La Chronique Agora

Vers une résurgence de la rage de vendre ?

** Le pitbull dénommé récession ne lâche pas prise ; sa morsure au niveau du taux de chômage américain (7,2% en décembre) a déchiqueté le fragile matelas de confiance que Wall Street était parvenu à regonfler depuis Noël.

Le marché de l’emploi semble victime de perforations multiples et l’air s’en échappe de toutes parts : aucun secteur d’activité n’est épargné.

Une myriade d’entreprises américaines se déleste d’effectifs réputés superflus avec la même désinvolture que des vacanciers sans scrupule abandonnent leur animal domestique sur les aires d’autoroute un week-end de grand départ du 14 juillet. Si l’image vous semble exagérément cruelle ou dramatique, penchez-vous sur les centaines de milliers de licenciements non point économiques mais d’anticipation orchestrés au quatrième trimestre : le cynisme à l’état pur montre les crocs !

Nous voulons bien croire que la crise frappe durement l’échine du secteur financier, du secteur automobile et des loisirs mais une accélération de 1,53 million de chômeurs en trois mois contre un million au cours des mois précédents, de tels chiffres frappent l’imagination et le ratio de progression — quasiment géométrique — dépasse celui des épidémies de grippe les plus virulentes.

Dans de nombreux cas — que nous découvrons au fil des témoignages de correspondants et amis américains ou britanniques –, les plans de réduction d’effectifs ne trouvent aucune justification dans "la situation présente" constatée par l’entreprise : ils visent simplement à préserver ses marges. La crise a bon dos lorsqu’elle permet d’améliorer une rentabilité qui n’est que marginalement compromise.

En revanche, il apparaît à peu près certain que si ce genre de pratique se généralise — et nous recueillons un faisceau d’indices allant dans ce sens –, alors, oui, la conjoncture sur le marché du travail, qui impacte directement la consommation, sera tellement épouvantable d’ici le second semestre que tous les plans sociaux actuels seront jugés timides en regard des futures difficultés qui nous attendent.

Barack Obama redoute l’emballement de cette spirale de destruction d’emplois qui rend la récession auto-réalisatrice, et il s’en est entretenu avec G.W. Bush. L’une des dernières décisions de ce dernier en tant que président du chef de l’administration républicaine sera d’exhorter le Congrès à débloquer les 350 milliards de dollars figurant encore au crédit du TARP afin qu’ils soient réaffectés et mis à la disposition des PME et PMI qui en feront la demande — et il n’est pas exclu que les particuliers menacés de saisie/expropriation puissent également en bénéficier.

** Pour l’heure, les rumeurs concernant de nouvelles pertes et dépréciations d’actifs vont bon train alors que le sidérurgiste Alcoa ouvrait lundi soir le bal des trimestriels — que nous hésitons à qualifier prématurément de tragique… même si un large consensus va dans ce sens.

Avant même d’avoir lu les premières lignes du rapport d’activité, les investisseurs ont expédié Alcoa 9% plus bas que vendredi soir (et le titre avait déjà chuté de 5% à la veille du week-end) et 12% en deçà des niveaux du 1er janvier : ça promet !

Et ce ne sont que peccadilles en comparaison du plongeon de Bank of America (-11% sur un abaissement de recommandation) ou de Citigroup (-20% en toute fin de séance lundi, à 5,5 $), soupçonné de préparer la vente de la pépite Smith Barney après l’annonce d’une fusion des activités de courtage avec Morgan Stanley.

La troisième semaine boursière de l’année débute donc par une chute de 2% du S&P 500 et du Nasdaq 100, ce qui achève d’effacer les derniers gains résiduels tandis que le Dow Jones, avec une perte de 1,3% hier, affiche -3,5% depuis le 1er janvier.

** Les places asiatiques ne sont pas mieux loties. La Bourse de Bombay, plombée par le scandale Satyam, a connu une entame d’année exécrable. Hong Kong, qui chutait de 3% lundi, basculait également dans le rouge sur l’exercice 2009.

