La Chronique Agora

Wall Street digère avec aisance la hausse du pétrole et les troubles du dollar

▪ Les marchés européens puis Wall Street quelques heures plus tard ont célébré sans éclat le deuxième anniversaire du marché haussier qui s’est amorcé le 9 mars 2009. Rappelons qu’il a vu le S&P 500 doubler de valeur en tout juste 23 mois, passant de 666 à 1 332 points.

Le Dow Jones, qui s’était maintenu dans le vert jusque vers 21h58, a terminé in extremis dans le rouge pour le plus petit écart symbolique imaginable : -0,01%. L’emblématique S&P perd 0,15% à 1 320 points, et le Nasdaq recule de 0,5% — tout comme lors de l’entame de la séance.

Pas de quoi remettre en cause la tendance haussière. C’est à peine si les commentateurs s’étonnent de voir les indices boursiers américains enregistrer la plus forte hausse des 50 dernières années — alors que la reprise économique est la plus lente observée après un épisode de récession majeure depuis un siècle.

Cette surperformance reste largement imputable au quantitative easing de la Fed. Elle s’accompagne d’une résurgence de l’inflation au niveau du prix des actifs tangibles. Si « Monkey Business Ben » s’accroche à son « QE2 », nous sommes en bonne voie pour passer de l’hyper-endettement à l’hyperinflation.

▪ De son côté, la BCE pourrait entamer son cycle de relèvement des taux — Axel Weber a confirmé que les marchés avaient bien raison de s’y préparer. Dans ce cas, le dollar pourrait s’offrir une dégringolade en direction du plancher historique des 1,60. Cela rendrait nos exportateurs européens verts… de rage et nos balances commerciales encore plus lourdement déficitaires.

Une perspective dont Wall Street pourrait se réjouir. Cependant, les politiciens du Congrès US commencent à douter des avantages d’une telle évolution du marché des changes.

Même les ultra-libéraux les plus radicaux formés à l’école de Chicago ou du Mont Pèlerin réalisent qu’ils ne sont plus seuls au monde : leur ennemi idéologique numéro un est devenu, par une fantastique pirouette du destin — qui rime avec Pékin –, leur premier créancier.

Pékin pourrait racheter cash toutes les universités américaines où la pensée unique impose encore son hégémonie… tous les médias dans lesquels s’expriment les faiseurs d’opinion convertis aux « reaganomics » et incapables d’admettre dans quelle impasse cela nous a menés… toutes les marinas dans lesquelles les traders ont ancré leurs yachts de 60 pieds… tous les jets privés dans lesquels les patrons américains font la navette vers Shanghai pour mendier une petite part du gâteau chinois.

▪ Faire le plein de kérosène devient d’ailleurs de plus en plus onéreux pour s’en aller faire des affaires dans des pays de moins en moins nombreux. Le monde arabe tel que nos politiques pensaient le connaître se disloque.

La flambée des denrées alimentaires et la corruption des élites font souffler un vent de révolution dans les pays où la dictature passait pour un héritage culturel inamovible. Imagine-t-on qu’ils ont rejeté la chape de plomb de régimes ultra-autoritaires pour se soumettre à l’aliénation de l’ultra-libéralisme ?

Le système économique qui s’est auto-détruit en 2008 ne leur a apporté comme seul bienfait que l’hyperinflation et le chômage à grande échelle. Cela depuis que Ben Bernanke fait exploser la masse monétaire en dollar à un rythme estimé autour de 24% par an depuis trois ans.

Même si les haussiers sont encore plus de 65% à croire à un retour du Dow Jones au contact des 14 500 à l’horizon 2012, la question d’une poursuite du rally haussier est clairement posée. Rappelons qu’elle concerne un contexte de tension des taux déjà avéré dans les pays émergents… et qui commence à contaminer les pays du G7 qui sont leurs principaux clients.

▪ Les places européennes sont devenues plus hésitantes depuis la mi-février. Toutefois, les incertitudes proche-orientales et la flambée du pétrole semblent digérées avec une aisance déconcertante (surtout par Wall Street). Impossible de détecter dans la courbe du Dow Jones les bouleversements géopolitiques considérables qui se sont succédé depuis deux mois.

Cette séance de mercredi confirmait le climat d’hésitation des opérateurs. Ils ont fini par opter pour la prudence en fin de parcours : un repli limité de 0,5% en moyenne à Paris, Londres ou Francfort, dans des volumes qui ne traduisent pas de conviction d’aucune sorte.

Il n’en reste pas moins que les liquidités injectées chaque jour par la Fed continuent de pousser les cours à la hausse, même en l’absence de bonnes nouvelles.

▪ Il suffit qu’il n’y en ait pas de mauvaises pour que les indices repassent au vert. Et encore, cette règle admet de nombreuses exceptions : le dernier exemple en date remonte à seulement quelques heures. Le cours du baril reculait de 1% vers 104,3 $ mercredi soir, alors que le colonel Kadhafi a fait bombarder — exactement comme nous le redoutions dans de précédentes chroniques — des installations pétrolières et des pipe-lines dans l’est de la Libye ce mercredi.

Cela signifie que les exportations ne sont pas près de revenir à la normale (environ 1,1 million de barils par jour, soit 1,5% de la consommation mondiale). Les spécialistes de l’or noir redoutent également les développements politiques potentiels consécutifs à la « journée de colère » en Arabie Saoudite, prévue vendredi : des manifestations d’hostilité au régime seraient à coup sûr sévèrement réprimées.

Au-delà de la production pétrolière qui importe surtout aux Occidentaux, le Royaume est farouchement attaché à son statut de Terre sainte et de lieu de pèlerinage pour l’ensemble des musulmans.

Nul doute que beaucoup de ceux qui feront le voyage vers La Mecque cette année auront pas mal de choses à raconter à leurs hôtes saoudiens.

Riyad peut toujours museler la presse, mettre en stand-by les envois de SMS et censurer Internet, il aura beaucoup de mal à neutraliser le fameux… « téléphone arabe ».

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