La Chronique Agora

Vous z'auriez pas une p'tite pièce ?

** Les banques centrales de la planète viennent à la rescousse des soi-disant capitalistes. Vous pouvez ajouter les valeurs financières à la longue liste des institutions qui sont apparemment "trop grosses pour couler" dans le monde actuel. La Fed a prouvé cette nouvelle réalité vendredi dernier, lorsqu’elle est intervenue pour sauver des gens qui n’avaient pas évalué correctement les risques liés aux prêts à des emprunteurs risqués.

-Vendredi matin à New York, la Réserve fédérale est calmement intervenue dans la bataille en tant qu’acheteur de dernier recours. Acheteur de quoi ? De valeurs adossées aux créances hypothécaires — le marché qui cause tant de peine à tout le monde.

– La Fed a publié une déclaration annonçant que "la Réserve fédérale fournira les liquidités nécessaires au fonctionnement ordonné des marchés financiers… Dans les circonstances actuelles, les établissements financiers peuvent ressentir des besoins de financement inhabituels causées par les perturbations des marchés monétaires et de crédit".

– En apparence, les actions de la Fed ont rassuré les investisseurs. La Réserve fédérale a "injecté" 38 milliards de dollar en liquide dans le système financier, en acceptant les obligations adossées aux créances hypothécaires comme nantissement de la part d’institutions ayant du mal à emprunter aux sources habituelles. En d’autres termes, la Fed a accepté la dette toxique liée aux prêts hypothécaires, que personne d’autre ne veut toucher, et elle a prêté de l’argent contre ce nantissement. Elle a littéralement apporté des liquidités à un marché qui avait cessé de fonctionner. On peut envisager cela comme un prêteur sur gage haut-de-gamme pour banquiers en costume trois-pièces.

– On a presque pu entendre le soupir de soulagement collectif sur les marchés, les places mondiales évitant de justesse une séance de plus "dans le rouge". Et bon nombre de gens ayant bien besoin d’un verre en on probablement pris un. Voire deux.

** En latin, delirium tremens signifie "folie tremblante". Le dictionnaire en donne la définition suivante : "Une des complications majeures de l’alcoolisme chronique. Le delirium tremens survient notamment lors du sevrage brutal et accidentel consécutif à un accident, à une maladie aiguë, à une intervention chirurgicale. Il réalise ici le ‘syndrome de manque’ de la toxicomanie qu’est l’alcoolisme. Il s’installe en deux ou trois jours après le sevrage, annoncé par des tremblements, des épisodes confuso-oniriques, une insomnie, souvent des crises épileptoïdes".

– La Fed a donné aux marchés un whisky bien tassé pour compenser les symptômes du sevrage de crédit. Comme tous vous le diront, un alcoolique reste un alcoolique — même s’il arrête de boire. Il n’y a pas de remède à la dépendance, simplement le remplacement de mauvaises habitudes par de bonnes habitudes. Sous la surface, qu’est-ce que la Fed a fait, exactement, et qu’est-ce que cela signifie pour les semaines à venir ?

– Les actions de la Fed la semaine dernière présentent un aspect inhabituel : elle était prête à accepter des nantissements adossés aux créances hypothécaires pour ses prêts de court terme. En trois opérations distinctes, la Fed a injecté 19, 16 et 3 milliards de dollars de liquidités sur les marchés. Lorsqu’elle prête de l’argent pour de courtes périodes, la Fed accepte en général des bons du Trésor US ou des titres d’agences gouvernementales (Fannie Mae ou Freddie Mac, par exemple) en guise de nantissement.

– Le fait qu’elle ait changé de mode opératoire et accepté des obligations adossées aux créances hypothécaire révèle le véritable motif des actions de la Fed : éviter une panique à la vente et la liquidation de titres adossés aux créances hypothécaires, en particulier de la part de fonds de couverture traumatisés. Cependant, même si la Fed a ainsi ménagé une pause aux investisseurs, elle n’a pas résolu le problème fondamental auquel se trouve confronté le marché du subprime avec ses 2 000 milliards de dollars.

– Personne ne sait vraiment ce que valent ces obligations hypothécaires — et les produits dérivés qui vont avec — parce qu’il n’y a pas d’acheteurs (bien que cela nous donne sans doute une indication sur ce que le marché pense vraiment de la valeur de ces obligations). C’est une chose que de voir la Fed les accepter comme nantissement pour les prêts de court terme. C’en est une autre de voir émerger de véritables acheteurs sur le marché.

– La Fed n’a pas résolu le problème de fond qui guette les marchés du crédit. Elle n’a fait que gagner un peu de temps aux intervenants qui souffrent le plus. Malheureusement, les actifs de la Fed vendredi dernier n’ont probablement acheté qu’un très court répit. Les malheureux propriétaires de valeurs hypothécaires n’ont toujours pas de marché liquide pour les valeurs dont le rendement était autrefois si élevé… et qui étaient si populaires.

– La bataille entre les acheteurs et les vendeurs sera intéressante, cette semaine. Les traders aux nerfs solides seront tentés d’acquérir à bon compte les actions de blue chips dont les fonds se sont débarrassés la semaine dernière. Les fonds vendent ces actions pour obtenir des liquidités. Il est bien plus facile de vendre Citigroup, GE ou BHP que de vendre des instruments financiers exotiques, ces derniers temps — d’où les ventes.

– Le moment est-il venu d’acheter des grandes valeurs, ou vaut-il mieux conserver ses liquidités ? Eh bien, cela dépend du degré de perturbation des marchés suite au désordre du subprime. Mais voilà : l’effondrement des prêts à risque nous a montré que toute la classe des instruments financiers exotiques devenus si populaires ces 10 dernières années est difficile à valoriser, et encore plus difficile à échanger. La valeur du nantissement du marché hypothécaire, par exemple, a mis sens dessus dessous tout le marché des obligations adossées aux créances hypothécaires. Comment les autres valeurs du même genre se comporteront-elles ?

– Les marchés n’ont cessé de sous-estimer la gravité de la situation dans le secteur du subprime. Il est possible que les modèles les plus conventionnels ne tiennent tout simplement pas compte des instincts humains qui prévalent lors d’une panique. Il pourrait donc y avoir des ventes supplémentaires… des ventes du genre de celles que même une banque centrale ne peut empêcher.

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