Le prix de l’uranium augmente suite à une forte demande, mais une pénurie d’acide sulfurique bloque sa production.
Je continue mon tour du monde des mines d’uranium. Après la Namibie, c’est au tour du Kazakhstan. Si cela vous intéresse, j’y reviendrai avant de me rendre au Canada et en Australie.
Le plus grand producteur d’uranium au monde, Kazatomprom (pour information, un quart de la société est cotée à la Bourse de Londres avec le code mnémonique KAP), a indiqué en janvier qu’il n’atteindra pas son plan de production d’uranium pour 2024 en raison de difficultés liées à la disponibilité de l’acide sulfurique nécessaire à la production d’uranium. « Malgré la recherche active et continue d’autres sources d’approvisionnement en acide sulfurique, les prévisions actuelles indiquent que la société pourrait avoir des difficultés à atteindre des niveaux de production de 90%.« Selon eux, le problème persistera et ne sera pas limité à 2024, mais perdurera également en 2025.
Il faut savoir que Kazatomprom avait volontairement limité sa production de 20% car les prix de l’uranium étaient trop bas. Sachant que sa production représente environ 42% de la production mondiale d’uranium, Kazatomprom est à lui seul une sorte d’OPEP de l’uranium.
Avec la hausse du prix de la livre d’uranium, Kazatomprom désirait augmenter sa production, mais cela n’a pas été possible en raison d’un consommable essentiel : l’acide sulfurique. Je cite : « La disponibilité et le coût de l’acide sulfurique affectent considérablement la continuité et la viabilité commerciale des opérations du groupe. […] Compte tenu de la demande croissante des entreprises agricoles et industrielles et des pénuries sur les marchés régionaux nationaux et étrangers. » Traduction : le secteur agricole, l’industrie pharmaceutique et le secteur minier sont en concurrence pour obtenir de l’acide sulfurique.
Pour être plus clair, je vais répondre à deux questions.
Pourquoi Kazatomprom a besoin d’acide sulfurique pour la production d’uranium plus que d’autres producteurs d’uranium ?
Parce que les gisements d’uranium de Kazatomprom sont exploités avec une technique appelée ISR (In Situ Recovery). Pour résumer, des forages sont effectués dans le sol pour injecter de l’acide sulfurique, qui dissout le minerai d’uranium. Quelques mois plus tard, le liquide est récupéré avec un puits foré à quelques dizaines de mètres. On est plus proche de la fracturation hydraulique des hydrocarbures que d’une mine conventionnelle.
Pourquoi Kazatomprom manque-t-il d’acide sulfurique ?
L’acide sulfurique est principalement utilisé pour la fabrication d’engrais phosphatés (60% de la consommation mondiale en 2023). Cette demande devrait perdurer dans les prochaines années, voire augmenter. L’augmentation de la population et la diminution des terres arables vont demander encore plus de rendement à l’agriculture, ce qui se traduira par plus d’engrais.
Ensuite, vient la lixiviation des métaux (mines), la pâte à papier, la fabrication de produits chimiques, la transformation des métaux, le secteur automobile (batterie au plomb), la fabrication de médicaments, le raffinage, le textile… Mais qui dit acide sulfurique dit soufre, et 80% de la production mondiale provient de la récupération du soufre, et non pas d’une production minière classique.
La source la plus importante de soufre, c’est le raffinage du pétrole (on y revient toujours). Pour éviter les pluies acides, on enlève au pétrole et au gaz le soufre qu’ils contiennent (de 1% à 3% de son poids pour le pétrole de plus mauvaise qualité).
Vous commencez à comprendre le problème ?
Pour limiter l’augmentation de CO2 et parce qu’il reste moins de pétrole (pic pétrolier), le raffinage de pétrole va diminuer, donc la production de soufre diminuera aussi. Mais parallèlement, la demande de soufre va probablement continuer à augmenter selon le rapport du Dr Simon Day.
La demande de soufre est actuellement de 246 millions de tonnes par an et devrait passer à 400 millions de tonnes en 2040. Pour lui, le déficit d’acide sulfurique pourrait atteindre jusqu’à 320 millions de tonnes d’ici 2040, ce qui mécaniquement fera augmenter la concurrence et les prix du soufre, entraînant une hausse du coût des engrais et, par ricochet, celui des aliments.
Il y a suffisamment de soufre sur Terre, mais le problème réside dans son mode d’obtention : il passe de « déchet » obtenu en bonus au moment du raffinage à celui de minéral nécessitant une mine coûteuse et polluante.
Pour schématiser, on a besoin d’uranium et de métaux pour la transition énergétique, qui ont presque tous besoin d’acide sulfurique pour être produits, mais la diminution de la production d’hydrocarbures (voulue et/ou subie) va diminuer la production peu coûteuse de soufre. Tout cela, alors que le besoin des secteurs de l’engrais et de l’industrie continuera d’augmenter.
Je ne pense pas que le problème de l’acide sulfurique pour la production d’uranium de Kazatomprom soit la raison principale de la hausse du prix de l’uranium. D’ailleurs, Kazatomprom, qui semble avoir une bonne vision des choses à long terme, construit déjà une seconde usine d’acide sulfurique d’une capacité de 800 000 tonnes par an qui devrait être opérationnelle en 2026. Le prix de l’uranium a déjà des leviers bien plus puissants, comme le doublement de la demande d’ici 2040 (World Nuclear Association 2023). Mais je trouve que cela illustre très bien le type de problèmes que va connaître le monde des matières premières dans les prochaines années.