La Chronique Agora

Ventes à découvert, rois nus et Fed bien embarrassée

** La liste des désastres bancaires, boursiers et macroéconomiques s’allonge chaque jour un peu plus et nous commencions à craindre que vous finissiez par vous lasser… même lorsque les scénarios catastrophe auxquels nous assistons ont été pronostiqués dans le bon ordre et dans les moindres détails plusieurs mois auparavant.

L’effet de surprise ne joue plus, la satisfaction de voir le ballet des mauvaises nouvelles exécuter la chorégraphie prévue s’émousse au fil des jours et des semaines. L’ennui est né un jour d’un quotidien devenu trop prévisible : imaginez le roi nu défilant sous vos fenêtres chaque matin !

Le public — et les rédacteurs de la Chronique Agora — réclament de la nouveauté… et pas forcément ce petit supplément d’anxiété géopolitique (Iran/Israël) ou ce frisson d’horreur lié à l’anticipation d’une faillite de Fannie Mae et de Freddie Mac (-27% à -25% respectivement en clôture hier). Sur ce dernier sujet, "Hank" Paulson soutient une nouvelle fois devant le Congrès américain que, à sa connaissance, les deux entités ne devraient pas devoir recourir dans l’immédiat aux guichets de liquidités mis à leur disposition par la Fed.

Promis juré, la situation n’a rien à voir avec celle de Bear Stearns au soir du 14 mars. Il dit peut-être vrai, mais le marché fait le pari que c’est sûrement pire, vus les enjeux financiers, (5 200 milliards de dollars, soit un tiers du PIB américain) !

Nous avions d’ailleurs déjà expliqué que le récent effondrement de certains piliers du système financier américain excluait à priori tout feu vert à une opération coup de poing au Proche-Orient. Ce sont les autorités chinoises qui doivent s’en féliciter car l’Iran demeure leur principal fournisseur de gaz.

Nous ne savons pas si les gérants "global macro" font désormais le même calcul ou si les prévisions pessimistes de Ben Bernanke au sujet de la croissance — elle sera sensiblement moins soutenue au second semestre 2008 — ont convaincu les spéculateurs que le pétrole avait atteint le maximum de son potentiel… toujours est-il que le baril vient de reperdre 6% en quelques heures après avoir brièvement franchi le cap des 147 $.

** L’or noir rechutait de 10 $, sous les 137 $ à la mi-journée sur le Nymex, ce qui coïncidait avec une spectaculaire remontée de Wall Street, parti avec un handicap de -2% dès les premiers échanges. Le Dow Jones a rebondi sur un nouveau plancher annuel de 10 830 points avant de se hisser timidement au-dessus des 11 100 points à mi-séance. Cependant, le S&P 500 a replongé de 1,1% en clôture dans le sillage de Bank of America (-8%), de Wachovia (-7%), de Wells Fargo (-5%), et de Citigroup (-4,5%).

Même en imaginant un tout autre scénario — de bons chiffres américains, une détente des taux courts, des commentaires rassurants de Ben Bernanke au sujet de l’inflation alors qu’il s’en inquiète au contraire de plus en plus ouvertement –, autrement dit, en saupoudrant une petite pincée de rêve dans un monde de cauchemar, les acheteurs y auraient-ils cru une seule seconde ? Auraient-ils pris le moindre risque mardi soir ?

Constatant la rechute du pétrole (la plus forte en une séance depuis janvier 1991), les vendeurs à découvert pouvaient en revanche jouer la prudence et engranger quelques copieux gains. Cependant, depuis le 2 juin dernier, solder les positions short s’est toujours avéré une mauvaise affaire : lorsque les cours reprennent entre 1% et 1,5% (tout au plus), c’est le moment pour les ours de repasser à l’offensive.

Lorsque l’actualité du jour n’y suffit pas, la turbine à (fausses) rumeurs se remet en action et prépare les esprits, devenus vulnérables, aux pires cataclysmes économiques et boursiers.

** Cela n’a pas échappé aux membres du Congrès. D’aucuns considèreront qu’ils n’y prêtaient guère attention jusqu’à ce que leurs administrés s’alarment de voir leur épargne partir en fumée… mais voilà, hier, un sénateur de New York a ouvertement demandé à Hank Paulson si les spéculateurs se servaient de l’immunité que leur procure Internet — en cas d’enquête, la source de désinformation sort de nulle part mais la rumeur circule partout — pour déstabiliser les marchés et mettre certaines entreprises en grande difficulté. Le temps de rétablir la vérité, le mal est fait.

