La Chronique Agora

Wall Street enthousiaste, le marché obligataire… un peu moins

▪ Nous avions annoncé avant-hier que Wall Street, privé de sa dose quotidienne de LSD, avait brutalement repris contact avec la réalité macro-économique, les turbulences géopolitiques, l’inflation, la perte de crédibilité de Ben Bernanke aux yeux de nombreux élus du Congrès…

Cet état de fait ne pouvait durer plus de 24 heures. Le mot d’ordre ce jeudi fut : « double dose pour tout le monde ».

La moindre rumeur invérifiable, la moindre fausse bonne nouvelle a déclenché des effets psychédéliques. Un délire collectif haussier s’est emparé des marchés américains : ils tutoient de nouveau leur zénith annuel avec un baril qui a bondi de très exactement 15% en 10 jours, passant de 84,5 $ à 102 $.

▪ Des commentateurs parlent de signaux d’apaisement au Maghreb. Pourtant, l’incertitude la plus grande règne sur l’avenir géopolitique du vaste croissant formé par la Tunisie, la Libye et l’Egypte.

La Tunisie est régulièrement secouée par des émeutes et n’a plus de gouvernement.

La Libye s’enfonce dans la guerre civile. Certains expliquaient la hausse de Wall Street jeudi par l’imminence d’une médiation d’Hugo Chavez, un grand ami des Etats-Unis — à moins que ce ne soit de Fidel Castro et du numéro un iranien Ahmadinejad.

L’Egypte est en train de s’effondrer économiquement. La Bourse du Caire, close depuis le 27 janvier, restera fermée sine die, démentant le projet de réouverture prévue ce dimanche.

Rien que de bonnes nouvelles qui détendent l’atmosphère !

▪ Inutile de s’étendre sur le volet géopolitique. Wall Street avait envie de monter et rien ne pouvait empêcher qu’il en soit ainsi. C’était évident depuis le début de la matinée de jeudi en Europe, avec des futures affichant +1% d’entrée de jeu.

Nous avions observé depuis mercredi la propagation de rumeurs évoquant d’excellents chiffres de l’emploi (+200 000 postes au lieu de 36 000 en janvier) à paraître ce vendredi aux Etats-Unis, avec l’anticipation d’un chômage à 9%.

L’hypothèse était certes rendue crédible par l’enquête ADP publiée la veille… mais c’est une motivation à l’achat qui demeure de l’ordre du subjectif. Dans un marché rendu méfiant par la hausse des taux ou la cherté de l’énergie, cela ne peut suffire à déclencher une envolée de 1,7% en moyenne des indices américains.

S’agissant du repli du pétrole, ce prétexte favorisant un regain d’optimisme tenait la route en matinée, avec un fléchissement jusque sur 100,5 $. Cependant, le baril de WTI est remonté en flèche vers 102 $ dans l’après-midi sans que les indices US n’accusent le coup. Dans ces conditions, comment ne pas envisager que la hausse de Wall Street ait été savamment orchestrée depuis 48 heures, histoire de rattraper une mauvaise entame de mois de mars ?

Le Dow Jones a gagné 1,59% (soit près de 200 points à 12 260). Le Nasdaq a engrangé 1,84% à 2 798 points. Le Standard & Poor’s 500 affiche quant à lui un score fleuve de 1,72%, à 1 331 points, avec 90% de ses composantes en hausse. Pour l’ensemble des indices américains, il s’agit de la meilleure performance depuis le 2 décembre 2010.

Rarement les chiffres hebdomadaires de l’emploi n’auront (prétendument) déclenché un tel vent d’euphorie depuis septembre dernier. Les mauvais scores étaient souvent mieux accueillis dans la mesure où ils garantissaient que la Fed mènerait le « QE2 » jusqu’à son terme. La faiblesse du marché de l’emploi était en effet sa principale excuse pour présenter l’inflation comme une menace secondaire, la priorité étant la consolidation de la reprise économique.

Pour la dernière semaine de février, le nombre de nouveaux chômeurs aux Etats-Unis a chuté de 20 000, à 368 000. Il est tombé à son plus bas niveau depuis fin mai 2008, d’après le département du Travail US.

▪ Les spécialistes des marchés obligataires n’ont pas manqué de réagir également — mais avec beaucoup moins d’enthousiasme que Wall Street — à la progression vers 59,7 d’un indice ISM des directeurs d’achat en février « meilleur que prévu ».

Le rendement des T-Bonds à 30 ans s’est tendu vers 4,65% ; le 10 ans affichait 3,57%. Les taux longs ne sont pas loin de franchir des seuils techniques décisifs comme 3,65% sur le 10 ans et 4,75% sur le 30 ans.

▪ Malgré cette hausse de sa rémunération, le dollar a lourdement rechuté et inscrit un nouveau plancher annuel de 1,3960 face à l’euro. La monnaie unique s’est envolée de 1% vers 14h20, en réaction à une réponse de J.-C. Trichet faite à un journaliste. Il a affirmé « qu’une hausse de taux lors de la prochaine réunion de début avril est possible mais non certaine… ce qui ne constituerait pas l’amorce d’un cycle de renchérissement du loyer de l’argent ».

Le patron de la BCE tempère ce balisage d’un resserrement limité de la politique monétaire par une nécessaire prise en compte de la situation géopolitique et des difficultés de certains pays très endettés en Europe. Comme on pouvait s’y attendre, l’Irlande va bénéficier d’une ristourne sur le taux du prêt qui vient de lui être consenti.

Les Etats-Unis sont eux condamnés à une fuite en avant concernant leur politique de taux artificiellement bas. La facture du service de la dette s’alourdit semaine après semaine — Ben Bernanke qualifie le financement des muni-bonds de « défi effrayant ».

Le Congrès US a voté mercredi une extension des déficits… afin que les fonctionnaires ne soient pas massivement mis au chômage technique au cours des prochaines semaines.

La conjoncture américaine vous paraît-elle meilleure aujourd’hui qu’il y a 15 jours ?

Si vous répondez oui : achetez des actions (peu importe la hausse des taux longs, au contraire, c’est un signe de bonne santé économique).

Si vous répondez non… achetez encore plus d’actions, car la hausse de la veille est seule garante de celle du lendemain : si Wall Street arrête de pédaler, le vélo tombe.

Wall Street a donc grimpé tous azimuts: Caterpillar, Bank of America, Boeing, Pfizer, AMEX, Alcoa, Home Depot, IBM ou Apple ont engrangé de 2% à 3,5%. Micron Techno a flambé de 4,5%, Flextronics de 5%.

Aucun secteur de la cote n’a été oublié, à part peut-être les valeurs pétrolières. Chevron et Exxon ont largement sous-performé avec des scores de 0,7% et 0,85% respectivement.

Dans un tel contexte, le seul fait que le soleil se lève le matin suffit à doper Wall Street !

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