▪ La célébration du deuxième anniversaire du marché haussier a failli être gâchée par de vilaines cassures de supports techniques, surveillés comme le lait sur le feu depuis le début du mois de mars… mais le suspense a été de courte durée !
Cela semblait assez mal parti en milieu d’après-midi. Cependant, un dernier coup de pouce volontariste au moment du fixing a permis au CAC 40 de refranchir le palier des 4 000 points — puis de clôturer comme par miracle au-dessus des 4 010 points (MM50), à un point seulement du plus haut du jour (4 016 points).
Oui, cela ressemble à un vrai miracle vu que le pétrole ne décroche pas des 105 $ tandis que les taux longs continuent de se tendre. Les opérateurs anticipent de nouvelles statistiques venant confirmer l’amélioration de la conjoncture économique, non seulement aux Etats-Unis mais également en Europe où la Bundesbank rehausse son objectif de croissance de 2% à 2,5%.
Mais voilà : il y a le monde réel dans lequel nous vivons… et le monde virtuel des algorithmes dans lequel baignent les indices boursiers, les devises et les matières premières. En milieu de séance, le CAC 40 est venu menacer très sérieusement le support des 3 980 points (3 965 au plus bas) alors que l’Euro-Stoxx 50 enfonçait les 2 920 points, inscrivant un plancher à 2 909.
Les mécanismes de défense des supports n’ont pas tardé à s’enclencher. Les places européennes terminent toutes au plus haut du jour. Cela s’est joué d’un rien pour le DAX, qui a gagné 0,02% ; Madrid a gagné 0,7%, Milan 0,95%.
▪ Il est assez fascinant de constater avec quelle facilité un simple prétexte haussier repris en boucle par les story tellers (les raconteurs de belles histoires qui font l’opinion) peut restaurer en quelques minutes une tendance haussière à Wall Street.
Le secteur bancaire a littéralement explosé à la hausse environ un quart d’heure après l’ouverture de Wall Street, jusqu’à afficher +2,5%. Cela grâce à l’hypothèse d’une hausse imminente du dividende de Bank of America, qui s’envolait de 4,5% à la mi-séance. BoA parie sur des bénéfices mirobolants au cours des quatre ou cinq prochaines années, comme si l’assouplissement quantitatif allait demeurer une manne éternelle… comme si l’inflation ne risquait pas de ressurgir.
Une meilleure rémunération des actionnaires de Bank of America (c’est-à-dire principalement les autres grandes banques du pays qui ne manqueront pas de lui renvoyer la politesse), c’est tout ce dont Wall Street avait besoin.
Il faut être idiot pour ne pas concevoir que cette initiative résout à la fois la guerre civile libyenne, la question de la bulle des matières premières ainsi que le problème du surendettement des Etats.
▪ Autant de sujets au demeurant plutôt mineurs, compte tenu du peu de terrain perdu par Wall Street depuis ses sommets historiques de la mi-février. Rien ne semble interdire de les re-tester d’ici la fameuse journée des « Quatre sorcières » du 18 mars prochain.
Après tout, les indices boursiers ne sont le reflet d’aucune réalité économique : ce ne sont que des scores fluctuant à la milliseconde au sein d’une sorte de flou quantique.
Le prix d’un actif — qui s’est déjà effacé avant que l’oeil humain n’ait pu décrypter la première décimale — n’est que le fruit de l’affrontement de machines de guerre algorithmiques. Le principal objet de ces dernières consiste à capter de minuscules écarts de cours et non à fixer une valeur qui constitue le reflet le plus fidèle des forces macro-économiques sous-jacentes.
Les traders qualifient le processus inexorablement haussier qui a pris naissance il y a très exactement deux ans jour pour jour (c’était le 9 mars 2009) de « marché de flux ».
Il s’agit effectivement de flux de capitaux surgissant de nulle part — sinon des presses de la Fed, au profit des seuls agents qui traitent directement avec elle. Ces flux sont immédiatement transformés en actifs tangibles… et non en investissements ayant une quelconque utilité sociale.
Le prétexte du soutien de l’emploi constitue l’alibi spécieux, mais récité comme un mantra, destiné à museler les détracteurs des stratégies monétaires non-conventionnelles.
▪ Il en résulte l’apparition d’une multitude de bulles qui détruisent la valeur des monnaies (surtout celle du dollar). Elles appauvrissent 98% des habitants de la planète et creusent les déficits des Etats dans des proportions sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale.
La fuite en avant pourrait encore s’accélérer d’ici l’été, parce que la Fed et Wall Street restent prisonniers de leur logique et de leur rêve éveillé : des taux demeurant éternellement bas… des dollars par centaines de milliards se déversant d’une corne d’abondance inépuisable… une inflation hors énergie figée pour 30 ans sous les 1% d’après le thermomètre en plâtre dénommé « PCE » (Personal Consumption Expenditures).
Cela fait en effet 30 ans que l’indice des prix reste sous l’éteignoir aux Etats-Unis. Et cela fait presque autant de temps que les salaires des classes moyennes ne progressent plus, sauf ceux des brasseurs d’argent de Wall Street.
Cela fait également 30 ans que les gérants et les stratèges sont accoutumés à considérer que les banques centrales ont la capacité d’abréger les cycles de contraction de l’activité économique sans qu’il en découle quelques fâcheuses conséquences.
Pourquoi une croissance de 24% par an de la masse monétaire américaine (c’est-à-dire autant que les dépenses du gouvernement) depuis trois ans poserait-elle problème ?
Notre réponse est la suivante : parce qu’après être tombé du haut de la falaise en 2008, le système financier américain — au lieu de consolider ses fractures et ses déchirures musculaires et ligamentaires — a été bourré à très haute dose d’un mélange de morphine et d’adrénaline baptisé « Quantitativising ».
Cela masque la douleur et permet au grand accidenté de clopiner en arborant un sourire presque détendu… Alors qu’en interne, les dégâts initiaux demeurent non seulement considérables mais probablement irréversibles. Une sorte de bouillie d’os, de muscles et de tendons qui est sobrement désignée sous le terme « hyper-endettement ».
C’est à tel point qu’en regardant le scanner des muni-bonds, Ben Bernanke n’a pu s’empêcher de s’écrier : c’est un « problème effrayant ». Ce à quoi Wall Street répond, en faisant sauter les bouchons de champagne de la deuxième année de marché haussier : « même pas peur » ! Un zombie n’aurait pas mieux dit !