La Chronique Agora

Wall Street applaudit la conjoncture économique américaine

banques centrales

▪ Il y a des gros titres sur certains sites financiers qui méritent que l’on en fasse une capture écran et une impression sur papier glacé, histoire de prouver que ce n’était pas un hoax — comprenez une imposture numérique.

Nous vous en proposons un de choix, presque l’archétype de la vision totalement déconnectée de la réalité qui domine sans partage au sein de la sphère financière. Le S&P 500 atteint un plus haut depuis cinq ans alors que le marché applaudit (oui, vous lisez bien « applaudit ») la conjoncture économique américaine.

Nous avons grand peine à identifier ce que Wall Street peut « applaudir » ce jeudi. Serait-ce les piteux résultats de Citigroup et Bank of America (ces deux titres perdant 3% et 4,2% respectivement) ?

Ou alors le recul de l’indice Philly Fed ? Il affichait -4,5 le mois dernier et le consensus l’attendait à +7,5%… mais il ressort à -5,8, traduisant un fléchissement inattendu de l’activité.

▪ Les chiffres du chômage emballent Wall Street
Mais soyons fair play, il y a également eu ce rebond de 12% des mises en chantier de logements neufs en décembre. Le marché attendait une stabilité, ce qui semblait cadrer avec la saisonnalité du secteur immobilier ; mais pourquoi ce rush soudain en plein hiver ? Y avait-il un crédit d’impôt expirant au 31 décembre dans certains Etats, comme souvent par le passé, un peu comme notre loi Scellier ?

Les chiffres des demande de permis de construire sont en revanche ressortis stables comme prévu… donc l’euphorie ne saurait provenir de ce qui vient d’être évoqué.

Nous allons mettre un terme à un suspense insoutenable en vous révélant le chiffre qui est à l’origine de tout. Les demandes hebdomadaires d’indemnité chômage sont retombées à 335 000, c’est-à-dire au même niveau qu’avant Noël.

Comment cela, tout le monde s’en fiche ?

Ce n’est pas parce que Wall Street s’est complètement désintéressé de ces chiffres lors des trois semaines de dégradation qui ont précédé que les opérateurs ne se sentent pas transportés de joie quand ils constatent une embellie !

Ah bon… le chômage est souvent revu à la baisse après la période de fêtes, suite au retraitement de statistiques souvent incomplètes en fin d’année ?

Bon d’accord, nous sommes un peu naïf. Nous pensions que le marché de l’emploi avait attaqué l’année 2013 la fleur au bout du fusil !

Avons-nous entendu parler du plan de licenciement de 5 400 salarié d’American Express (dont le titre est au plus haut historique) ou des 50 000 (oui, cinquante mille) suppressions d’emplois envisagés par Bank of America/Merrill Lynch (après 16 000 en 2012) ?

Oui effectivement, cela nous dit bien quelque chose maintenant qu’on en reparle !

Ah oui, que disions-nous en début de chronique… que Wall Street applaudit la conjoncture !

Il faut reconnaître que des progrès phénoménaux ont été accomplis par l’économie américaine depuis que les politiciens du Congrès US ont convenu de repousser la résolution de tous les problèmes de deux mois et de s’en remettre (comme d’habitude) à la Fed pour assurer les fins de mois difficiles du pays.

Applaudissons également la suspension du versement d’une partie de la retraite des fonctionnaires afin de ne pas exploser le plafond de la dette, avant qu’il ne soit effectivement relevé de quelques milliers de milliards de dollars comme le réclame Ben Bernanke.

Applaudissons également les maîtres de la programmation algorithmique qui ont maintenu les indices dans un corridor de 1,5% d’amplitude durant 11 jours. Le S&P a affiché à cinq reprises consécutives des écarts inférieurs à 0,1% en clôture avant d’orchestrer une sortie par le haut à la veille de la séance des « Trois sorcières ».

