La Chronique Agora

Wall Street efface tous ses gains de février ; la fin du rebond semble entamée

Si tel était le cas, il pourrait ne s’agir que des tous récents convertis au principe du mouvement perpétuel des indices boursiers à la hausse. Ceux qui arrachent les cours depuis six mois sont peut-être d’ores et déjà aux abris, en train de se glisser dans une peau de bear (« ours », baissier) en prévision d’un décrochage de Wall Street qui apparaît de plus en plus imminent.

Nous sommes bien convaincu que ceux qui font l’opinion et martèlent depuis deux ans que les actions sont la seule alternative à des rendements monétaires négatifs (compte tenu de l’inflation, cela n’a jamais été aussi vrai) ne sont pas fondamentalement haussiers sur les marchés.

Tout d’abord parce qu’ils savent pertinemment que le système financier qui a implosé en 2008 ne tient debout que grâce aux grosses ficelles tirées par la Fed — mais l’image du zombie avançant inexorablement de façon somnambulique fait aussi bien l’affaire. Ils savent aussi que toutes les règles du jeu sont subverties par les mesures « non conventionnelles ».

En réalité, il n’y a plus de règles, si ce n’est que Wall Street s’est arrangé pour capter un tiers de la richesse additionnelle produite par l’économie américaine l’an dernier. Cela sachant que la hausse de 3% du PIB (nous arrondissons volontairement à l’unité supérieure) résulte d’une hausse de 24% des dépenses de l’Etat, d’une injection massive de fausse monnaie et d’une désinformation permanente concernant l’évolution de la conjoncture et de l’inflation aux Etats-Unis.

Le gouvernement et Wall Street poursuivent conjointement — parce que leurs intérêts sont indissolublement liés depuis trois décennies (et l’avènement des reaganomics) — un but : faire mentir l’adage selon lequel on peut tromper un petit nombre de personnes durant très longtemps, ou un grand nombre de personnes durant une courte période, mais jamais les deux à la fois.

▪ La crise des subprime nous a enseigné que le story telling (la diffusion de mensonges officiels proférés par les élites puis martelés par des médias complaisants ou complices) peut endormir la méfiance de centaines, voire de milliards d’individus.

Quand la supercherie a été éventée, le G20 s’est empressé, juste après la catastrophe, d’affirmer que l’ère de la finance-casino, de l’irresponsabilité illimitée des acteurs économiques et des armes financières de destruction massive était révolue.

La suite des événements a prouvé que la finance dévoyée — l’exemple vient du plus haut niveau, puisque c’est la Fed elle-même qui a remis Wall Street en selle — a repris le dessus. Les mensonges au sujet de l’inflation, de la santé du système bancaire et de la capacité des Etats à faire face à un surendettement massif prospèrent plus ouvertement que jamais.

Notre erreur a été de croire que les leçons seraient tirées de la crise LTCM de 1998, de l’effondrement des dot.com et de la désintégration des dérivés de crédit. Nous pensions que les autorités politiques et économiques planétaires s’empresseraient de mettre en garde, voire de neutraliser les champions de l’usine à bulles qui ont fait doubler le S&P et tripler le pétrole en l’espace de deux ans.

Il était encore temps de le faire début décembre, juste avant que la Fed ne se mette à imprimer pour de bon des centaines de milliards de dollars. Ces derniers ont été aussitôt confisqués par des brasseurs d’argent sans scrupules (ils s’empressent de convertir la fausse mornifle en positions spéculatives sur les marchés de matières premières et de denrées agricoles) qui sont également, pour les plus influents d’entre eux, ses principaux actionnaires.

Mais le chantage à l’emploi et l’agitation du spectre du défaut de paiement en cas de non monétisation de la dette américaine ont fait taire les objections.

▪ Trois mois plus tard, les taux longs se sont malgré tout tendus. Le baril de pétrole s’est envolé. Le coût des denrées alimentaires a provoqué une série d’émeutes et de révolutions qui n’ont pas fini de déstabiliser nombre de pays producteurs d’un précieux pétrole qui se raréfie.

La Fed a choisi la fuite en avant. Certains de ses membres n’étaient pas d’accord : ils ont soit démissionné de leur propre initiative pour motifs personnels, soit été poussés vers la sortie par le biais de nouvelles fonctions prestigieuses et grassement rémunérées.

Ben Bernanke se retrouve désormais presque seul aux commandes du Titanic, entouré de sa garde rapprochée. Les dissidents sont priés de garder leurs états d’âme pour eux-mêmes, à moins qu’ils n’aient l’intention de semer la panique parmi les passagers.

