** Les places boursières se refont une petite santé ! Les mauvaise langues prétendent que c’est sur le dos de la Société Générale qui a « bradé le papier » pendant trois jours (du 21 au 23 janvier)… Les augures semblent en tout cas favorables en cette dernière journée de réunion de la Fed, qui se tient à 48 heures de la publication des chiffres de l’emploi aux USA du mois de janvier.
Nous gageons que Ben Bernanke et ses collègues se sont fait communiquer quelques précieuses indications concernant l’évolution du marché du travail début 2008, ce qui devrait leur permettre de motiver leur décision de réduire une seconde fois le prime rate en l’espace d’à peine huit jours ou de maintenir le statu quo à 3,5%.
La Fed serait bien inspirée de se ménager une marge de manoeuvre dans l’hypothèse où de nouvelles pertes (supérieures ou égales à cinq milliards d’euros) seraient dévoilées par les banques américaines au cours des prochaines semaines. Pertes liées notamment à l’effondrement de certains dérivés de crédit immobilier, comme nous allons le voir dans les prochains paragraphes.
** Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, nous ouvrons une petite parenthèse — en guise de mise en condition — consacrée à l’indice de confiance des consommateurs américains concocté par le Conference Board. Il se replie de nouveau au mois de janvier, à 87,9 contre 90,6 le mois dernier (au lieu de 88,6 initialement). Les personnes sondées pointent du doigt l’inflation et la dégradation du marché de l’emploi.
En France, le tableau apparaît encore plus sombre : selon l’enquête mensuelle de l’INSEE, la chute du moral des ménages français s’établit à 4 points en janvier et le baromètre principal affiche désormais -34 (contre -13 six mois plus tôt).
Ceci constitue la chute la plus rapide depuis 20 ans et le plus mauvais score algébrique depuis 15 ans. Et ce n’est pas tout ! La sous-composante « perspectives de niveau de vie » plonge de 12 points à 44 points, ce qui est le pire niveau de défiance jamais enregistré depuis 1987 !
Le pouvoir d’achat des Français est en berne, bien au-delà des conséquences induites par les chiffres officiels de l’inflation. Les banques referment les vannes du crédit depuis le milieu de l’été et cela se traduit par un quintuplement du taux de rejet des dossiers de demande de crédit immobilier (15% à 16% contre 3% à 4% en juin dernier).
Plus d’un quart des candidats à la pleine propriété doivent renoncer à leur projet d’achat (source notariale) en Ile- de-France, et les promoteurs enregistrent des taux de renonciation qui n’avaient plus été observés depuis le milieu des années 90.
Si le chiffre global des mises en chantier est demeuré stable autour de 435 000 en 2007, les demandes de permis de construire ont reculé de pratiquement 5% dans l’Hexagone au mois de décembre et de 17,5% pour l’ensemble du quatrième trimestre 2007.
Vous trouvez ces chiffres sévères — et l’Ile-de-France n’est pas la France ?
Rassurez-vous, nous sommes encore loin de la situation de crise qui règne aux Etats-Unis !
Wall Street n’a pas fini d’essuyer des sueurs froides au sujet du secteur immobilier avec l’explosion du taux d’incidents de remboursement qui affecterait 2% des dossiers en général — et plus de 15% des prêts subprime.
Le taux de saisies/expulsion a doublé en un an, cela, vous le saviez. Mais dans le détail, cela donne 200 000 procédures de saisiepar mois au cours du deuxième semestre 2007 pour un total annuel record de 1,3 millions — dont pas moins de 250 000 saisies/ventes aux enchères rien que pour l’état de Californie, qui détient haut la main le record national.
Les prix négociés se sont effondrés de 8,5% en moyenne dans les dix plus grandes villes du pays en un an, une chute encore plus spectaculaire qu’en 1991. La plus forte baisse mensuelle fut enregistrée à Los Angeles (-3,6%) au mois de novembre dernier.