Le secrétaire américain au Trésor a rétorqué que, partant d’un système basé sur l’offre et la demande, la vente à découvert faisait partie intégrante du processus de formation des cours. La législation américaine autorise juste à restreindre en de rares cas l’injection des ordres masqués dans le système informatique du NYSE. Selon Paulson, en ce qui concerne la diffusion de fausses informations, voire en cas de campagnes d’intoxication, c’est à la SEC de diligenter les enquêtes si elle le juge nécessaire.

Autrement dit pas souvent si l’on remonte seulement aux prémices de la crise des subprime début 2007 : aucun des prêteurs les plus véreux des Etats-Unis n’a jamais été soupçonné de travestir la réalité en matière de solvabilité des emprunteurs et de solidité des dérivés de crédit vendus au marché.

Piqué au vif par les critiques actuelles, Christopher Cox, le patron de la SEC, promet de redoubler de vigilance et d’édicter de nouveaux règlements visant à moraliser les échanges. Mais les ventes à découvert demeurent un processus légitime, tout du moins tant que les autorités de tutelle n’adoptent pas de dispositions contraires qui viseraient à protéger des entreprises "vitales" pour la bonne marche de l’économie. Reste à déterminer lesquelles : Freddie Mac et Fannie Mae en font manifestement partie depuis le week-end du 14 juillet.

En Europe, le concept de limitation des ventes à découvert n’est même pas envisagé. Cela révulserait les opérateurs anglo-saxons, trop heureux de faire la pluie et le beau temps sur nos marchés avec la bénédiction de l’AMF. Elle juge en effet que le déclenchement d’enquêtes à répétition pour manipulations de cours est inutile — ses possibilités d’investigation s’arrêtent là où commencent les paradis fiscaux –, voire contre-productif : pourquoi indisposer des intervenants qui font du chiffre et pourraient du jour au lendemain changer de plateforme de trading sans que cela contribue en rien à améliorer la transparence de nos marchés ?

La SEC peut-t-elle faire mieux ? En aura-t-elle les moyens techniques ? Les avocats d’affaires des îles Caïman, des Antilles néerlandaises ou des Emirats attendent ses enquêteurs avec une confiance mêlée de curiosité.

** Les vendeurs s’en donnent donc à coeur joie depuis début juin et Paris a connu une nouvelle journée de capitulation. Le CAC 40 a chuté de 2% sous les 4 060 points avec 95% de titres en repli et de gros volumes, supérieurs à 6,2 milliards d’euros. La perte annuelle dépasse 27,7% et les 4 000 points se rapprochent à une vitesse vertigineuse.

Et comme si les déboires des banques américaines ne suffisaient pas, le Belgo-néerlandais Fortis sombrait de 11% (et même -20%) suite à l’annonce de l’ouverture d’une enquête par l’autorité de régulation néerlandaise concernant les informations transmises aux actionnaires lors de la récente augmentation de capital de 1,5 milliard d’euros.

Ce fut un coup de tonnerre qui a provoqué l’effondrement de l’ensemble des valeurs financières à travers l’Europe, avec des pertes moyennes supérieures à 5% dans le compartiment bancaire : l’Euro Stoxx 50 a plongé de 2,3% et Bruxelles de 3,6%.

Sur le front des statistiques macroéconomiques, l’institut allemand ZEW a publié mardi matin le pire chiffre de l’année 2008. Son indice synthétique du moral des milieux d’affaires s’est effondré de -52,4 vers -63,9 points ; c’est encore plus spectaculaire du côté du baromètre de la situation actuelle, puisque le score passe de +37,6 à +17 points entre juin et juillet (la plus forte chute en 20 ans).

Difficile donc de trouver pire conjonction de mauvaises nouvelles et de détresse psychologique. C’est précisément ce qui aurait incité certains acteurs institutionnels à prendre leurs profits sur les marchés pétroliers afin de refaire un matelas de liquidités en prévision de circonstances boursières difficiles.

Ils créent ainsi les conditions d’un rebond technique… dont nous sommes convaincus que les ours se réjouissent par avance, comme s’ils regardaient les abeilles reconstituer la ruche qu’ils viennent d’éventrer d’un coup de patte.

Philippe Béchade,
Paris

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