La Chronique Agora

Voitures, bières et économie de marché

** "Je n’achèterai plus jamais de voiture américaine", disait hier l’un de nos collègues américains. "La qualité n’est pas au rendez-vous…"

* D’un autre côté, nous avons un ami français qui jure que sa Corvette est la voiture la moins embêtante qu’il ait jamais possédé.

* Qui fabrique les meilleures voitures ? Nous n’en savons rien. Mais nous n’avons pas à le savoir… nous nous contentons de laisser M. le Marché décider.

* Nancy Pelosi, en revanche, veut faire mieux que M. le Marché. Elle veut décider quels constructeurs survivront et lesquels mourront. Les laisser faire faillite est "bien évidemment hors de question", déclare Nancy Pelosi.

* Hors de question ? Peut-être. Bien évidemment ? Pas du tout.

** A la Chronique Agora, nous savons que M. le Marché est partisan de la peine de mort. Lorsqu’il pense que quelqu’un a mal agi, il l’envoie à l’échafaud. Actuellement, c’est General Motors et Chrysler qui vont à la potence. Mais Nancy Pelosi a raison ; le Congrès ne peut que venir à leur secours.

* Les dirigeants du secteur automobile des Etats-Unis sont retournés à Washington la semaine dernière. On dirait qu’ils ont perdu le procès lorsque M. le Marché présidait. Ils font désormais appel auprès du Congrès.

* Mais ce dernier ressemble plus à une foule en colère qu’à un juge. Il ne réfléchit pas, pas plus qu’il ne pèse soigneusement les preuves. Et il n’est certainement pas aveugle. Non, le Congrès américain réagit… comme une foule… instinctivement, et bêtement.

* Les syndicats ne veulent pas voir couler General Motors ou Chrysler. Ils mangent à ce râtelier depuis longtemps ; ils ne veulent pas que ça cesse. Les actionnaires non plus ne souhaitent pas la faillite ; ils ont de l’argent en jeu. Les dirigeants non plus… ni les sous-traitants, ni les concessionnaires ou les secteurs de services liés à l’automobile… ou les centaines de milliers de personnes qu’ils emploient.

* Ils ont tous "un intérêt", disent-ils. Et ils sont prêts à récompenser les membres du Congrès qui les aideront à protéger leurs "intérêts"… et à punir ceux qui ne les aideront pas.

* Naturellement, tous disent croire à la libre entreprise… et à l’économie de marché. Mais tous vous diront que dans le cas présent, les circonstances sont particulières. Les gens ont toujours d’excellentes raisons pour justifier le fait que les règles d’une société libre ne s’appliquent pas à eux… du moins pas tout de suite.

* Les gouvernements ne tarderont donc probablement pas à intervenir, cher lecteur. Les dinosaures de Detroit seront donc maintenus en vie. Au moins pour l’instant.

* Mais comment ? Ces bestiaux ont un gros appétit. Qui va les nourrir ? Avec quoi ?

* Hélas, cher lecteur… il y a toujours un souci… une mouche dans la confiture… une fêlure. Cognez assez fort… et tout s’effondre.

* Il n’y a qu’une quantité limitée de ressources dans le monde — une certaine quantité de travailleurs… de tonnes d’acier et de barils de pétrole. Dans une vraie économie de marché, les gens ordinaires décident de la manière dont tout cela sera utilisé. Ils votent avec leur argent. Ils achètent une bière, par exemple… et envoient un signal au monde entier : "c’est de la bière que nous voulons !" Les cultivateurs de houblon se mettent donc au travail… les camionneurs camionnent… et les brasseurs brassent. La "main cachée" dirige les ressources là où elles sont nécessaires. Les gens obtiennent ce qu’ils veulent.

* Et puis voilà qu’arrive le Congrès américain… dans toute sa majesté. "Peu nous importe ce que dit M. le Marché", déclare-t-il, "les gens auront des voitures de Detroit". Et l’argent qui serait passé dans la fabrication de bière est détourné vers le secteur automobile. Les ressources suivent l’argent. Les camions de livraison d’acier partent vers les usines automobiles, non vers les brasseries. Le pétrole qui aurait pu être utilisé par une distillerie est ponctionné pour alimenter une usine de voitures. Les capitaux qu’on aurait pu employer à construire plus de brasseries sont en fait utilisés pour soutenir de vieilles chaînes de montage à Detroit. Ensuite, le consommateur paie sa bière plus cher — parce que les brasseurs n’ont pas augmenté la production — et son automobile aussi… Detroit sait que le jeu est truqué en sa faveur ; pourquoi se donner la peine de baisser ses coûts ?

* Bien entendu, subventionner le secteur automobile national, c’est exactement ce que les économistes recommandent aux autres pays de ne PAS faire depuis des décennies. En général, les pays oubliés d’Afrique ou d’Amérique latine veulent tous leur propre compagnie aérienne et leur propre secteur automobile. Leurs citoyens pourraient parfaitement acheter leurs berlines sur le marché libre… et compter sur le secteur aérien privé pour les transporter. Mais où est le prestige ? Où sont les contrats juteux… les dessous-de-table… l’aubaine… les bakchich ?

* Un rapport publié la semaine dernière critiquait le département au Trésor des Etats-Unis pour n’avoir pas de contrôles adéquats sur son programme de donations de 700 milliards de dollars. L’argent sera peut-être gâché… "mais moins qu’il ne le devrait selon des procédures adéquates", ont déclaré les critiques.

* Ainsi la grande lutte contre la nature continue. L’Ere de la Bulle est terminée. Des sauvetages… des subornations… des supercheries — bienvenue dans la libre-entreprise à la mode américaine, circa 2008.

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