La crise du logement – multifactorielle – est plus sévère que vous ne l’imaginez.
Si le secteur immobilier peut servir d’indicateur avancé d’une récession à venir en Europe, le tableau est particulièrement saisissant en Allemagne où les prix chutent de 6,8% en moyenne sur 12 mois, et même de 10% à Berlin. C’est du jamais vu depuis les années 1990, et en tout cas, pas au XXIè siècle, même lors de la crise des subprime.
C’est la conséquence la plus visible de la hausse des taux : la demande de crédit immobilier a chuté de 50% en un an. Pratiquement plus aucun dossier n’est validé, avec des taux désormais supérieurs à 4% (plus les frais).
En France, le coup d’arrêt apparaît un peu moins brutal, avec une baisse de 25% des prêts accordés. Il y a cependant de fortes disparités, puisque pratiquement 100% des dossiers de primo-accédants sont rejetés.
Pour des emprunteurs mieux armés financièrement (avec un apport plus conséquent), le taux de rejet flirte tout de même avec les 50%, car le montant des mensualités passe allègrement la barre fatidique de 33% des revenus.
Avec un coût global (intérêts + assurances) du crédit à 4,50% sur 20 ans (contre 1,5% fin 2021), il faudrait que les prix immobiliers chutent d’un tiers pour que les acheteurs retrouvent leur pouvoir d’achat – en termes de mètres carrés – d’il y a 18 mois.
Du coup, l’immense majorité des Français renonce « à voir plus grand » et, même pour ceux qui ne visent pas plus grand, le manque de solvabilité les condamne à rester locataire.
Les causes s’accumulent
Cela se produit au moment même où des centaines de milliers de biens qualifiés de « passoires thermiques » (souvent par le jeu de critères par défaut absurdes) disparaissent administrativement du parc locatif, ce qui crée une pénurie comme la France n’en n’a plus connu depuis l’après Seconde Guerre mondiale.
Il est quasiment impossible pour un étudiant dont les parents ne sont pas très à l’aise financièrement de trouver un logement dans les grandes métropoles universitaires pour la rentrée de septembre… et cela relève du miracle sur Paris voire une bonne partie de l’Ile-de-France.
Et alors que la construction de logements à but locatif a déjà amorcé un grand plongeon avec la volatilisation des acheteurs solvables (victimes, eux aussi, de l’envolée des taux), sans parler de l’effondrement des rendements pour ceux qui « ont les moyens, mais plus l’envie », la situation va gravement empirer dès 2024, avec la suppression des enveloppes fiscales de type Pinel ou des prêts à taux zéro (pour les maisons).
La crise du logement va devenir une source de stress pour des centaines de milliers de jeunes et les familles à faible revenus. Ce sont bien des dizaines de milliers de Français en attente de logement social (500 000 demandes non satisfaites, et probablement 100 000 de plus d’ici fin 2023) qui risquent de se retrouver à la rue pour cause de pénurie… tout à fait assumée sur le plan politique.
Car aux messages d’alerte rouge des professionnels de la construction et des bailleurs sociaux, le gouvernement a répondu par un rapide « on supprime toutes les aides, la subvention de l’immobilier a assez duré, plus un euro d’argent public pour enrichir les (méchants) propriétaires, l’immobilier doit être une pure source de revenu pour l’Etat qui, comme chacun le sait, est déjà trop endetté ». Bruno Le Maire a d’ailleurs prévenu qu’il allait falloir se préparer à rembourser le « quoi qu’il en coûte » à partir de 2024. Ca sent le tour de vis fiscal sur l’immobilier à plein nez.
L’autre côté de la crise
Et pendant que l’Etat se prépare à harceler les petits propriétaires bailleurs (via des DPE encore plus exigeants, les taxes foncières à 20% par an, des surtaxes sur les biens inoccupés, etc.), dans le même temps, on déplore chez les investisseurs institutionnels – qui brassent des milliards – un excès d’offre qui est déjà qualifié de niveau de crise, avec une surabondance de mètres carrés dans l’immobilier de bureaux.
L’Ile-de-France compte déjà 4,5 millions de mètres carrés de bureaux vides (l’équivalent de 200 000 studios ou de 100 000 « 2 pièces »). Sur un an, les surfaces vacantes ont augmenté de 10%, mais cela masque de profondes disparités : Paris intra-muros garde la cote, notamment auprès des banques et du secteur du luxe. Le quartier de la Défense reste également très prisé, selon les professionnels du secteur. Ou plutôt, le taux d’occupation y chute moins vite qu’ailleurs : le taux de vacance approche les 15%.
En revanche, dans les quartiers d’affaires proches de Saint-Denis (« la couronne nord de Paris »), qui accueillera une bonne partie des participants aux Jeux olympiques, le taux de vacance dépasse les 18%.
Ce taux est comparable à celui de San Francisco ou New York (également avec des disparités impressionnantes : le pourcentage de locaux inoccupés atteint les 35 à 70% dans certains quartiers).
La situation semble clairement périlleuse aux Etats-Unis, où les effets du télétravail et de la hausse des taux engendrent une chute de 20% de l’immobilier commercial et une fuite des investisseurs d’une ampleur telle que le groupe Blackstone se retrouve contraint de limiter ou de geler les retraits de ses fonds immobiliers spécialisés.
A quand une situation comparable sur les SCPI de bureaux en France, sachant que les Etats-Unis nous précèdent souvent de 6 mois ?
Selon les calculs de BNP Paribas Real Estate, il faudra près de 7 ans pour absorber le stock de bureaux vides déjà recensés, et on ne parle que des deux pôles les plus dynamiques de la région parisienne : il y a également tout l’est, qui englobe Marne-la-Vallée, puis le sud avec Evry-Courcouronnes.
Faillite après faillite
Il n’est pas difficile de percevoir la gravité de la situation dans l’immobilier en jetant un œil au tableau des faillites depuis le début de l’année. Certes, la restauration paye le plus lourd tribut avec une hausse de 76% en un an, mais les PME liées au bâtiment ne sont pas en reste, avec 46% de faillites supplémentaires. Et la situation commence à rappeler celle de 2013, lorsque 100 000 emplois avaient été perdus dans ce secteur.
Notons que pour l’instant, ce sont surtout les faillites des grandes enseignes de distribution qui retiennent l’attention des médias, parce que ce sont des noms connus de tous. Ces derniers mois, nous avons ainsi pu voir passer André, Camaïeu, Go Sport, Gap, Kookaï, San Marina, Pimkie, la Halle aux vêtements, puis l’enseigne de lingerie Orcanta… et une grande incertitude pèse sur le nombre d’enseignes Casino qui survivront à la restructuration du groupe.
Comment imaginer qu’une telle prolifération de faillites ne soit pas annonciatrice d’une récession qui s’alimente de la crainte diffuse de perdre son emploi dans la plupart des secteurs cycliques dégageant de faibles marges.
Et c’est sans compter l’intelligence artificielle qui pourrait affecter 27% des salariés, c’est-à-dire justifier une suppression de poste et un remplacement par un algorithme qui travaille 24 heures sur 24 et 365 jours par an… sans commettre d’erreur.
Dans l’immédiat, l’intelligence artificielle est déjà mise à profit par Bercy pour optimiser les recettes fiscales. Elle pourra aussi servir à débusquer tous les propriétaires qui ont fourni des déclarations de revenus immobiliers incorrects, ou font de la rétention en ne louant pas des biens qui souvent nécessitent des frais de remise en état important. Pour ces derniers, autant vendre et encaisser la plus-value… sauf que désormais, c’est trop tard : les taux sont déjà trop hauts, et ils vont encore grimper !