Les idées véritablement neuves sont rares. Les bonnes idées le sont encore plus. Les bonnes idées concernant l’argent — sauf celles que nous avons eues nous-mêmes — ne se manifestent presque jamais.
Aujourd’hui, nous nous tournons vers Aristote, avec ce texte de Van Bryan, un de nos amis de Classical Wisdom Weekly, afin de jeter un regard sur ce qu’est supposément la monnaie (l’argent).
Pour l’Occident, la Grèce Antique fut l’ère des grandes premières.
Premier gouvernement démocratique ? Oui.
Premiers chefs-d’oeuvre de la littérature ? Oui.
Premières universités ? Oui et oui. Platon et Aristote ont fondé des écoles au cours de l’Epoque classique.
Il n’est donc pas étonnant que les Grecs de l’Antiquité aient également frappé certaines des premières pièces de monnaie du monde occidental.
Il est peut-être encore moins étonnant que, presque aussitôt, le premier scandale lié à une escroquerie et à une version antique du complexe militaro-industriel ait eu lieu.
Vous voyez… nous sommes vraiment influencés par les Grecs.
Les anciennes drachmes grecques ont été communément utilisées à partir de l’Epoque archaïque (aux environs de 600 av. J.-C.), jusqu’à l’Empire romain. Au départ, les pièces de monnaie anciennes étaient en électrum (ou or pâle), un alliage naturel, mais avec le temps, l’or et l’argent furent privilégiés
L’influence économique grandissante des Grecs, au cours du 5è siècle, fit de l’ancienne drachme une monnaie communément acceptée dans toutes les contrées alors connues.
On a retrouvé des pièces anciennes en Egypte, à Rome et en Syrie. Elles sont même parvenues jusqu’aux lointains territoires celtes.
Jusque-là, tout cela n’a rien de compliqué. Mais à présent, préparez-vous à réfléchir : nous allons passer aux choses philosophiques.
Ce que la monnaie n’est pas…
Aristote, personnage que l’on considère souvent comme le philosophe le plus prolifique et le plus influent du monde occidental, nourrissait quelques idées en ce qui concerne la monnaie.
A la différence de Platon, son prédécesseur et professeur, Aristote ne ressentait pas le besoin de justifier l’existence de la monnaie. Aristote, pragmatique, considérait que la nécessité de la monnaie allait de soi.
« A mesure que ces rapports de secours mutuels se transformèrent en se développant, par l’importation des objets dont on était privé et l’exportation de ceux dont on regorgeait, la nécessité introduisit l’usage de la monnaie. »
C’est important : Aristote n’affirmait pas que la monnaie était la richesse, mais plutôt qu’elle la représentait.
« En effet, un homme, malgré tout son argent, ne pourrait-il pas manquer des objets de première nécessité ? Et n’est-ce pas une plaisante richesse que celle dont l’abondance n’empêche pas de mourir de faim ? Comme ce Midas de la mythologie, dont le voeu cupide faisait changer en or tous les mets de sa table. »
Pour Aristote, la monnaie représente des olives dans le verger, des urnes en terre cuite, du vin provenant de la vigne. La monnaie n’était pas la richesse, mais une façon de la mesurer.
… Mais ce qu’elle devrait être : ses cinq caractéristiques
Je vous l’accorde, nous venons d’évoquer ce que la monnaie n’est pas. Alors, qu’est-ce que la monnaie ?
Eh bien Aristote dit qu’idéalement, la monnaie devrait avoir les cinq caractéristiques suivantes…
- Durable : elle doit survivre aux épreuves et péripéties quotidiennes de l’existence, liées au fait qu’on la transporte partout, dans les poches, les porte-monnaie, voire dans la bouche des personnes qui viennent de mourir.
- Transportable : un petit élément doit avoir une grande valeur.
- Divisible : si l’on casse une pièce de monnaie, que ce soit au sens figuré ou au sens propre, sa valeur relative ne doit pas être altérée.
- Fongible : remplaçable par quelque chose de même nature. Autrement dit, peu importe la pièce de monnaie spécifique que vous possédez, du moment que vous en possédez une.
- Avoir une valeur intrinsèque : la matière dans laquelle la pièce de monnaie est réalisée doit être une matière première de valeur (on frappe des pièces dans de l’or, pas du béton).
L »histoire nous a enseigné qu’ignorer ce cinquième principe peut se révéler particulièrement désastreux.
La Crise du IIIème siècle
Au tout début de l’Empire Romain, à partir de 27 av. J.-C., la monnaie que privilégiaient les Romains était le denier (denarius, en latin) d’argent. Le premier empereur romain, Auguste, frappa des pièces composées à 95% d’argent.
Ah mais pourquoi ne pas améliorer une bonne idée à l’aide d’un peu de manipulation monétaire ?
Ces pièces de monnaie ont été dépréciées au cours des siècles : à tel point qu’en 268 apr. J.-C., on ne comptait plus que 0,5% d’argent dans ces deniers. Interrogé à propos de la dévaluation de la monnaie, l’empereur Caracalla (qui régna de 198 à 217 apr. J.-C.) brandit son épée et déclara :
« Ne vous inquiétez pas. Tant que nous avons cela [en désignant l’épée], nous ne serons pas à court d’argent »
[NDLR : Le sort de l’euro est certes incertain, mais celui du dollar aussi car les Etats-Unis s’engagent financièrement dans une fuite en avant avec les dépenses de Trump. La seule puissance militaire américaine suffira-t-elle à contraindre la Chine, la Russie ou d’autres à continuer à négocier en dollar ? En cas de nouvelle crise monétaire internationale, l’or retrouvera son rôle et vous devriez absolument en posséder. Pour tout connaître de la future crise monétaire, savoir quel type d’or détenir et sous quelle forme, lisez ce livre de Jim Rickards, Le Nouveau Plaidoyer pour l’or.]
Que pensez-vous de cette politique monétaire ?
Même les économistes actuels peuvent bien imaginer ce qui arriva ensuite.
L’Empire subit une hyperinflation galopante. Au cours de cette période, les prix flambèrent jusqu’à 1 000%. C’est ce que l’on appelle souvent « la crise du IIIeme siècle ». Au cours des 50 ans qui suivirent, 26 hommes différents allaient revendiquer le pouvoir, souvent par intervention militaire. Quant à l’empereur Caracalla, en 217 apr. J.-C., ses propres soldats le poignardèrent à mort alors qu’il s’était arrêté pour soulager sa vessie.
L’histoire est réellement fascinante…
C’est peut-être Edward Gibbon, historien du XVIIIème siècle, qui résume le mieux la folie, lorsqu’il remarque que la grande question, en ce qui concerne l’empire romain, ce n’est pas qu’il ait sombré, mais plutôt qu’il ait tenu bon aussi longtemps !
Au cours des siècles, il s’est révélé que les grands penseurs avaient tort (Aristote soutenait que les mouches avaient quatre pattes et que les femmes avaient moins de dents que les hommes). Donc, par moments, la société n’a pu progresser qu’après avoir rejeté les affirmations d’Aristote. Ses idées concernant une monnaie saine se rangent-elles dans cette catégorie : un ramassis philosophique obsolète ?
Ou bien représentent-elle une sagesse qui a fait ses preuves au fil de toutes les époques ?