** Les compagnies pétrolières occidentales, le Kremlin de Vladimir Poutine, les plus hautes autorités chinoises ont clairement fait leur choix. Ils se détournent ostensiblement d’Hugo Chavez — malgré ses inclinations socialo-collectivistes et révolutionnaires — et plébiscitent Gourbangouly Berdymoukhamedov, qui s’était fait connaître comme ministre de la Santé de son pays. Le 14 février dernier, il a accédé à la présidence du Turkménistan.
Il succède à l’ex-président « à vie » — Saparmourad Niazov, décédé le 21 décembre 2006 — au terme d’une élection qu’il a remporté avec 89,2% des suffrages. De quoi faire enrager Hugo Chavez qui rêvait d’un statut de président rééligible sans limitation de mandat, et qui vient de perdre bêtement un référendum devant lui conférer les pleins pouvoirs — dont celui de museler les médias en cas de besoin — pour quelques dixièmes de pourcentage (49,5/50,5).
Gourbangouly Berdymoukhamedov n’a pas besoin de soumettre une telle proposition au peuple : selon le palmarès 2006 de la liberté de la presse réalisé par Reporters sans frontières, le Turkménistan se classe au 167e rang sur 168 pays, ce qui en fait le pire état dans le monde après la Corée du Nord et juste derrière la Birmanie, 166e. Le droit d’exercer la profession de journaliste indépendant y est tout simplement inexistant, comme durant les plus belles des années de plomb de l’ère Mao ou de l’ère Brejnev…
Mais le Turkménistan a du pétrole, beaucoup de pétrole. Et les compagnies pétrolières occidentales se sentent comme des poissons dans l’eau lorsqu’il s’agit de parler affaires avec des interlocuteurs aussi épris de libertés individuelles (et respectueux des droits de l’homme) que la junte birmane, le maréchal-président au Soudan, ou encore le dictateur d’une ex-république d’URSS ayant remis au goût du jour l’ancien système politique soviétique.
Quelque part, Chavez reste un démocrate, c’est ce qui vient de lui coûter le plus gros revers politique de sa carrière. Et il fait le contraire de ce qui assure un tout nouveau rayonnement au Turkménistan. Il nationalise les ressources pétrolières — au nom du peuple naturellement — alors que les dignes héritiers du communisme stalinien mentionnés dans le chapitre précédent privatisent à tout va, au nom de la prospérité du pays. Tout cela avec l’approbation tout aussi enthousiaste de China National Petroleum Corporation, CNOOC et Sinopec, les trois plus puissants trusts énergétiques chinois à qui il arrive encore de revendiquer l’héritage de Mao. Et n’oublions pas Total…
Les pourparlers avec Gourbangouly Berdymoukhamedov expliquent en grande partie le fait que Total — mis à l’amende par le fisc vénézuélien et interdit de prospection de nouveaux gisements depuis 2006 par décret d’Hugo Chavez — ait réussi à figurer parmi les trois seuls titres à clôturer dans le vert à Paris, aux côtés d’Air Liquide et Véolia !
** Le CAC 40 et le SBF 120 ont reculé de 1,5% en moyenne, alignant une seconde séance de repli consécutive. Paris rechute ainsi de 2,2% en 48 heures, ce qui efface la moitié des gains engrangés au cours des quatre dernières séances du mois de novembre. Après la vague de chaleur causée par l’anticipation d’une nouvelle détente de taux orchestrée par la Fed, c’est un sérieux coup de froid qui s’abat sur les places boursières — un peu à l’image des chutes de neige accompagnées de vent et de verglas qui paralysent l’Amérique du Nord de la côte ouest à la côte est, au-delà du 40e parallèle.
Cette entame du mois de décembre s’avère d’ores et déjà comme l’une des plus médiocres depuis l’an 2000. Alors que Wall Street menace de reproduire le scénario observé la veille, les indices américains calquent avec quelques heures de décalage leur évolution sur ceux de l’Euro Stoxx 50 pour terminer non loin des plus bas du jour, avec un Nasdaq 100 en repli de 1%.
Les inquiétudes au sujet de la croissance refont surface, alors que le président de la Fed de Boston a déclaré qu’elle se situerait bien en dessous des ses niveaux historiques lors des deux prochains trimestres. Une prédiction étayée par le recul de 2% à 3% des dépenses de consommation des ménages — selon les rapports émanant de divers canaux de distribution — au cours des six jours qui ont suivi le week-end de Thanksgiving.
