La Chronique Agora

Il n’y a plus personne à Wall Street… sauf la Fed et son assouplissement quantitatif !

banques centrales

▪ Nous lisons parfois des petites phrases qui résument à elles seules ce que pourraient révéler des pages entières de graphiques et d’indicateurs techniques : « il n’y a plus personne dans ce marché ».

Dans la bouche d’un trader en prise directe avec le coeur du gigantesque casino électronique qu’est devenu Wall Street, cela a une signification très simple : en dehors des méga-robots d’une dizaine de grandes banques d’affaires et de hedge funds surpuissants (qui travaillent avec des leviers qui donnent le vertige), les « professionnels » sont complètement sur la touche.

Les gérants de fonds de retraite se laissent porter par la vague — c’est leur métier — mais n’investissent plus un dollar. Les particuliers pèsent moins de 2% des échanges quotidiens et ils comptent pour du beurre. Quant aux « suiveurs », ils jouent au golf pendant que leurs programmes répliquent aveuglément les indices ; cela fait bien longtemps qu’ils ont cessé de s’interroger sur les raisons de la hausse. Ils font comme tout le monde et ils couleront le cas échéant avec tout le monde… donc ils peuvent dormir tranquilles.

Pour en revenir à ce « il n’y a plus personne dans ce marché », cela se traduit également très concrètement par une diminution inexorable des volumes depuis des semaines. C’est totalement incompréhensible puisque 55 milliards de dollars ont été investis à Wall Street rien qu’au mois d’octobre. Même à activité stagnante, la hausse des cours devrait engendrer un gonflement mécanique des volumes.

Hot money et revirement surprise
L’explication, vous la connaissez à force de nous lire… mais elle passe au-dessus de la tête de nombreux professionnels qui s’expriment dans les médias : toute la fausse monnaie de la Fed se précipite sur des supports virtuels tels que les ETF et CFD, des produits dont l’argent fou peut ressortir en quelques clics.

C’est une image… car cette hot money est gérée par une ingénierie logicielle incroyablement complexe dont le domaine de prédilection est l’hyper-haute fréquence et l’automatisation à outrance.

Et ô surprise, le traditionnel « coup de pouce » algorithmique de fin de séance n’a pas eu lieu jeudi dernier. Le lendemain, la séance de vendredi, avec une clôture en hausse, a tout juste permis aux principaux indices de finir dans le vert sur la semaine, avec un score hebdomadaire de 0,29% pour le Dow Jones et 0,11% pour le S&P 500. Le Nasdaq, en revanche, a manqué la marche et termine avec -0,54% en hebdomadaire.

Le repli de Wall Street pourrait s’expliquer par de nombreuses raisons fondamentales, comme le surachat des actions alors que la hausse des profits en 2013 est marginale, ou le rebond du dollar (néfaste pour les exportatrices).

Mais il faut bien convenir que la fausse note de jeudi a été une surprise. Elle est apparue tout aussi décorrélée de l’actualité que la quasi-totalité des hausses de dernière minute auxquelles nous avons été habitués depuis plus de quatre mois de progression quasi-ininterrompue.

▪ Réjouissons-nous, la tendance est implacablement haussière
Nous sommes dans un système pervers où les bonnes nouvelles se transmutent en inputs négatifs pour Wall Street. Il ne fallait donc pas s’étonner du mauvais accueil réservé la semaine dernière à la publication d’un indice PMI de Chicago très nettement supérieur aux attentes : il bondit de 55,7 vers 65,9 au lieu d’un tassement vers 54,5 anticipé.

En ce qui concerne l’emploi en données hebdomadaires, le chômage américain aurait diminué de 10 000, à 340 000, la semaine dernière. Par ailleurs, la Californie se dit enfin en mesure de communiquer des chiffres qui reflètent la réalité alors que ce n’était plus le cas depuis un mois.

Le département du Travail américain estime toutefois que le shutdown devrait avoir nettement dégradé le taux de chômage au mois de d’octobre : il serait en hausse de 7,2% vers 7,5%. Cela réjouit Wall Street a contrario, toujours dans le cadre de raisonnements pervers, puisque cela ne peut qu’amener la Fed à différer tout projet de réduction de son programme de rachats d’actifs.

De l’avis général, la mécanique des flux devrait continuer d’entretenir une tendance implacablement haussière pendant encore de nombreux mois. Cela sauf si, comme le soulignent les stratèges du géant Blackrock, les profits des entreprises devaient stagner en 2014 au lieu de connaître l’envolée de 20% sur lequel Wall Street compte pour justifier les niveaux de valorisation actuels.

Dans ce cas, des expédients comme des rachats de titres massifs (pour générer une hausse totalement artificielle des dividendes) ne suffiraient plus à masquer la réalité que tout le monde reconnaît : seules les liquidités de la Fed expliquent la progression de 20% à 36% des indices américains (36% pour le Russell 2000 et le Dow Transport) cette année puisque les profits — à l’évidence — ne suivent pas.

Mais qui se soucie encore des profits, des PER, des free cash flows, du hors bilan des banques ? La seule référence c’est le prix, toujours le prix, rien que le prix.

Et le prix, lorsqu’il s’agit d’une pyramide de Ponzi, d’un Enron, d’un WorldCom, d’un Parmalat, d’un AIG… ce n’est qu’un artefact d’une chose qui ne vaut rien. Le prix, cela ne représente souvent qu’un savant mélange de vaniteuse incompétence, d’instruments de mesure volontairement déréglés, de manipulation des cours, de mauvaise foi et/ou d’aveuglement total.

Nous venons de résumer toute l’action de la Fed depuis le QE1 — le seul qui gardera aux yeux des historiens une justification ponctuelle. Les suivants n’ont été mis en oeuvre que pour dépouiller les acteurs de l’économie réelle au profit exclusif des 1% qui maîtrisent l’économie virtuelle.

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