La Chronique Agora

L’univers n’est pas parfait… et les marchés ont peur

La Fed est intervenue sur le marché du financement la semaine dernière, faisant couler beaucoup d’encre et signalant une ignorance à plusieurs niveaux.

Le choc qui a ébranlé le marché du financement à un jour a suscité beaucoup de confusion – nous y revenons dans l’article Alerte sur les marchés, les tuyaux font du bruit !

Essayons d’aller plus loin aujourd’hui.

Nous avons expliqué dans cet article que l’important, pour les événements de la semaine dernière, n’était pas les montants en jeu mais bien l’ignorance qui les entouraient.

Différents niveaux d’ignorance

Cette ignorance, nous la situons à plusieurs niveaux :

1- Les autorités auraient dû prévoir la pénurie de liquidités au jour le jour et agir préventivement. Elles ne l’ont pas fait : pourquoi ? Comment pareille surprise est-elle possible dans un monde où tout est recensé et où les autorités monétaires sont censées surveiller la moindre anomalie ?

2- Comment le marché des repos peut-il manquer de liquidités alors que les banques ont 1 400 Mds$ de réserves oisives, excédentaires, non-utilisées, déposées auprès de la Fed ? Pourquoi les établissements excédentaires n’ont-ils pas déversé leurs liquidités pour satisfaire les besoins des banques qui en manquaient ?

D’où vient cette absence de fluidité ?

Simon Potter, ex-responsable du bureau de marché de la Fed de New York, a déclaré qu’il cherchait « pourquoi les fonds ne vont pas des comptes des banques auprès de la Fed sur le marché des pensions, où les banques et les investisseurs empruntent de l’argent en échange de bons du Trésor à long terme ».

3- Quel rapport ce manque de liquidités a-t-il avec le resserrement quantitatif (QT) de ces derniers mois ? Est-on allé trop loin ? Y a-t-il eu erreur d’appréciation ? Est-ce que les autorités ont mal évalué l’incidence de ce resserrement quantitatif ? Est-ce que finalement le QT fonctionne bien comme elles l’avaient prévu ?

Simon Potter a ​​admis que le resserrement quantitatif avait été poussé trop loin et que le montant total des réserves dans le système était trop bas.

4- Est-ce que l’on ne commet pas une erreur en considérant que ces 1 400 Mds$ sont de vraies réserves disponibles, libres d’aller là où l’on a besoin d‘elles – en particulier sur le marché des repos, pour combler les besoins des établissements qui en manquent ?

Des réserves qui sont en réalité… des illusions

En clair : est-ce que ces montants sont bien disponibles, fluides… alors que l’on vient de constater qu’ils sont « collants » ?

Mon opinion est que ces réserves n’en sont que si – et seulement si – on n’a pas besoin d’elles.

Si on a besoin d‘elles, elles se dérobent. Ceux qui les possèdent ne veulent pas s’en séparer car ils se disent qu’il y a un risque.

Ce que je tente de prétendre, c’est que ces réserves sont une illusion ; elles ne sont réelles que dans un univers où les banques excédentaires n’ont pas peur de les prêter – un univers où tout est parfait.

Si notre interprétation est la bonne, elle rejoindrait cette affirmation que nous répétons souvent :

 

Le système n’est pas solide en moyenne ou globalement ; il n’est solide que dans la mesure ou son maillon le plus faible l’est.

Les forts ne vont pas sauver les faibles

En clair, il ne faut pas compter sur le fait que les forts vont sauver les faibles. La banque centrale est toujours en première ligne ; les problèmes remontent toujours vers le centre.

Lorie Logan, de la Fed de New York, va dans notre sens dans le Financial Times, quoique moins clairement :

« Les réserves sont concentrées, les réserves excédentaires par rapport au niveau minimal exigé par chaque banque sont concentrées. »

Dire que ces réserves sont concentrées, c’est admettre qu’elles sont inégalement réparties et qu’elles ne se déversent pas comme on l’espérait. C’est parce qu’elles sont concentrées que certaines institutions sont désespérées – et, étant désespérées, elles font peur.

Comment peut-on avoir peur dans un système de prêts garantis ?

Les établissements excédentaires ont refusé de prêter alors même qu’un tel prêt serait parfaitement garanti par des titres tels que des valeurs du Trésor, des emprunts d’Etat etc.

Et ils ont refusé de le faire alors les taux grimpaient à 10% ! Attention : pour apprécier ce taux, il faut tenir compte du fait que c’est un taux annuel. En jour le jour, il ne représente pas grand’chose – c’est ce qui, pour nous, explique qu’on préfère le sacrifier, s’en passer.

La sécurité passe avant tout, voilà le fond de la situation. Et si la sécurité est primordiale, la question à résoudre est la suivante : où est le risque dans un univers où il ne devrait pas y en avoir ?

Il est à deux niveaux :

– Au niveau des emprunteurs, qui peuvent faillir. Le marché sait qu’il y a des emprunteurs fragiles ;

– au niveau du système lui-même : il peut ne plus fonctionner, il peut se gripper.

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