** Nous soupçonnions fortement que le succès du Black Friday découlait de rabais massifs et de l’extension des heures d’ouverture des grandes enseignes présentes dans les principaux centres commerciaux. La fièvre acheteuse est nettement retombée fin novembre, et le chiffre d’affaires cumulé des dix dernières journées est pratiquement équivalent à celui de l’an passé : il ne marque aucune progression notable chez Home Depot, JC Penney ou Sears.
La vague d’intempéries qui a traversé les Etats-Unis de part en part depuis dimanche pourrait donner un coup de fouet — une fois les routes redevenues praticables — à la consommation, notamment aux secteurs du textile et des jeux vidéo.
L’automobile, l’immobilier, le transport aérien risquent en revanche de souffrir, non pas du climat, mais de la raréfaction du crédit facile puis des mesures d’économies (billets d’avion, voitures de fonction) prises par les firmes mises en difficulté par la crise du subprime, au premier rang desquelles on trouve les valeurs bancaires.
** Cette journée de mardi a été marquée par une série d’études négatives concernant le secteur : Morgan Stanley a initié le suivi de certaines banques britanniques avec une recommandation sous-pondérée. J.P. Morgan, quant à lui, abaisse ses estimations de bénéfices pour 2008 sur ses quatre principales rivales cotées à Wall Street (Goldman Sachs, Lehman Brothers, Merrill Lynch puis Morgan Stanley mentionné ci-dessus).
En Allemagne, c’est Deutsche Bank qui y va de ses commentaires alarmistes : le sauvetage d’IKB n’est pas encore assuré… Et Richard Bove, analyste chez Punk Ziegel, indique avoir dégradé à vendre sa recommandation sur les titres Bear Stearns, Goldman Sachs et Lehman Brothers. Il abaisse en parallèle ses prévisions sur Merrill Lynch et Morgan Stanley.
L’intermédiaire dit vouloir faire son mea culpa après avoir relevé sa recommandation sur certaines de ces firmes de courtage au cours des dernières semaines : « Je crois aujourd’hui que mon optimisme était prématuré […] et les marchés sont à nouveau redevenus très vilains : le mois de novembre a sans doute été l’un des pires de l’histoire du secteur. »
Le catalogue de mesures présentées lundi par Henry Paulson a été bien accueilli sur le coup, mais les analystes se sont très rapidement interrogés sur le coût induit par le gel des mensualités dans le cadre des prêts à taux révisable ainsi que sur la faisabilité, puisque les banques devront obtenir l’aval des hedge funds, des trésoriers d’entreprises et des assureurs qui ont acheté des packages de dérivés de crédit structurés.
Comment déterminer ce que contiennent exactement ces « paquets » ? Comment identifier les lignes d’emprunts à haut risque ? Comment estimer les pertes potentielles en cas de sinistre avéré ? Sans oublier que la moitié des encours sont détenus par des mains étrangères et que nombre de souscripteurs souhaitent également se désengager temporairement ou définitivement du dollar !
Une tentation d’autant plus forte que la Maison-Blanche propose de venir en aide aux banques, aux organismes parapublics et aux collectivités locales par le biais d’un aménagement de la fiscalité, c’est-à-dire via des réductions d’impôts qui vont accroître un peu plus fortement les déficits publics.
Les recettes fiscales vont en effet chuter au cours des trois ou quatre prochains trimestres par le simple jeu du ralentissement économique que les divers membres de la Fed — qui se sont exprimés successivement depuis une semaine — nous prédisent.
** Et pendant ce temps-là, en Europe, les taux Euribor se tendent dangereusement et actent un relèvement de 50 points du taux directeur de la BCE au cours des trois prochains moins. Nous nous souvenons que le krach d’octobre 1987 fut causé par la mise en œuvre de politiques monétaires divergentes de part et d’autre de l’Atlantique. Et à l’époque, la Bundesbank avait affolé les marchés (de taux et des changes) en poursuivant sa lutte inflexible contre l’inflation tandis que les Etats-Unis tentaient (déjà !) de combler leur déficit commercial en sacrifiant le dollar.
La seule chose que les Etats-Unis ne sauraient sacrifier, ce sont leurs approvisionnements en pétrole. Le problème, c’est que la Chine affiche les mêmes préoccupations mais n’est fâchée ni avec Gourbangouly Berdymoukhamedov, ni avec Hugo Chavez, ni avec l’Iran, ni avec Rangoon et pas davantage avec Khartoum !
Philippe Béchade,
Paris