Il faut préciser que la conjoncture chinoise n’est pas aussi souriante que le présentent les autorités depuis Pékin. Elles continuent en effet de tabler sur le ratio magique de 8% de croissance cette année, le "huit" étant, dans l’Empire du Milieu, un chiffre porte-bonheur qui favorise réussite et richesse.

Nombre d’économistes haussent les épaules et disent s’attendre à une hausse du produit intérieur brut (PIB) limitée à 5% en 2009, assortie d’un déficit budgétaire frôlant les 18% (voire les 20%) en raison d’une stagnation de la production industrielle et d’une chute des exportations à destination de l’Europe et des Etats-Unis.

Si ces prévisions alarmistes se confirmaient, cela provoquerait un véritable séisme (faillites en cascade et chômage de masse) préjudiciable à l’ensemble des pays de la zone et en premier lieu à la Corée, Taïwan ou Singapour.

Conscientes du danger d’explosion du mécontentement populaire, les autorités chinoises mettent en oeuvre un régime de sécurité sociale qui doit remplacer la maigre couverture offerte par les entreprises d’Etat (censées ne jamais licencier) ainsi qu’une augmentation de 10% des retraites.

Les allocations chômage ont coûté 20% de plus qu’en 2007 ; le ministre des Finances, Xie Xuren, a annoncé que l’allocation minimum de subsistance va augmenter de 4% à 6%. Elle sera ainsi portée à 410 yuans (divisez ce montant par 10 pour obtenir l’équivalent en euros) pour les habitants des villes et 170 yuans pour les Chinois résidant en zone rurale.

De tels efforts semblent dérisoires en regard d’une inflation qui a dépassé les 7% en moyenne l’an dernier et plus de 10% en ce qui concerne les denrées alimentaires — ruineuses pour les travailleurs pauvres et les millions de salariés licenciés. A l’épreuve des J.O. financiers consistant à supporter le coup de frein conjoncturel le plus brutal en 2009, la Chine ne serait pas loin de revendiquer — une fois de plus — la plus haute marche du podium.

** La France n’a pas l’intention de la lui disputer et espère toujours échapper à un scénario de récession grâce à la bouillonnante maestria des hôtes de Bercy et de l’Elysée. Si nous n’en étions pas totalement convaincus (ah bon, vous non plus ?), nous décortiquerions les derniers chiffres conjoncturels hexagonaux avec angoisse.

La situation de trésorerie dans l’industrie s’est de nouveau fortement dégradée au cours du second semestre de 2008, selon les chefs d’entreprise interrogés par l’Insee. L’institut de statistiques rapporte que le solde d’opinion correspondant chute de 12 points et s’établit à son niveau le plus bas depuis 1985.

La Bourse de Paris n’a pas apprécié, c’est certain, mais la tendance s’est nettement dégradée peu avant l’ouverture de Wall Street, alors que le pétrole (WTI) dévissait littéralement dès l’ouverture à New York. Le baril chutait en effet rapidement de 5% (sous les 40 $) puis de 7% (sous les 37,50 $).

Le CAC 40 a donc nettement enfoncé le support court terme des 3 270 points et aligne une quatrième séance de repli consécutive. Ce mouvement de consolidation constitue en quelque sorte le pendant des six séances de hausse observées entre le 29 décembre et le 6 janvier. A 3 246 points, le CAC 40 ne conserve que 0,9% de gain depuis le 1er janvier ; les 3 217 points pourraient être retestés dès aujourd’hui.

Pour terminer cette Chronique sur la même tonalité que le premier paragraphe — c’est-à-dire sur une dernière (et bien piètre) image empruntée à la terminologie canine –, les marchés sont aux abois, la caravane boursière trépasse.

Alors à quand la rage de vendre ?

Philippe Béchade,
Paris

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