigent l’inadéquation de leurs cours pour recoller à la réalité… le rêve, quoi !
Nous pensions cette utopie impossible, totalement contraire aux principes du capitalisme libéral débarrassé des pesanteurs étatiques et des entraves administratives… Et pourtant, nous venons d’atteindre le stade ultime de « l’indépendance » des marchés.
Il s’agit de l’indépendance par rapport à la conjoncture économique présente ou future (seul le trading intraday génère encore des volumes), et par rapport à sa vocation qui est de fixer une valeur qui soit la plus pertinente économiquement et la plus utile pour tous.
▪ La « camisole algorithmique » se resserre encore
Si vous espériez observer une toute petite variante dans le scénario qui nous est proposé depuis le 11 décembre, la séance du 16 janvier n’était pas pour vous !
Après une petite consolidation initiale vers 3 680 points, le CAC 40 a en effet aligné une dixième clôture s’inscrivant entre 3 695 et 3 730 points… et une onzième de plafonnement sous les 3 733 points. Encore une journée du même acabit et le record de 12 séances de stagnation dans une fourchette de 50 points, du 11 au 28 décembre, sera égalé.
Sauf qu’il n’est plus question d’invoquer aujourd’hui la Trêve des confiseurs. La « camisole algorithmique » est toujours en place ; l’écrasement de la volatilité semble devenu un impératif tellement obsessionnel que plus personne n’ose prendre le risque de modifier les réglages… de peur d’ouvrir la boîte de Pandore et de libérer une tendance et une volatilité imprévue que plus personne ne serait en mesure de maîtriser.
Nous devons admettre que la séance de mercredi ne justifiait pas que les indices boursiers choisissent leur camp pour les prochaines semaines ou les prochains mois.
Les optimistes pouvaient claironner que la Fed a vu juste : le secteur immobilier semble retrouver du tonus. Les professionnels en tout cas ont le moral au beau fixe ; l’indice NAHB (Association américaine des constructeurs immobiliers) confirme son zénith de novembre à 47. C’est là son meilleur niveau depuis le début de l’année 2006, qui avait vu les ventes de maisons atteindre un record historique.
Les pessimistes — dont nous avouons faire un peu partie en la circonstance — objectent que le montant des transactions reste sans commune mesure avec celui de fin 2013 : il demeure inférieur de 60% aux normes de l’époque. Quant au volume des crédits hypothécaires, il ne traduit pas une envolée comparable à celle du baromètre des agents immobiliers.
L’inflation a stagné à un très bas niveau en décembre aux Etats-Unis, les prix ne progressant que de 0,01% hors nourriture et énergie.
Les consommateurs ont bénéficié de la décrue temporaire des prix pétroliers en novembre puis début décembre mais c’est déjà du passé : le baril a repris 5% depuis.
La production industrielle est ressortie à +0,3% en décembre (+0,1% attendu) et à +1% sur 12 mois, soit un niveau inférieur de moitié au taux d’expansion du PIB américain l’an dernier.
▪ Statu quo sur les indices américains
Nous convenons bien volontiers que ces chiffres ne se prêtaient guère à l’émergence d’une impulsion directionnelle mais plutôt au renforcement du statu quo.
Ceux qui espéraient pouvoir consacrer cette journée au shopping sur la Cinquième Avenue ou à flâner dans Central Park sans surveiller nerveusement les cours sur leurs smartphones toutes les trois minutes ont été exaucés au-delà de leurs espérances.
Wall Street a battu un nouveau record en matière d’absence de volatilité avec moins de 0,25% de variation sur les trois principaux indices américains durant plus de six heures… Cela a précipité le VIX vers un plancher de 13,4 alors que ce dernier basculait sur l’échéance février.
Le S&P a grappillé 0,02% (à 1 472,63 points) et parvenait à inscrire un second record de clôture d’affilée tandis que le titre Apple (+4,15%) dopait à lui tout seul le Nasdaq (+0,23%) après l’avoir plombé la veille. Dell a symétriquement recédé -4,6% à 12,61$ après +7% mardi soir.
Oui, tout ceci est très encourageant à 24 heures de la séance des Trois sorcières. Les indices boursiers se préparent à finir janvier au zénith mais avec un gain de 2,3% par rapport au précédent changement d’échéance (le S&P passant de 1 440 à 1 472 points).
Magnifique scénario : les contrats à terme retracent leurs sommets de la mi-septembre 2012 mais toutes les options call ou put expirent sans valeur. Rappelons que le ratio était de 4 contre 1 en faveur des call, témoignant d’anticipations univoques — mais qui s’avèrent totalement stériles — à la hausse.
▪ Les financières sortent leur épingle du jeu
Un seul secteur aura tiré son épingle du jeu ces quatre dernières semaines. Il s’agit des valeurs financières dopées par l’enterrement de « Bâle III ». Nous savions que cette issue était inéluctable tant le lobby bancaire s’était démené depuis deux ans pour parvenir à ses fins… mais nous ne connaissions pas la date et avions estimé que ce scénario était largement pricé.
Ce en quoi nous avions tort parce qu’il y avait entre 5 à 8% à prendre depuis le 1er janvier — en faisant la moyenne entre Bank of America, J.P. Morgan et Citigroup.
Mais Wall Street n’avait d’yeux que pour Goldman Sachs hier après-midi. La banque d’affaires a dévoilé un bénéfice par action de 5,60$ au quatrième trimestre (contre 1,84$ un an plus tôt et 3,50$ attendus).
Les profits nets pour l’année 2012 s’élèvent à 7,48 milliards de dollars, soit 14,13$ par action, contre 4,5$ l’année précédente.
L’essentiel des gains provient des activités fusions/acquisitions, émissions obligataires et surtout des « opérations pour compte propre »… lesquelles semblent littéralement gagner à tous les coups.
Nous avons beaucoup de mal à croire que la firme va délibérément renoncer à cette activité si lucrative comme elle s’y est engagée en début d’année… A moins de prévoir que la stagnation de Wall Street depuis cinq semaines va se prolonger jusqu’à ce que la communauté financière ait péri d’ennui ou soit entrée en hibernation jusqu’en 2020.