▪ Les médias braquent leurs caméras vers le spectaculaire panache de cendres crachées par un volcan islandais entré furieusement en éruption mercredi… Pendant ce temps, nous continuons de traquer les micro-secousses qui font parfois tressaillir les indices boursiers et qui pourraient être annonciatrices de prochains séismes majeurs.
Nos sismographes portent déjà la trace très visible d’évènements de magnitude quatre ou cinq survenus fin novembre (quasi-faillite de Dubaï) puis mi-janvier (spéculations sur un défaut de paiement de la Grèce… et qui continue de donner lieu à de nombreuses répliques). Nous décelons par ailleurs des zones de surtension critiques du côté du Royaume-Uni (avec 14% de déficit budgétaire), des pays de l’Est et de toute la péninsule ibérique.
Les tremblements de terre à répétition ne sont pas les seuls signes précurseurs d’une éruption majeure ou d’une brusque libération d’énergie dévastatrice le long des lignes de fracture de l’écorce terrestre. Les champs magnétiques subissent des perturbations locales, les roches libèrent des gaz rares, mal décelables parce qu’il n’existe pas de réseaux de détecteurs dans les régions difficiles d’accès et encore moins dans les failles sous marines.
▪ Du côté des marchés financiers, la Fed commence à s’inquiéter de certaines bizarreries. Elle va par exemple déclencher une enquête pour déterminer si le flash trading et les transactions robotisées — soit deux tiers des transactions quotidiennes à Wall Street — pourraient avoir un impact sur la tendance.
Oui, vous avez bien lu ! Les machines génèrent automatiquement deux tiers des ordres exécutés sur le Nasdaq ou le NYSE… et la Fed se demande — sans le dire aussi crûment que nous — si certains mastodontes bancaires dotés d’outils informatiques surpuissants et d’une puissance de frappe financière colossale n’auraient pas été tentés d’agir sur les cours à un moment ou un autre.
Quelques détails lui auraient-ils mis la puce à l’oreille ? Comme une série de 99 journées de trading gagnant sur un total de 100 chez Goldman Sachs à la fin du premier semestre 2009, par exemple…
Quelques semaines plus tard (début juillet), Goldman Sachs faisait intervenir le FBI et les services spéciaux pour enquêter sur le vol de logiciels experts par un des ses anciens salariés passé à la concurrence, un génie des mathématiques expérimentales et des logiciels quantiques.
Goldman Sachs affirmait que ce genre d’instruments tombant aux mains de personnes mal intentionnées pourrait influencer les cours et déstabiliser les marchés. Il était bien entendu que jamais au grand jamais Goldman n’aurait pu céder à ce genre de tentation.
La Fed est d’ailleurs la première à faire toute confiance à Goldman Sachs. Il y a deux ou trois mois (le temps passe si vite), Ben Bernanke annonçait qu’elle allait mener des investigations sans concessions. Elles permettraient de déterminer si certaines banques d’affaires américaines se seraient rendues complices des malversations qui ont permis à la Grèce — mais également à nombre d’entreprises comme Enron ou d’autres structures financières — de dissimuler le niveau réel de leur endettement aux yeux des investisseurs.
Renseignements pris, les bidouilles comptables de Goldman Sachs (et des autres) sont parfaitement légales — enfin, elles l’étaient à l’époque… La Fed leur accorde donc son absolution pleine et entière. Le non-lieu a été prononcé mercredi, on n’y reviendra pas.
▪ Peut-être la Fed considèrera-t-elle bientôt que la saturation des carnets par des millions d’ordres automatisés qui déconnectent les cours de toute décision humaine est une évolution naturelle, logique et incontournable du marché : les machines règnent en maître, les gérants de SICAV et de fonds de pension ne font plus que la figuration en termes de volumes… Quant à ceux qui pratiquent la réplication indicielle — passive ou active –, ils ne font qu’entretenir les mouvements boursiers jusqu’aux extrêmes limites de l’absurdité.
Mais même marginalisés, les gérants jouent toujours un rôle essentiel. Lorsque les hedge funds et les banques d’investissement orchestrent un mouvement directionnel, il faut bien un acheteur final quand 75% des échanges quotidiens représentent du day trading ou des stratégies à un horizon ne dépassant pas 48 heures.
Les principes de la gestion indicielle les obligent à renforcer leurs positions à mesure qu’un actif sous-jacent progresse… et même à le surpondérer s’il bat régulièrement la performance moyenne d’un marché, suivant le principe de la prophétie auto-réalisatrice.
Là encore, lorsqu’il s’agit d’une sélection de valeurs ou d’un panier indiciel, l’intervention humaine est réduite au minimum. Les logiciels prennent le relais et gèrent les arbitrages en temps réel ; ils pondèrent et sous-pondèrent depuis la première minute de cotation jusqu’au fixing de clôture.
▪ Cette journée de vendredi est technique, avec l’expiration mensuelle des contrats et options sur indices. Ce qui caractérise la période du 19 mars au 16 avril, c’est l’écrasement de la volatilité mais aussi et surtout un nombre record de séances de hausse d’affilée : 22 sur une série de 27 pour le Dow Jones… et le S&P en aligne pas moins de 12 sur 14 depuis le 22 mars dernier. Le Nasdaq 100 en totalise 37 sur 47 en l’espace de 10 semaines, dont sept de hausse consécutive).
Wall Street n’entend aucun argument propre à modérer ses ardeurs haussières, et surtout pas Ben Bernanke qui continue de pronostiquer une « reprise lente » et souligne de nombreux signes persistants de faiblesse de l’économie américaine.
Wall Street ne souhaite pour rien au monde envisager les conséquences d’un plan de réduction des déficits que le patron de la Fed juge pourtant indispensable. Les choix pour Barack Obama se réduisent à une hausse de la fiscalité ou une réduction des dépenses… voire les deux à la fois.
Tout comme en Grèce, au Portugal ou en Irlande, cela signifie clairement moins de pouvoir d’achat et moins de croissance… un scénario à oublier puisqu’il ne cadre pas avec celui d’une « forte reprise » !
Et pas question de taxer les banques ni de restreindre leur capacité à spéculer : elles vont avoir besoin d’augmenter fortement leurs fonds propres en prévision des nouvelles directives de Bâle III d’ici 2011. Or les équipes de trading commencent à déserter les maisons de courtage centenaires pour intégrer des structures de type hedge funds sur lesquels aucun organisme officiel n’a de pouvoir de régulation.
La Fed de son côté veut garder le contrôle sur l’ensemble du système financier : cela serait impossible si les franc-tireurs, hors de tout contrôle, devenaient les maîtres du jeu (on en tremble déjà !).
Sandra Pianalto, présidente de l’antenne régionale de la Fed de Cleveland, avance un argument imparable : « aucune autre administration américaine n’est en mesure d’atteindre le degré d’expertise de la Fed en matière de supervision bancaire ».
Mais en connaissez-vous une autre qui ait fait preuve de davantage de laxisme envers des Washington Mutual ou des Lehman ? En connaissez-vous une autre qui soit davantage complice de leur ex-rival Goldman Sachs ?