La Chronique Agora

De Volkswagen aux stress tests bancaires, un scandale peut en cacher un autre

▪ Volkswagen a falsifié les niveaux d’émissions de rejets polluants de la plupart de ses motorisations diesel — avec la complicité de l’équipementier Bosch. C’est pas beau de tricher, c’est pas beau de s’arroger un avantage compétitif indu, c’est pas beau de polluer la planète, soit !

Mais tant que la supercherie était gardée secrète, les actionnaires de Volkswagen se frottaient les mains.

Parmi ces actionnaires, combien auraient voté en 2011 — date présumée des premiers avertissements — pour que les logiciels destinés à abuser les organismes de test en conditions "laboratoire" soient désactivés ? Combien parmi les actionnaires voteraient pour que des tests de niveaux de pollution en conditions d’utilisation réelle soient pratiqués ?

La question n’est pas aussi anodine qu’il y paraît. Si les organismes chargés d’homologuer les normes d’émission revendiquées par les constructeurs procédaient de façon aléatoire (véhicules de particuliers tirés au sort), avec des instruments de mesure mécaniques (par opposition aux systèmes de contrôle reliés aux données informatiques communiquées par l’électronique de bord) sur l’ensemble des moteurs diesels vendus dans le monde, aucun logiciel intempestif n’aurait la moindre utilité.

La mise au point de protocoles permettant de recueillir des données non falsifiables informatiquement semble devenir incontournable

Autrement dit, la mise au point de protocoles permettant de recueillir des données non falsifiables informatiquement semble devenir incontournable, oui madame !

Mais attendez un peu…

▪ On nous prend pour des quiches depuis des décennies
En 30 ans, Airbus a conçu et vendu des centaines d’exemplaires d’A380, des bombardiers furtifs à 100 millions de dollars l’exemplaire sillonnent le ciel au-dessus des lieux de conflits, appuyés par des drones multi-fonctions opérationnels jour et nuit… sans parler de nouvelles générations de lanceurs de satellites propulsés par des moteurs brûlant successivement des combustibles solides ou gazeux dans la stratosphère puis la magnétosphère, avec des rendements calculés à 0,01% près.

______________

______________

Et pourtant… nous ne connaissons toujours pas le niveau réel d’émission de CO2 ou de dioxyde d’azote d’un diesel roulant à 7km/h de moyenne dans un bouchon sur le périphérique ou effectuant un parcours Paris-Deauville sur l’autoroute A13 un jour "vert", "orange" ou "rouge" ?

Si nous ne le savons pas, c’est que les autorités "compétentes" (ministère de l’Ecologie, ministère de l’Industrie, organismes de certification mandatés par l’Etat, etc.) ne veulent pas le savoir… ou, plus probablement, ne veulent pas que nous le sachions.

Nos ministres essaient de se défendre. Ils invoquent la puissance des lobbies automobiles, le chantage à l’emploi des constructeurs, la difficulté d’imposer des protocoles d’évaluation qui soient agrées par toutes les marques — avec le soupçon de concevoir des tests qui avantageraient les constructeurs nationaux au détriment de leurs concurrents étrangers, avantageant en France le diesel, en Allemagne les grosses cylindrées à essence, en Angleterre les filiales des firmes américaines, etc.).

Puisqu’il n’existe pas de norme européenne qui s’impose à tous (elle n’est pas près de voir le jour, malgré le scandale Volkswagen)… Puisque les tests en vigueur relèvent de l’expérience de laboratoire et produisent des résultats non pertinents, voire fantaisistes… Les constructeurs ne sont pas loin de les considérer de surcroît comme illégitimes.

Ce glissement sémantique se double rapidement d’un glissement éthique : quel mal y a-t-il à falsifier informatiquement des tests qui sont de toute façon conçus pour donner des résultats dont tout le monde sait — et les automobilistes les premiers — qu’ils sont faux ?

Cela arrange tout le monde… Le constructeur qui réalise de substantielles économies sur les systèmes de filtrage des particules — et l’acheteur qui paye intrinsèquement moins cher son véhicule et peut de surcroît toucher un bonus écologique qui réduit encore le coût d’acquisition.

Volkswagen et Bosch vont certainement payer le prix fort pour avoir franchi la ligne jaune alors que leurs concurrents se contentent de mordre un peu.

Ils ont surtout le tort de s’être fait prendre aux Etats-Unis : un pays qui négocie un accord commercial transatlantique "secret" mais dont certaines caractéristiques ont fuité tant elles sont apparues déséquilibrées en faveur de l’Oncle Sam… Lequel cherche à se doter de tous les moyens d’imposer ses propres normes et son échelle de sanction sans qu’une quelconque réciproque n’existe côté Bruxelles.

Volkswagen semble tendre aux négociateurs du TAFTA — et à la justice américaine — le bâton pour se faire battre

Et là, Volkswagen semble tendre aux négociateurs du TAFTA — et à la justice américaine — le bâton pour se faire battre.

