La Chronique Agora

La vertu de l’erreur

▪ « Je lui ai dit de ne pas se remettre avec elle », a dit Calvin.

Calvin était notre premier employeur. Nous avons commencé à travailler à 16 ans, en 1964. C’était un peintre en bâtiment. Il adorait bavarder, plaisanter, chanter… C’était un plaisir de travailler pour lui. Il connaissait tout le monde. Et les affaires de tout le monde. Il avait aussi son propre code de conduite, qu’il ne rechignait pas à partager.

« Je lui ai dit de ne pas se remettre avec elle. Si une femme part une fois, elle repartira. De toute façon, quand on a une femme dont on s’inquiète, c’est qu’on n’a pas une femme qui vaille qu’on s’inquiète pour elle ».

C’était un jugement terre-à-terre. Probablement sensé.

« Alors que s’est-il passé ? »

« Elle est repartie. Avec le même type ».

« Oh… et alors, qu’est-ce qu’il a fait ? »

Tommy, le mari, avait choisi l’approche philosophique.

« Oh, Tommy m’a dit qu’il ne le prenait pas personnellement. C’était juste ce genre de femme. On ne pouvait pas lui faire confiance ».

Tommy avait peut-être retenu une leçon précieuse de cette expérience, ou pas. Mais c’est la vie. On vit. Et on apprend. Ou pas. On peut faire un véritable gâchis. On peut apprendre une leçon. On avance…

Lorsqu’il est seul, les erreurs d’un homme ne dépassent généralement pas le cercle familial. Elles sont « corrigées » par la vie. Il plie… généralement pour se relever plus fort. Ou il est brisé. On fait des essais et des erreurs. On tente des choses ; si ça ne fonctionne pas, on sent l’aiguillon de la défaite. On perd de l’argent. On perd un ami. Notre entreprise ou notre carrière se retrouve mise à mal.

Mais si on n’essaie rien… si on ne fait pas d’erreurs… on ne va nulle part et on n’apprend rien.

Supposez qu’on ne souffre jamais de nos propres erreurs. Supposez que ce soit quelqu’un d’autre. On met la main dans les flammes sans ressentir la moindre douleur. Mais quelqu’un en Sicile a des cloques. On investit imprudemment et quelqu’un à Sydney perd de l’argent. On montre ses fesses au maire lors de sa prochaine conférence de presse… et quelqu’un se fait arrêter à Malmö.

Qu’apprendrions-nous de la sorte ?

▪ Un gouvernement, en revanche…
Lors de nos rares discours, nous utilisons une petite phrase qui fait généralement rire :

On peut faire soi-même un beau gâchis, mais si on veut vraiment un gigantesque désastre, il faut le soutien du gouvernement.

Réfléchissons-y. Est-ce vrai ?

Les gouvernements sont les plus grandes institutions de la planète. Quand on parle de catastrophes à grande échelle, on parle nécessairement de gouvernements en action.

Mais y a-t-il des raisons de penser que les gouvernements font plus souvent des erreurs que les entreprises ou les ménages ? Les erreurs des gouvernements sont-elles plus grosses qu’elles le devraient, proportionnellement ?

Bizarrement, à notre connaissance, ces questions n’ont jamais été abordées sérieusement.

Les « conservateurs » modernes supposent que le gouvernement est sujet aux erreurs — sauf s’il botte le train de quelqu’un, au niveau national ou à l’étranger.

Les « libéraux » modernes pensent que le gouvernement devrait botter le train de plus de monde — à domicile. Ils veulent que les autorités s’attaquent aux grandes entreprises… aux riches… et à quiconque n’est pas assez écolo.

Pourquoi a-t-on besoin d’un gouvernement pour réussir une catastrophe majeure ? Est-ce uniquement parce qu’il est gros… et donne des coups de pied ?

Pas exactement. Mais presque. Les institutions plus petites, plus civilisées — y compris les individus eux-mêmes — font abondance d’erreurs. Mais ces dernières sont généralement corrigées avant de devenir des désastres majeurs.

Disons que vous faites des erreurs d’investissement. Vous achetez de la dette adossée aux prêts hypothécaires subprime en 2007. Et puis boum ! Le marché s’effondre. Vous perdez tout votre argent. Les mauvaises décisions s’auto-corrigent. Bientôt, vous n’avez plus d’argent. Vous ne pouvez plus prendre de mauvaises décisions d’investissement.

Ou disons que vous pensiez que le monde finirait le 21 décembre 2012, comme les Mayas semblaient le suggérer ? Vous avez sauté d’un immeuble juste le jour J… espérant échapper à la catastrophe… Eh bien, problème résolu !

Ou peut-être que votre mariage va mal. En bon catholique, vous tenez bon. Vous serrez les dents. Et puis votre femme s’enfuit avec le prêtre. On ne vous y reprendra plus !

Dans le monde privé, les problèmes se règlent d’eux-mêmes. Les entreprises mal gérées font faillite. Les gens qui font des erreurs ne les répètent généralement pas. Les mauvais conducteurs paient un malus. Les mauvais cuisiniers perdent leur emploi. Les mauvais économistes deviennent président de la Fed (oups… ça, c’est une autre histoire).

Ceci est dû au fait que les erreurs qu’on commet dans la vie privée sont subies en majeure partie par les gens qui les commettent… et ceux qui les entourent. C’est une boucle : vos erreurs vous reviennent — avec des intérêts. Vous sentez la douleur. Vous subissez la perte. Vous grimacez d’embarras et de honte.

Mais dans de plus grandes institutions, et même dans de nombreuses entreprises privées, la boucle est souvent déformée. Des gens font des erreurs. D’autres souffrent. Forcément, ces erreurs sont détectées moins rapidement et corrigées plus lentement. C’est ainsi qu’elles deviennent si gigantesques : elles ne sont pas aisément corrigées.

Nous en reparlerons !

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