La Chronique Agora

Vous prenez les tickets resto ?

** Wall Street s’est effondré de 3,7% lundi soir ; le Dow a testé très précisément son ancien zénith du 11 mars… 1997 — inscrit à 7 111 points. C’était il y a 12 ans moins trois semaines.

"Il n’y a plus d’acheteurs, les indices boursiers sont condamnés à chuter, tous les efforts de la nouvelle administration Obama pour sauvegarder le système financier ne soulèvent que perplexité et désillusion dans les salles de marché"

Ce même son de cloche — qui sonne comme le glas des derniers espoirs des épargnants — résonne de Francfort à Londres et de Paris à New York. Certains opérateurs n’hésitent pas à déclarer, les cheveux en bataille, la cravate défaite, le BlackBerry sur le mode "rejeter les appels" que c’est le commencement de la fin, les échanges boursiers n’ayant plus qu’un seul sens : la flèche rouge vers le bas.

Les derniers traders sur les dérivés de crédit (ABS, CDO, MBS…) s’apprêteraient à laisser tomber leurs écrans et leurs calculettes pour aller vendre des pizzas ou confectionner des gaufres sur des stands ambulants dans les quartiers d’affaires.

Pour ceux qui ne seraient pas convaincus que quelque chose a changé au pied des tours de verre où quelques privilégiés se partageaient des bonus à six zéros, l’une des questions récurrentes des salariés, qu’ils fréquentent une cafétéria, un supermarché ou un marchand de gaufres, c’est "vous prenez les tickets resto" ?

Les restaurants désertés par les golden boys songent à se reconvertir en salle de ping-pong — à cinq euros le set, cela devrait s’avérer rentable en conservant deux salariés pour servir des rafraîchissements. Le Starbucks Coffee aurait davantage de clients si ses locaux étaient mis à la disposition de la Fédération Française de belote d’Ile-de-France de 14 heures à 18 heures avec expresso à volonté moyennant un forfait très étudié de 3,80 euros par personne, lait et mignardises en supplément.

** Ceux qui, comme nous, ont suivi l’inexorable agonie de Wall Street hier soir doivent commencer à se convaincre que ni la bonne volonté repentante de Timothy Geithner — longtemps apparu comme le complice zélé de son mentor "bullophile" Alan Greenspan… ni les escadrons d’hélicoptères de la Fed, remplis de liasses de 100 $ fraîchement imprimées par le Trésor US… ni les plans de soutien aux emprunteurs en difficulté (l’imprévoyance ou la malchance sont presque devenus un privilège) ne tireront les banques américaines du bourbier des créances douteuses.

Puisque les solutions coûteuses, pénibles et sources de discorde au sein du Congrès ne fonctionnent pas, nous oserons donc émettre une suggestion qui présente des caractéristiques diamétralement opposées. En effet, elle ne privera pas le contribuable d’un seul dollar, elle est parfaitement indolore pour les actionnaires et les entreprises et elle est d’une simplicité qui ne peut que combler d’aise les politiciens du Congrès des deux bords.

C’est une suggestion qui, vous l’aurez deviné, est totalement loufoque, farfelue et sans doute inenvisageable puisqu’il s’agirait tout simplement de refondre de manière hédoniste les règles comptables qui contraignent les établissements financiers à comptabiliser leurs actifs à une hypothétique "valeur marché". Simple mais évident, puisqu’il n’y a précisément plus de marché pour fournir la moindre indication sur la valeur des dérivés de crédit !

Les établissements financiers se retrouveraient ainsi affranchis de l’obligation de constater l’étendue du désastre et de trouver des quantités pharamineuses d’argent pour renflouer tous les mois leurs fonds propres : voilà qui sera toujours l’équivalent de ces liquidités gagnées pour les emprunteurs potentiels…

** Wall Street ne compte pas là-dessus, et nous non plus. Les indices américains ont connu une nouvelle séance de déconfiture totale. Tous les compartiments de la cote ont subi une capitulation comme il n’en avait plus été observé depuis le 10 octobre ou le 20 novembre derniers — ce sont précisément ces plus bas établis il y a tout juste trois mois jour pour jour, alors même que des rumeurs de faillite du système bancaire américain dévastaient le big board.

