Alors que l’Italie et ses banques semblent partir en vrille, l’union bancaire et la garantie européenne des dépôts pataugent.
Je vous ai récemment parlé de la situation en Zone euro avec le projet de fonds européen de garantie des dépôts et du zombie Deutsche Bank.
L’élite bruxelloise avait mis pas mal de choses sur son cahier de vacances. Zero Hedge avait d’ailleurs dressé un embryon de to-do list au tout début de l’été :
- Réparer l’Italie
- Réparer l’Espagne
- Gagner la « guerre commerciale » contre les Etats-Unis
- Arrêter la pire déroute économique depuis la crise de la dette souveraine
De nombreux travaux pratiques sont venus s’ajouter à cette liste au fil de l’été et l’Italie inquiète fortement, si bien qu’une synthèse de la situation à l’attention des épargnants ne semble pas superflue.
La tribune cinglante de 154 universitaires allemands en faveur d’une procédure de sortie de l’euro
Reprenons les choses là où nous les avons laissées, c’est-à-dire à la rencontre entre Emmanuel Macron et Angela Merkel à Berlin le 19 avril, où la chancelière avait une nouvelle fois décliné la proposition française de garantie européenne des dépôts.
A peine un mois plus tard, le 21 mai, 154 professeurs d’économie allemands enfonçaient le clou en affirmant dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) leur opposition au projet de réforme de l’euro d’Emmanuel Macron et de Jean-Claude Juncker tel que mentionné dans l’accord de coalition de Berlin.
Ce groupe d’universitaires souhaite l’instauration d’une procédure de sortie de l’euro pour les mauvais élèves, plutôt que l’instauration de facto d’une zone de transferts budgétaires où l’Allemagne financerait les déficits des pays du sud de la Zone euro.
Pour ces professeurs d’économie, avec le Mécanisme européen de stabilité (la garantie de dernier recours en cas de faillite bancaire) et les rachats de dettes par la BCE, on baigne déjà dans l’irresponsabilité.
Alors vous imaginez qu’ils pensent pis que pendre des projets de mutualisation des risques du type Fonds monétaire européen, garantie européenne des dépôts ou encore ministre des Finances européen.
Avant de voir si Angela Merkel a été réceptive à cet appel, j’aimerais ouvrir une brève parenthèse anthropologique.
A chacun son « fétichisme » : vive la diversité !
Début septembre, je vous relatais sur le ton de la plaisanterie qu’Emmanuel Macron avait demandé à l’Allemagne – ce voisin étrange qui aligne les excédents depuis 2014 – d’abandonner son « fétichisme » budgétaire.
Le chroniqueur financier Bruno Bertez propose une analyse politique, voire anthropologique de ce phénomène, laquelle permet de mieux appréhender la tribune de ces 154 économistes :
« Il [Macron] croit que ces fétiches sont des choix politiques ; il se trompe, ils sont culturels. Ils sont enracinés. Ils sont incrustés dans les gènes des hommes et dans les structures du pays. Et plus la France réclamera leur abandon, plus le fossé se creusera entre la société allemande et la société française. […] une solidarité budgétaire, des transferts, des dons, ne marchera pas non plus, car la société allemande et ses élites refuseront le suicide. La société allemande s’adapte au monde, au Grand Large, pas à la France. »
Par conséquent, la France et la BCE doivent cesser de vouloir fondre les Etats membres de l’UE dans le moule de la médiocrité :
« La seule solution est d’admettre la spécificité de chacun, les cultures, les spécialisations économiques différentes, les géographies, les histoires, les points forts et points faibles différents etc. ; bref la seule solution est de prendre le réel tel qu’il est au lieu de le nier magiquement. Il faut accepter de considérer que le changement imposé d’en haut ne marche pas et que le changement venu d’en bas est lent, qu’il se fait non au rythme des générations mais au rythme de l’histoire. Comment organiser et gérer les différences au lieu de rêver de les gommer par miracle, voilà la seule attitude réaliste. Et démocratique… »
Mais revenons à notre argent.
La hausse des fonds propres des banques, condition indispensable de l’union bancaire
Angela Merkel ne semble pas avoir tenu compte de l’appel de ces 154 économistes, puisque les ministres européens ont annoncé le 25 mai qu’ils s’étaient mis d’accord au sujet du « paquet bancaire » en discussion depuis plus 18 mois.
C’est le compromis trouvé entre Paris et Berlin au sujet des exigences de fonds propres imposées aux établissements bancaires, les fameux MREL (minimum requirement for own funds and eligible liabilities, c’est-à-dire les « exigences minimum de fonds propres et passifs éligibles des banques »), qui a permis de débloquer la situation.
Le niveau des MREL est « fixé à 8% des engagements totaux et des fonds propres des grandes banques », ce à quoi s’ajoute « l’obligation, pour les établissements d’importance systémique mondiale, de détenir un niveau minimum de ‘capacité totale d’absorption des pertes’ (TLAC, pour total loss-absorbing capacity) », comme l’explique La Tribune.
A en croire Bercy, les TLAC sont censées garantir qu’en cas de défaillance d’une banque, ni ses clients, ni le contribuable n’auront à mettre la main à la poche…
Les Echos expliquent quant à eux que « la France ne voulait pas que la taille de ce MREL puisse excéder 8% des actifs totaux, car ses grandes banques en auraient pâti. » Comme vous vous en doutez, l’Allemagne bataillait pour que soit fixé un niveau plus élevé…
Grâce à ce compromis, Emmanuel Macron espère que les pays du nord de l’Europe seront être moins réticents à l’idée d’ouvrir le chapitre de la mutualisation du risque bancaire au sein de l’UE, afin d’achever l’Union bancaire.
En cas de crise grave, l’épargnant-contribuable finira toujours par payer
Finalement, les TLAC ne seraient pas si « total loss-absorbing » que ça… Comme le précise La Tribune :
« Deux sujets sont particulièrement sensibles dans les discussions à venir : la création d’un système européen de garantie des dépôts et la mise en place d’un filet de sécurité (‘backstop‘) au sein du Fonds de résolution unique (FRU), dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité (MES). Ce filet de sécurité doit rendre possible la mobilisation d’argent public, en dernier recours, si une banque rencontre d’insurmontables difficultés financières. »
Bruno Le Maire, jamais avare d’une bonne blague, a préféré commenter qu’ « une étape cruciale pour faire du secteur bancaire européen le plus robuste et le plus stable du monde » venait d’être franchie.
Angela Merkel s’ouvre à l’idée d’un Fonds monétaire européen
Puis, début juin, les exécutifs français et allemands ont fait connaître l’évolution de leurs positions par interviews interposées en vue de finaliser des propositions communes pour la réforme de la Zone euro, en vue du conseil des ministres franco-allemands du 19 juin, précédant le Conseil européen des 28 et 29 juin à Bruxelles.
Le 1er juin, Angela Merkel a fait de timides propositions à Emmanuel Macron dans le même Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Elle s’est en effet prononcée en faveur d’un Fonds monétaire européen (FME) qui reprendrait les prérogatives du MES et qui n’aurait vocation à intervenir que si la Zone euro voyait son existence en danger.
Ce fonds pourrait émettre des prêts de moyen et de long terme à l’attention d’un pays en grave difficultés, en contrepartie d’un droit de regard et d’intervention du FME sur la politique budgétaire du pays concerné.
Pour ce qui est de la création d’un budget d’investissement, ce dernier ne saurait financer « des dépenses d’avenir » à la sauce française. Il devra se concentrer sur des besoins d’ordre structurel et ne pourra être que de taille très limitée.
Une semaine plus tard, Bruno Le Maire a réagi en tirant encore un peu la couverture vers lui… mais dans un discours prononcé en allemand, pour adoucir les opinions outre-Rhin.