La Chronique Agora

Une rafraichissante cascade de profit warnings…

** Comment le CAC 40 a-t-il résisté (il n’a cédé que 0,55% et préservait jusqu’au bout le seuil des 5 800 points) à la rafale de profit warnings publiés mardi matin par BIC, Dassault Systèmes, Michelin, Steria (ces titres affichant -7,5% en moyenne) et Néopost (-22%) ? La réponse ne va guère vous sembler originale ; vous pressentez déjà qu’il ne sera question que de la Fed et de l’abaissement de 25 points du prime rate, son principal taux directeur, de 4,75% à 4,50%.

Vous ne manquerez pas d’objecter que la ficelle des « anticipations monétaires » est usée jusqu’à la corde. Nous assistons depuis une semaine à une succession de vagues de hausse volontaristes des indices boursiers qui se matérialisent à l’encontre des fondamentaux.

La dégradation de la conjoncture aux Etats-Unis engendre une majorité de trimestriels de facture peu reluisante ; nous pouvons ajouter à la liste du premier paragraphe les déceptions causées par les chiffres de Continental, Procter & Gamble (-4%), ou encore de Qwest, qui plonge de 10%.

Vous avez le sentiment que cela va mal outre-Atlantique ? La chute de 5% de l’indice de confiance des consommateurs (selon l’enquête bimensuelle du Conference Board) vous donne raison… Et c’est encore pire en ce qui concerne les anticipations relatives au marché du travail : l’indice décroche de 85 vers 80,1, alors que les bons emplois se font rares et les périodes de chômage plus longues.

** Mais ne vous arrêtez pas en si bon chemin : imaginez que nos mises en garde se confirment dans le secteur des prêts non seulement hypothécaire mais également adossés aux cartes de crédit ! Les banques américaines spécialisées n’ont pas fini de passer des provisions par centaines de millions, voire de mettre la clé sous la porte…

Imaginez que la bulle en formation sur les valeurs énergétiques et les dérivés pétroliers (options, contrats à terme) éclate… ou que les derniers fonds d’investissement entrés récemment — et au plus haut, naturellement — sur le marché chinois prennent de plein fouet une inéluctable correction. Cette dernière devrait survenir de façon imminente à Shanghai et Hong Kong, qui vient de culminer vers 32 000 points ce mardi matin, au terme d’une ascension de 75% depuis le 1er janvier.

Oui, imaginez que tout ce qui précède — plus tout ce que nous avons occulté pour ne pas trop alourdir notre démonstration — reflète une réalité concrète (nul ne peut apporter de démonstration contraire) ou en cours de concrétisation (on peut toujours ergoter). Dans ce cas, la Fed n’a pas fini de réduire le loyer de l’argent ; l’abaissement prévu ce mercredi à 4,5% n’est qu’une étape au sein d’un processus d’injection de liquidités qui est encore loin d’approcher de sa conclusion.

Et cet afflux permanent de liquidités autorise tous les paris les plus stupides ! Au final, les joueurs les plus maladroits — ou les plus naïfs — se verront rembourser leur mise, à condition qu’elle représente quelques dizaines de milliards de dollars. Ils se seraient en effet laissés berner par des démonstrations scientifiquement convaincantes, postulant que suivre la tendance était le meilleur moyen d’écarter le risque d’inversion de cycle.

Quelques algorithmes et des « pricings à l’estime », de l’argent facile, des retours sur investissement rapides, une routine haussière qui s’installe dans la durée : que du bonheur !

** Bien qu’ils s’en défendent, la plupart des acheteurs de CDO, ABS et autres fonds obligataires collatéralisés n’y connaissaient rien en terme de risques associés aux dérivés de crédits immobiliers subprime : demandez aux traders de chez IKB ou de Northern Rock ce qu’ils en pensent…

Les voici qui tournent brusquement casaque et foncent à bride abattue vers les marchés asiatiques puis le NYMEX ou le CBOT. Comment espèrent-ils ne pas se faire tailler en pièce par les vrais spécialistes des commodities (pétrole, métaux, céréales, argent, platine…) ou les traders asiatiques qui savent probablement à quel moment Pékin va sonner la fin de la récré et provoquer le dégonflement de la bulle spéculative à Shanghai ou Hong Kong ?