Le scénario catastrophe d’hier nous a offert une petite variante en forme de pirouette du destin. 95% des titres américains se sont effondrés (de -3,7% en moyenne) ; les 5% qui n’ont pas chuté sont précisément les valeurs bancaires — en particulier Citigroup (+9,7%) et Bank of America (+3,7%).

Sans oublier AIG ! L’assureur s’apprête à dévoiler, le 2 mars prochain, — et nous avons relu le chiffre trois fois pour être certain de ne pas écrire de bêtises — une perte de 60 milliards de dollars (excusez du peu !) au titre de son quatrième trimestre de l’exercice 2008. Non seulement AIG n’a pas dévissé de 6,5% comme American Express ou General Electric mais le titre demeurait en territoire positif une bonne partie de la journée pour clôturer en repli de 1,8%, alors même qu’une faillite retentissante le menace pour de bon.

Cette journée de mardi va encore faire tomber du bois mort. Cependant, nous commençons à nous demander si ceux qui vendent le font parce qu’ils ont la moindre idée de ce que valent réellement les entreprises — et en vertu du principe du mark to market, elles ne valent rien, et bientôt trois fois rien — ou si c’est par réflexe.

** Le CAC 40 a perdu 0,8% à 2 727 points, mais c’est anecdotique… et même sans la moindre importance. Nous sommes en effet convaincu que le gap des 2 668 points datant du 13 mars 2003 doit absolument être comblé pour que certains analystes techniques estiment qu’un "point d’appui" historique a été trouvé.

Paris aurait certainement pu basculer sous les 2 700 points en clôture dès hier car le future mars cotait 2 680 points en transactions hors séance. Il est bien clair que les 2% gagnés en matinée ne furent que la manifestation d’un simple sursaut technique après le plongeon de 4,9% survenu vendredi.

Si le CAC 40 clôturait à la baisse — et une majorité d’opérateurs pariaient tôt ce matin que ce serait très probablement le cas –, ce serait la septième séance de baisse consécutive, soit l’équivalent des pires séries baissières de 20 dernières années.

Et la sixième séance — celle d’hier — s’est enchaînée aux cinq précédentes sans qu’aucune statistique officielle ou officieuse n’ait été publiée, sans qu’aucune entreprise de premier plan n’ait lancé de profit warning. En d’autres termes — et à part un peu d’agitation positive pour une fois autour des bancaires –, ça aurait dû être le calme plat.

** Il y aurait même eu quelques arguments plaidant pour une amplification des gains initiaux comme la détente des taux interbancaires (un bon baromètre de la peur). Le Libor trois mois reculait de 1,8 point de base à 1,248%. Quant à l’Euribor trois mois, il s’inscrivait en baisse à 1,875%.

Enfin, l’indice Baltic du fret maritime de produits secs (tels que du minerai, des engrais ou des pièces détachées…) a poursuivi son rebond et atteint 2 100 points (+2%) alors que les marchés d’actions valident des scénarios de contraction économique de 5% en Allemagne ou aux Etats-Unis et de 10 à 12% au Japon.

Le pétrole, en revanche, reperdait 5%. En dehors de l’once d’or — l’ultime refuge face à tous les désespoirs d’une fin de mois de février qui tourne au cauchemar –, rien ne semblait permettre de nourrir le moindre espoir de plus-value. Cependant, le métal précieux a perdu un peu de terrain et refuse l’obstacle des 1 000 $ pour la troisième séance consécutive.

S’il ne le franchit pas ce mardi, c’est qu’il est peut-être temps de mettre à profit cette période de congés de février pour prendre un peu de recul… et faire des gaufres.

Philippe Béchade,
Paris

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