▪ L’Europe aussi s’affiche dans le vert
La spontanéité de cette hausse ne fait aucun doute : les places européennes avaient rouvert en repli, Paris à l’équilibre… Puis le CAC 40 s’est lancé dans un cavalier seul à la hausse qui semblait reposer essentiellement sur la progression de Carrefour, Véolia et EADS et pas vraiment sur du fondamental.

L’Euro-Stoxx 50 attendra d’ailleurs la mi-journée avant de ressortir du rouge et le gain de 0,3% affiché vers 14h a bien failli s’évaporer avec la publication des trimestriels de Citigroup.

Après Paris dans la matinée, c’est Milan que se signalera par une vélocité haussière inattendue en fin d’après-midi… Mais le champion toutes catégories de la hausse en ce jeudi, ce fut le marché helvétique avec une envolée de 1,75% de la Bourse de Zurich.

En l’occurrence, le SMI prend pratiquement 10% depuis le 1er janvier. La chute du franc suisse de 1,20 jusque sous les 1,245 euro a produit à peu près le même effet euphorisant que la désintégration du yen vers 120 sur Tokyo entre le 20 décembre et le 15 janvier.

En ce qui concerne le recul de 0,7% du dollar sous les 1,3375, il semble démontrer que les cambistes n’ont pas la même perception que Wall Street du niveau d’embellie conjoncturelle attendu cette année… Si la Fed renonce à réduire la durée et le volume de son QE3 d’ici fin 2013, c’est qu’il n’est pas encore question d’applaudir l’envolée du PIB.

Mais à la veille des « Trois sorcières », les médias ont fait assaut d’accroches triomphalistes avec un Russell 2000 au plus haut absolu (à 891 points)… un S&P au plus haut depuis fin 2007… sans oublier de préciser que ni le Dow Jones ni le Nasdaq n’ont franchi leurs sommets de la mi-septembre, voire de la mi-octobre 2012.

Wall Street a été victime d’une vague de prises de bénéfices au cours du dernier quart d’heure de la séance de jeudi et cela s’est accéléré au cours des trois dernières minutes. Au final, les indices américains affichent les mêmes scores que ceux constatés à 17h35 au moment de la clôture des places européennes, avec 0,55% sur le S&P 500, à 1 481 et 0,63% sur le Dow Jones, lequel ne parvient pas à assurer son maintien au-dessus des 13 600 points — après avoir culminé à 13 635 points.

▪ D’étranges coïncidences
Le S&P 500 a enregistré une activité portant sur 585 millions de titres échangés, c’est-à-dire exactement le même total que le… 31 décembre 2012. Devinez de combien l’indice avait progressé le 20 décembre dernier, à la veille des « Quatre sorcières » ?… De 0,55% très exactement !

Puisque nous en sommes à recenser les coïncidences, en voici une troisième : le S&P vient de gagner autant de terrain entre 770 et 1 570 points (d’octobre 2002 à juillet 2007) qu’entre 680 et 1 480 (soit 800 points de mars 2009 à janvier 2013).

A l’époque, il y avait la bulle immobilière, la croissance mondiale, un retour de l’engouement des épargnants américains pour la Bourse (après la déculottée de la nouvelle économie)… et les taux bas de la Fed.

Depuis 2009, oubliez les trois premiers facteurs devenus subalternes : il nous reste la machine à cash de la Fed !

Pour nous aider à oublier que la hausse repose sur de la fausse monnaie, chaque fois que le marché monte (« sur ordre » est-il besoin de le préciser), des faiseurs d’opinion bien pensants nous affirment que « l’appétit pour le risque est de retour » — ce que les volumes démentent.

Ainsi, plus il y a d’appétit, moins on dénombre de gros mangeurs.

Plus le buffet est gargantuesque, moins il y a de convives… et à la fin — pardonnez ce raccourci un peu facile — il n’y aura plus qu’à tout jeter !

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