La plupart des « experts » (ou qui s’improvisent comme tels) affirment que la croissance chinoise va se poursuivre à un rythme compris entre 10,5% et 12% d’ici le coup d’envoi des Jeux Olympiques. La bourse devrait continuer de bien se porter — et la Chine n’est pas peu fière de voir le chiffre d’affaire quotidien à Shanghai talonner celui du NYSE et du Nasdaq réunis.

D’autre part, la demande de matières premières et de denrées alimentaires chinoise va continuer de progresser plus vite que l’offre. Or l’OPEP est pratiquement « au taquet »,  et le Moyen-Orient apparaît plus que jamais comme une poudrière. En ce qui concerne les métaux les plus demandés par l’industrie automobile et la construction, il faut des années pour démarrer l’exploitation d’un nouveau gisement de cuivre ou de bauxite, même si l’on sait où se cache le minerai.

** Des arguments aussi imparables que ceux qui prévalaient en pleine ruée sur les prêts subprime : les emprunteurs n’ont rien à payer au cours des deux premières années. Par ailleurs, la flambée des prix immobiliers (inéluctable dans de telles conditions) qui sert de base à « l’extraction de valeur » couvrira largement les frais de remboursement lorsque les mensualités retrouveront des configurations plus normales — lesquelles sont initialement inaccessibles aux ménages à faibles revenus.

Et les prix immobiliers finissent pourtant par cesser de grimper… Officiellement, ils se stabilisent, officieusement, ils commencent très vite à s’effondrer ; dans le même temps, les saisies immobilières se multiplient tandis que les créanciers se hâtent de bazarder les biens appelés en garantie aux enchères.

Dans un premier temps, quelques vautours croient à un effet d’aubaine… mais ils réalisent rapidement que la liste des adjudications s’allonge de jour en jour, et que les premières gouttes qu’ils sont parvenus à éponger ne sont que les prémices d’une véritable mousson !

** Et nous venons de lire ce lundi même que les prix se « stabilisent » en Angleterre — ou même qu’ils auraient reculé depuis trois mois consécutifs. Bien entendu, les agents immobiliers britanniques corrigent immédiatement le tir en arguant de la belle tendance haussière qui se perpétue (+4,7%) outre-Manche… mais en rythme annuel.

Les ménages londoniens sont endettés à 120% ou 130% pour l’achat de biens de médiocre qualité, situés dans des quartiers périphériques sans charme, mais qui se négocient à des niveaux de prix voisins du m² Avenue Montaigne à Paris ou place St-Sulpice dans le Quartier Latin. Cela fait de Londres, avec Dublin (les prix y ont quadruplé en 10 ans), la seconde capitale européenne la plus exposée à une correction majeure. Les prix y ont été multipliés par 3,3 alors que le pouvoir d’achat des ménages — hors secteur financier et autres micro-niches d’activité générant des méga-bonus — a stagné depuis la précédente crise de 1991 à 1995.

Mais ceci intriguera peut-être nos lecteurs : l’étude de la corrélation historique des marchés immobiliers internationaux démontre que Paris est particulièrement sensible aux cycles américains — bien plus qu’aux fluctuations du marché britannique (la comparaison avec l’Irlande ou l’Espagne est non pertinente puisqu’il n’y a pas d’antériorité. Nous savons simplement qu’il y a formation d’une bulle et que celle-ci explosera comme toutes les autres)…

Or il se trouve que les prix en France et aux Etats-Unis — exprimés en devise locale — ont enregistré une évolution relativement similaire, avec quelques mois de décalage, au cours des 50 dernières années. Mieux encore : depuis 1996, la hausse est quasiment équivalente, puisque le coefficient multiplicateur est de 2,2 sur la côte est des Etats-Unis et de 2,3 en Ile-de-France.

Mais l’histoire ne se répète jamais de façon identique : le franc a cessé de se déprécier au même rythme que le dollar depuis le début du processus de création de l’euro.

Et pour un Américain amoureux de Paris, son investissement ne s’est pas valorisé de 2,3 fois mais bien de plus de 3,6 fois en tenant compte d’un dollar qui vient d’inscrire — au moment où nous achevons la rédaction de cette Chronique — un nouveau plancher historique de 1,4440/euro.

Pourrions-nous en déduire que la tentation « d’extraire de la valeur » est potentiellement au moins aussi forte aujourd’hui que s’il s’agissait d’immeubles de rapport situés à Boston ou New York, Miami, Palo Alto, Sunnyvale ou Las Vegas ?

Philippe Béchade,
Paris

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