▪ Le voici confronté ce jeudi à l’ouverture d’une nouvelle voie d’eau sous la ligne de flottaison avec la cassure potentielle de plusieurs supports majeurs sur les indices américains.
Nous avons bien observé que quelques « grosses mains » bienveillantes tentaient sans grand succès de contenir la vague de dégagements qui a déferlé dès l’ouverture du marché. Nous avons toutefois assisté à la pire entame de séance de l’année 2011 avec l’ouverture de gaps sur les trois principaux indices américains, un fait rarissime.

Le Nasdaq avait chuté de 2% en moins d’une demi-heure, le S&P avait plongé sous le support majeur des 1 300 points (avec un record de 95% de ses composantes en repli), et le Dow Jones lâchait plus de 200 points, avec 29 titres en baisse sur 30. Après une laborieuse remontée de 0,5% sur les planchers initiaux, la proue du Titanic s’est de nouveau enfoncée sous les flots d’ordres de vente à la mi-séance.

Grâce au timide rebond des indices américains, les places européennes se sont épargné une correction de forte ampleur (l’Euro-Stoxx 50 a chuté jusqu’à -1,5% en fin d’après-midi, pour enregistrer seulement -0,85% au final). Cependant, les indices ne sont pas parvenus à sauver des supports essentiels comme les 2 920 pour l’E-Stoxx 50 ou les 3 980 points pour le CAC 40.

Paris reculait de 0,75% dans des volumes relativement modestes (3,5 milliards d’euros). Ils sont loin de traduire une véritable pression à la baisse et une vague de liquidation d’actifs boursiers.

▪ Les investisseurs avaient pourtant de sérieux motifs de gagner au plus vite les issues de secours avec une succession de mauvaises statistiques. Les inscriptions hebdomadaires au chômage ont ainsi augmenté plus que prévu aux Etats-Unis, lors de la semaine du 5 mars, ressortant à 397 000 (+26 000 au lieu d’un score de 380 000 attendu).

Le déficit commercial américain a explosé de 15% sous l’impact de la facture pétrolière en janvier, passant de 40,3 à 46,3 milliards de dollars.

Les motifs d’inquiétude pleuvent également de ce côté de l’Atlantique : Moody’s a encore fait monter la pression après la sévère dégradation de la note de la Grèce lundi dernier en abaissant d’un cran la note de la dette souveraine espagnole — de « Aa1 » à « Aa2 » –, assortie d’une perspective négative.

L’agence de notation met en avant le coût éventuel de restructuration des banques espagnoles, notamment les caisses d’épargne. Elle fait également part de ses inquiétudes sur la capacité de l’Etat à mettre en oeuvre une politique soutenable et structurelle d’amélioration de ses finances publiques.

Pour ne rien arranger, un communiqué provenant de Bruxelles confirme que les gouvernements européens ne trouveront pas d’accord ce week-end sur le renforcement des moyens d’action du FESF. Cela ne fait qu’aviver les craintes de défaut de paiement des PIIGS.

La Grèce semble foncer droit dans le mur avec des taux à 10 ans qui franchissent le cap des 12,7%. L’Irlande doit payer 9,6%, le Portugal offre du 7,6% et l’Espagne, qui est sous les feux de l’actualité, affiche des rendements de 5,5% sur sa dette 2020.

L’euro ne s’en sort pas indemne : il a perdu 0,7% à 1,3810 $. Le soufflé retombe également sur l’or, qui rechute de 1,8% sur le palier des 1 400 $.

▪ La situation au Moyen-Orient, et tout particulièrement en Libye, reste critique — et elle risque même de diviser encore plus les pays européens. La production de pétrole libyen est toujours perturbée, maintenant les cours du brut à des niveaux élevés, même si un net repli est en cours (-2,5% à 101,5 $ sur le baril de WTI américain)… parce que beaucoup d’opérateurs sont en train de solder des positions spéculatives.

Les regards seront braqués aujourd’hui sur l’Arabie Saoudite avec une « journée de la colère » programmée par les opposants au gouvernement en place. Tout incident lors des manifestations serait très négativement ressenti par les marchés… mais des rumeurs de troubles dans des pays comme l’Iran ou le Nigeria pourraient avoir des effets similaires.

Wall Street semble prendre conscience que tout l’argent de la Fed ne pourrait empêcher un basculement de la tendance boursière. Il n’y a pas eu de miracle de dernière minute, comme cela a souvent été le cas au cours des six derniers mois.

Les trois principaux indices subissent une lourde de correction de 1,85% en moyenne… au plus bas du jour. Tous les gains du mois de février se sont évaporés ; nous retiendrons surtout la cassure simultanée de trois supports majeurs : 1 300 sur le S&P, 12 000 sur le Dow Jones, 2 715 points sur le Nasdaq. La messe semble dite.

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