Car j’ai du mal à croire — c’est un avis tout personnel — que les constructeurs tels que General Motors, Ford, Chrysler, Toyota, sans oublier les organismes de contrôle américains, n’aient pas analysé, décortiqué sous toutes leurs coutures les performances des diesel 4 cylindres équipant les Volkswagen et les Audi vendues aux Etats-Unis.

Cela reviendrait à supposer que les concurrents de VW ne disposent dans leurs effectifs d’aucun informaticien assez trapu pour détecter un tel dispositif après avoir disséqué — et ils le font tous, comme vous seriez les premiers à le faire à leur place — l’informatique embarquée sur les véhicules concurrents.

Je me demande — et ne grave aucune réponse dans le marbre — si la présence du logiciel "falsificateur" n’était pas un secret de polichinelle, tenu bien au chaud pour servir au moment opportun… et porter ainsi un coup sévère à un constructeur européen qui venait tout juste de souffler la place de n°1 mondial à Toyota.

▪ De Volkswagen à Petrobras… en passant par Dexia
Pour en revenir à des tests conçus pour ne donner aucun résultat probant, Volkswagen a peut-être exploité — maladroitement — une faille… mais que dire des stress tests menés par la Fed puis la BCE depuis 2009 !

N’ont-ils pas été conçus pour faire surgir des niveaux de solidité bancaires aussi éloignés de la réalité que les tests de pollution en vigueur depuis des décennies ?

Et en dépit de stress tests conçus pour que 98% des établissements de crédit reçoivent le label "bon pour le service"… certaines banques n’ont-elles pas triché en dissimulant des cadavres financiers dans le hors bilan ou via de savants montages destinés à doper le montant apparent de leurs fonds propres ?

La Fed ou la BCE ont-elles déchaîné les foudres de la justice sur ceux qui ont fait faillite au cours des mois suivants — comme Dexia, comme Banco Esperito Santo ? Rappelons que pour cette dernière, le renflouement a fait exploser l’endettement du Portugal qui voit sa situation budgétaire faire un grand bond en arrière pour renouer avec les pires niveaux des années 2011/2012…

D’où mon impression que Volkswagen — malgré une tricherie pas jolie-jolie — fait office de bouc émissaire à un moment particulièrement opportun des négociations transatlantiques.

Nous pouvons être certains que toutes les voies de recours juridiques contre Volkswagen vont être exploitées

Mais comme nous l’avons vu avec BNP Paribas, avec UBS ou avec Crédit Suisse, et depuis peu Petrobras, la justice américaine ne va rien lâcher. Nous pouvons être certains que toutes les voies de recours juridiques contre Volkswagen vont être exploitées, y compris par les concurrents, y compris par les gérants de fonds de retraite qui vont porter plainte contre les dirigeant de VW pour tromperie… et qui seront imités par des milliers d’actionnaires mécontents (regroupés en class action pour le plus grand profit de cabinets d’avocats spécialisés dans ce genre de procédures).

Le scénario de l’horreur ne s’arrête pas là pour Volkswagen. Ses véhicules trop polluants pourraient être immobilisés aux Etats-Unis comme en Allemagne, le temps de les équiper de dispositifs leur permettant de respecter les normes d’émissions annoncées.

Au pire du pire, ce sont non pas 450 000 véhicules aux Etats-Unis mais 11 millions dans le monde qui vont être rappelés pour être débarrassés du logiciel incriminé (ce sera déjà un record du monde). Ils pourraient en outre devoir faire l’objet d’une transformation de tout le système d’échappement, ce qui devrait se chiffrer à 1 000 euros par véhicule (pièces et main-d’oeuvre) — soit au bas mot 11 milliards d’euros (l’équivalent d’un an de bénéfices, cela ne ruinera pas le groupe).

Volkswagen annonce avoir provisionné la moitié de cette somme (six milliards… de dollars). Cela ne couvrira probablement qu’une partie des amendes qui lui seront infligées aux Etats-Unis : il ne serait pas surprenant que les vendeurs insistent et sévissent à la moindre occasion.

Le scénario baissier est difficile à prédire, faute de précédent historique.

Pour l’heure, VW a perdu exactement autant de terrain (-61%) que BP entre son zénith historique des 80 euros en novembre 2007 et juin 2010 (explosion de la plateforme Deep Water Horizon dans le golfe du Mexique)… mais en seulement cinq mois, et non cinq semestres.

Lors de l’accident d’avril 2010, BP avait perdu la moitié de sa valeur en trois mois et non en trois jours… et la responsabilité de la fuite était partagée avec d’autres prestataires. VW, elle, va devoir assumer seule les conséquences du scandale.

Donc rien ne garantit que 61% sera le maximum de pertes encourues d’ici fin 2015.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile