▪ "Eh bien, nous avons une situation inattendue", nous a dit Miguel, intendant de la ferme.
Nous venions tout juste d’arriver à l’aéroport de Salta. Nous étions prêt à entendre de mauvaises nouvelles. Les mauvaises nouvelles, c’est toujours ce qui attend les propriétaires absents. Surtout là où nous nous trouvons en ce moment.
Un camion est tombé en panne. L’un des employés a eu un accident. Il n’a pas plu. Le gel a tué toutes les pommes, les prunes, les raisins… Un puma a tué des veaux.
Nous avons un tout petit vignoble. Chaque année, nous attendons les vendanges avec l’anxiété d’un adolescent qui prévoit son premier rendez-vous. Nous savons que quelque chose va mal tourner.
La première année, les gauchos (qui sont des gardiens de bétail par expérience et par goût) ont attendu trop longtemps avant de cueillir le raisin. Lorsqu’ils s’y sont enfin mis, la majeure partie de la récolte s’était desséchée dans la chaleur intense. L’année suivante, un champignon a attaqué les raisins à peine quelques semaines avant les vendanges. Les travailleurs ne savaient pas ce que c’était, ni comment réagir. Quasiment toute la récolte a été perdue. Puis, l’année dernière, ça a été la sécheresse. Une irrigation diligente a sauvé les vignes… mais les abeilles, privées de leur récolte de fleurs de luzerne, s’en sont prises aux raisins avec toute l’ardeur de dipsomanes ailés. Une récolte perdue en plus. Nous n’avons que 60 bouteilles de vin.
Des mauvaises nouvelles ? Nous avons l’habitude.
▪ "Tout va bien pour l’instant", continua notre homme. "Mais l’un des pastajeros fait des problèmes. Il a refusé de signer son bail. Et il affirme qu’il a des droits indigènes. Sa famille est là depuis très longtemps. Il dit que vous ne possédez pas ces terres. Il dit qu’elles sont à lui".
"Et il va voir d’autres pastajeros en leur disant de ne pas payer leur loyer ni signer leur bail. Ca pourrait mal tourner"…
Les pastajeros vivent dans les montagnes sur notre terrain, généralement à plusieurs heures — à pied — du ranch et des principaux enclos. Celui qui est le plus éloigné doit marcher 10 heures pour emmener ses enfants à l’école. Ils y restent ensuite jusqu’à ce qu’il vienne les cherche, des mois plus tard.
25 familles vivent ainsi sur nos terres. Ce sont des fermiers de subsistance — avec des chèvres, des moutons et du bétail errant, à moitié sauvage. Chacun d’entre eux a une maison et une parcelle — qui fait souvent des milliers d’acres — pour élever son bétail et faire vivre sa famille. Ils font pousser du choclo, le maïs local… et vendent des animaux de temps en temps. Lorsqu’un pastajero meurt, ses enfants ont le droit de continuer. Mais ils reconnaissent qu’ils louent la terre ; elle ne leur appartient pas.
"Indigènes ? Je pensais que les Espagnols avaient éliminé les tribus indiennes locales", avons-nous répondu.
"C’est vrai", nous a répondu Miguel. "Ils auraient exterminé la tribu des Gualfines. Les Indiens ont livré leur dernier combat exactement là où se tient le ranch — là-haut, dans ce qu’on appelle ‘la forteresse’. Selon la légende, ils auraient battu en retraite pour s’y mettre à l’abri… ils ont tenu aussi longtemps qu’ils l’ont pu avec des arcs et des flèches… puis, lorsqu’ils se sont retrouvés à court d’eau, ils ont sauté de la falaise pour se tuer".
"L’Argentine a mauvaise réputation, concernant le traitement accordé aux Indiens. Selon les critiques, les Argentins ont exterminé les populations autochtones. Je ne pense pas que ce soit entièrement vrai".
La suite au prochain épisode, dès demain…