En ce qui concerne les ménages les plus impactés par la crise immobilière, les spielers du Nevada — et en particulier les gamblers de Las Vegas reconvertis dans la pierre — sont largement en tête du classement des investisseurs les plus mal avisés : 3,4% des ménages font l’objet d’une procédure d’expulsion, 3% ont déjà vu leur patrimoine liquidé.
Il existe des quartiers entiers de maisons inoccupées ou dont les travaux d’achèvement ont été abandonnés, comme si la zone avait été déclarée radioactive. Certaines banlieues de Las Vegas ressemblent à de véritables villes fantômes.
La Floride est également très touchée avec 2% de ménages en faillite. 165 000 saisies/ventes aux enchères rien qu’en 2007 — soit un total quatre fois supérieur à 2006 –, le taux de foreclosure avoisine également les 2% dans l’Ohio et l’Illinois (industrie automobile en crise), puis dans l’Arizona et le Colorado.
La résidence secondaire écrasée de soleil et qui coûte une fortune en climatisation — ainsi qu’en adduction d’eau — ne fait plus rêver personne. Et à part bronzer tôt le matin puis tard dans l’après-midi ou aller faire ses courses en 4×4 lorsque la température retombe sous 40°, les distractions ne sont pas très nombreuses dans le désert !
Mais les déboires de spéculateurs naïfs — et souvent désargentés — émeuvent les autorités bancaires américaines. Comment ces personnes ont-elles pu accéder à des lignes de crédit qui n’étaient couvertes par pratiquement aucun apport personnel ? Comment les packages de mauvaises dettes ont-ils pu recevoir des notations « triple A » alors qu’il s’agissait de véritables junk bonds ?
** Mardi, deux grandes banques d’affaires new-yorkaises ont annoncé avoir reçu des demandes officielles d’informations et faire l’objet de plaintes liées à leurs activités sur le marché de la dette secondaire issue des crédits de type subprime.
La SEC (Securities and Exchange Commission) enquête notamment auprès de Goldman Sachs et de Morgan Stanley sur des opérations de titrisation, d’émissions de CDO (collateralized debt obligations) et autres produits exotiques (ABS, CDS, RMBS et autres folies douces).
La ville de Cleveland a même déposé une plainte au motif que les activités de titrisation et de crédit subprime de certaines banques d’affaires ont créé un « trouble public ».
Morgan Stanley — qui vient de voler au secours de la Société Générale — avoue même être visé par une class action (plainte en nom collectif) liée à son rôle de banquier conseil et chef de file dans le cadre d’émissions de CDO. Ces obligations avaient été lancées par New Century Financial — qui a fait faillite en mars 2007 — et Countrywide Financial, qui se bat pour survivre. Ce dernier ne parvient plus à maintenir son chiffre d’affaires, faute de disposer d’un ratio de couverture « tiers 1″suffisant pour lui permettre d’allouer des crédits et donc de faire face à ses engagements.
Nous ne sommes pas loin de penser qu’au-delà des pertes liées aux subprimes, le coût induit par la multiplication des plaintes et actions en justice pourraient rapidement s’avérer insupportable pour nombre de banques qui ont poussé le bouchon trop loin. Le recours à la protection de la loi sur les faillites pourrait s’imposer. Et dans ce cas — puisque le débiteur est délivré temporairement de ses obligations envers ses créanciers –, un « effet domino » pourrait provoquer un phénomène de faillites en cascade qui n’avait plus été observé dans le monde depuis la crise des caisses d’épargne américaines en 1984 et 1985.
Vous pensez que nous exagérons ? Imaginez l’impasse dans laquelle se retrouvent actuellement des établissements de crédit américains qui doivent trouver de l’argent frais — qui leur est facturé 10% ou plus — auprès de fonds souverains. Ajoutez aux pertes sur des engagements « hors bilan »(non encore dévoilées) de lourdes peines pour non-respect des procédures, abus de confiance, etc., et vous obtenez des situations à côté desquelles les déboires de la Société Générale passeront pour des peccadilles !
Vous conviendrez que l’actuel rebond des marchés boursiers pourrait — dans ces conditions — ne constituer qu’un épiphénomène dans une tendance qui demeure largement baissière.
Philippe Béchade,
Paris