▪ Notre avion a été retardé. Nous voilà donc dans une petite salle d’attente… et ça dure trop longtemps. Impossible d’échapper aux deux grands écrans de télévision.
Qui regarde ça ? Les malheureux.
Plus ils s’informent en regardant les journaux télévisés, moins ils en savent. S’ils regardent pendant assez longtemps, leurs cerveaux doivent finir par ressembler à une ville zombie, peuplée par les personnages zombie qu’ils ont vu à la télévision… animée par les fictions des zombies… et dominée par des émotions zombies de leurs personnages à deux dimensions sur écran LCD.
La semaine dernière, l’événement le plus important dans la région d’Atlanta était la mort — apparemment par suicide — d’un célèbre joueur de football américain. Nous n’avons jamais rencontré cet homme ; nous n’avions donc pas de point de vue sur l’affaire, quel qu’il soit. Mais la télé exige du sentiment. Un reporter après l’autre… une interview après l’autre… tous bombardent le téléspectateur d’émotions faciles. Après un temps, si vous n’êtes toujours pas ému, vous pensez que quelque chose ne va pas chez vous.
Mais ça a probablement toujours été le cas. Les médias populaires agitent sentiments de groupe et émotions de foule. Les foules dans les stades… les masses au Colisée… et ceux au balcon au théâtre — tous ont besoin de héros et de méchants, pas d’idées complexes et d’ambigüité.
Bien entendu, les idées peuvent être rendues accessibles aux masses — mais uniquement si l’on en retire les complexités et les nuances. Ce qui les rend si stériles et éloignées du concept de base qu’elles ne sont généralement plus que des fantasmes collectifs, partagés comme des sentiments.
Les masses ne veulent pas penser. Elles ressentent seulement. Chaque politicard sait que les sentiments sont vendeurs. Pas les idées.
Les masses se font une opinion… choisissent leurs candidats… et dépensent leur argent sur la base des sentiments. Les véritables pensées sont bannies.
La course présidentielle — d’un côté de l’Atlantique ou de l’autre — n’est guère plus qu’un concours de couleuvres : laquelle sera la plus grosse qu’on fera avaler aux électeurs… laquelle influencera leurs sentiments sur les candidats et leurs thèmes ?
Si l’on regarde la télévision, on est tenté de croire…
… que les Etats-Unis ont été atteints par une sorte de tempête économique. Peut-être a-t-elle été causée par l’avidité de Wall Street. Peut-être que les législateurs ont commis des erreurs. Ou peut-être était-ce simplement un événement naturel, dans le cours des choses.
… Grâce aux sages décisions de ses dirigeants, l’économie des Etats-Unis est à présent en train de se remettre. L’Europe a plus de mal ; ses propres dirigeants n’ont pas entièrement repris la situation en main.
… Mais même aux Etats-Unis, les dégâts ont été si graves que la reprise sera difficile. Il faudra peut-être plus d’aide de la part du gouvernement fédéral. Peut-être plus de législation — des faveurs fiscales ciblées, de l’aide aux jeunes, plus de dépenses pour l’éducation… et ainsi de suite.
C’est ce qu’on dit à la télé, en tout cas.