▪ Les places boursières se dirigent tout droit vers une 12ème semaine de hausse. Seuls quelques esprits chagrins osent encore se demander ce qui justifie ce miracle : nous sommes dans un contexte de surgissement des pressions inflationnistes, sur fond de créations d’emploi au point mort et d’essoufflement de la consommation en début d’année — en Europe comme aux Etats-Unis.
La plupart des stratèges qui s’expriment sur les ondes ou sur les grandes chaînes financières reconnaissent que l’argent de la Fed « fait tout ». Ils ne cherchent même plus à nous convaincre que l’embellie des 18 derniers mois ou la future croissance des émergents justifient un doublement du S&P ou du Nasdaq en moins de deux ans.
A juste titre : aucune période économique bénie (plein emploi, excédents budgétaires, inflation maîtrisée) n’a jamais permis à Wall Street d’accomplir un tel exploit dans un laps de temps aussi court.
Ceci reste sans précédent dans l’histoire des marchés, tout comme la rentabilité de 15% par an des fonds Madoff pendant presque deux décennies. Il s’agit bien de deux exceptions qui ne suscitent apparemment aucun étonnement intellectuel de la part des investisseurs, et aucune méfiance chez la plupart des commentateurs.
Il existe cependant une différence de taille entre la miraculeuse rentabilité des marchés à la mode Bernanke et des placements opaques à la mode Madoff. Ce dernier prenait du vrai argent aux riches (souscrivant de leur plein gré) pour engraisser d’autres clients qui devenaient plus riches (s’ils ne l’étaient déjà).
La Fed court-circuite le schéma de Ponzi en créant de la fausse monnaie garantie à leur corps défendant par des millions de contribuables, majoritairement pauvres. Cette fausse monnaie ne sert qu’à engraisser les ultra-riches qui avaient provoqué trois ans auparavant la faillite du système financier.
▪ Cela dit, nous lisons encore beaucoup de comptes-rendus de séance où les rédacteurs s’extasient sur le flot de bonnes nouvelles (profits trimestriels, OPA, optimisme de la Fed) qui justifient un ratio de 90% de séances de hausse — ou, au pire, de consolidation à l’horizontale.
Dans le même temps, la hausse des rendements obligataires compte pour du beurre et l’envol des prix à la production se déroule dans un univers parallèle. L’inflation, selon la Fed, c’est comme de l’antimatière qui se désintègre dès qu’elle interagit avec celle que nous connaissons.
La dette pléthorique des Etats-Unis, la faillite des muni-bonds, ce n’est pas plus inquiétant que les grincements d’un vieux gréement qui fend les flots avec assurance. La seule promesse d’une absence de hausse de taux avant 2012 par la Fed suffit à écarter toute manifestation de nervosité de la part des opérateurs.
▪ Evidemment, quand vous écoutez certains traders en direct de Wall Street qui arborent comme chaque soir depuis le 30 novembre un large sourire de vainqueur, il est inévitable que certains cèdent à la tentation d’en rajouter.
Le moindre prétexte haussier perdu au milieu d’une avalanche de mauvais chiffres donne lieu à une surenchère qui n’est pas sans rappeler les simulacres des matchs de catch dont les Américains sont si friands.
Mais au lieu de s’écrouler et de feindre la douleur d’un écorché vif à la moindre manchette (qui n’aurait même pas ébranlé un enfant de trois ans)… ils donnent symétriquement dans le registre de l’euphorie démesurée.
L’analogie avec les matchs de catch va plus loin : de nombreux commentateurs qualifient ce que nous vivons depuis deux mois et demi de « catch-up rally« . Traduction : prenez l’argent de la Fed et foncez le claquer au casino boursier avant qu’il ne s’évapore.
Autre analogie : tout est scénarisé, pratiquement dans les moindres détails. Le « Terminator des Carpates » (alias les mauvaises statistiques du moment) fait pleuvoir une grêle de coups (simulés) du haut de son 1m95 sur « l’Ange Blanc de Wall Street » (et son 1m72). Ce dernier, une fois mis à terre, finit par se retrouver écrasé sous les 120 kilos bodybuildés de son redoutable adversaire.
Et juste au moment où l’arbitre s’apprête à taper une troisième fois et ultime fois sur le tapis, l’Ange Blanc se dégage d’un coup de reins ridicule, attrape l’immense brute — qui peine à se relever — par le petit doigt, le projette d’une pichenette dans un coin du ring avant de le faire basculer par dessus les cordes d’un saut chassé aussi prévisible qu’un coup de bâton asséné par Guignol sur la tête du gendarme.
C’est ainsi qu’après avoir subi 15 minutes de calvaire et donné l’impression que ses quatre membres avaient été réduits en bouillie, l’Ange Blanc remporte le combat en 15 secondes sous les vivats de la foule !
Que du bonheur… mais que du chiqué !
▪ Avec Ben Bernanke, c’est le marché et la pseudo-croissance américaine qui deviennent de la frime ! Et le dollar n’est plus que du papier monnaie juste bon à en faire des confettis.
La planète est régie par des organisateurs de tournoi de catch qui exhibent leur écurie de malabars d’opérette… tandis que le public risque, lui, de vrais ennuis. Dans la vraie vie, les prix de gros ont augmenté de 0,8% en janvier aux Etats-Unis tandis que le core rate (hors variables volatiles) augmente de 0,5% au lieu des 0,2% prévus. Les prix à l’importation grimpent quant à eux de 5,3% sur un an.
Dans la vraie vie encore, le chiffre de la production industrielle américaine ressort en baisse inattendue de 0,1% (contre +0,6% anticipé). Les ventes de détail n’ont progressé que de 0,3%.
Wall Street s’est rassuré avec l’enquête du département du Commerce US qui a fait état d’une hausse de 14,6% des mises en chantier en janvier, à 596 000 contre 520 000 en décembre 2010 (révisé de 529 000 en estimation initiale).
En revanche, les permis de construire, censés préfigurer l’évolution du secteur de la construction, ont rechuté de 10,4%. En outre, l’indice NAHB de janvier s’établissait pour la troisième fois consécutive au contact de son plancher historique : devinez lequel ces trois chiffres immobiliers aurait retenu l’attention du marché ?
Dans ces conditions, aucune baisse n’est envisageable avant le mois de juin, ou alors juste le temps d’effectuer quelques rachats à bon compte. Mais où se situe donc ce « bon compte » ?
Selon ce que nous lisons dans les récents sondages, 90% des gérants sont soit surpondérés en actions (dans environ 70% des cas), soit fermement déterminés à conserver (dans 20% à 25% des cas).
Est-ce que ce sont les 10% de sceptiques qui vont juger que le CAC 40 serait désormais bon marché à 4 000 — après avoir testé 4 150 points, le sommet de son canal haussier moyen terme ? Cela alors qu’ils le jugeaient déjà hors de prix à 3 800 points — rappelez-vous : c’était le 31 décembre 2010.
Avez-vous déjà vu 10% d’opérateurs dotés d’un minimum de sens critique se précipiter pour racheter ce que 90% d’illuminés jugeraient soudain surévalué ?