La Chronique Agora

Une première fois pour tout

** Attention au dollar !

* Nous continuons de faire attention, mais il ne se passe pas grand’chose pour le billet vert. Les actions, par contre, chutent. Nous avons vu pire. En fait, nous pensons que nous verrons pire. Les booms sont suivis de krachs ; c’est comme ça.

* Mais tandis que le boom se poursuit, de plus en plus de gens pensent que le krach n’arrivera jamais — c’est simplement comme ça que les choses fonctionnent. Et les gens commencent à développer des idées, des théories et des illusions soutenant leurs perpétuelles envies de boom.

* Un commentateur nous explique par exemple pourquoi, même si les choses semblent aller mal pour le dollar, elles n’iront pas en s’aggravant : "il y a toujours une demande énorme de dollars à des fins de spéculation financière", écrit notre vieil ami Rick Ackerman.

* "Ce fait est indiscutable si l’on considère qu’on trouve 370 000 milliards de dollars de produits dérivés dans un monde qui ne produit qu’environ 55 000 milliards de dollars de biens et de services — et nous pouvons écarter les craintes de voir la Chine et le Japon, les principaux appuis du dollar, se diversifier hors du dollar de manière significative, comme ils menacent de le faire depuis longtemps".

* "Le fait est que, tout simplement, pour que leurs économies basées sur l’exportation continuent à fonctionner, ces pays feront tout ce qu’il faut pour empêcher leurs devises respectives de s’apprécier. Dans le cas de la Chine, la tactique est plus qu’une simple manœuvre pratique, dans la mesure où tout ralentissement de l’économie US risque de mettre au chômage des millions de travailleurs ayant émigré de la Chine rurale vers les centres industriels urbains et les énormes villes-usines".
 
* "Parallèlement, même si le dollar semble souffrant en ce moment, je doute que son effondrement soit imminent. Si j’ai raison, nous devrions nous attendre à voir le marché rebondir avec le dollar dans les jours et les semaines qui viennent".

* Il couvre ensuite ses arrières : "cependant", ajoute-t-il, "je ne suis pas marié à un tel scénario".

** A l’analyse de Rick vient s’ajouter une autre :

* "Il est faux de croire que les Etats-Unis sont une nation débitrice", titre un article de la Deutsche Bank.

* "Nous pensons que la vision prédominante des Etats-Unis comme pays débiteur net n’est plus appropriée — et considérons au contraire les Etats-Unis comme l’hégémonie financière la plus puissante au monde", déclare l’article sans rougir de son ardeur.

* Eh bien… on nous a jeté le gant — nous devons relever le défi. Nous n’avons pas peur des avis contraires, à la Chronique Agora, tant qu’ils sont exprimés clairement et assez bêtement pour que nous puissions en rire. Mais l’équipe de la Deutsche Bank nous déçoit. Telles sont ses remarques :

* "Non seulement le dollar n’est pas en déclin, mais il prend des forces, et le système monétaire international reste exceptionnellement stable. En fait, nous pensons qu’un empire économique mondial — c’est-à-dire un cycle de fonds garantissant la prospérité planétaire — est en place, et que l’économie mondiale entre donc dans une période de prospérité à long terme".

* Mais lorsque nous cherchons les preuves de cette affirmation, nous ne parvenons pas à les trouver :

* "La dispersion du dollar, provoquée par le déficit commercial américain et les investissements US directs à l’étranger, a servi à fournir au monde une devise de croissance, tout en stimulant largement la croissance économique mondiale. Ce n’est rien de moins que du keynésianisme planétaire. En bref, l’afflux de devises provenant des Etats-Unis a transformé des ressources et de la main d’œuvre latentes à l’étranger en ressources économiques effectives, ce qui a largement augmenté le potentiel de croissance de l’économie mondiale".

* Très bien — jusque là nous sommes d’accord. C’est exactement ce qui s’est passé. Les dollars US ont ensorcelé la planète entière — trompant quasiment tout le monde. Alors que l’offre de dollars augmentait, les gens ont pris cela pour un accroissement de la demande réelle. Ils ont commencé à creuser des trous au Chili, afin de pouvoir tirer le cuivre du sol. Ils ont installé des tables en Chine, où les jeunes femmes du pays pouvaient s’asseoir et assembler des babioles. Ils ont raccordé des systèmes téléphoniques en Inde, et ont appris aux autochtones à parler avec l’accent yankee pour prendre les commandes de nouveaux gadgets.

* L’inflation de la masse monétaire mondiale — à coups de dollars — a produit un boom. Cela ne fait aucun doute. Notre désaccord ne concerne pas le passé, mais l’avenir. L’équipe de la Deutsche Bank voit un boom suivi d’un autre boom. En ce qui nous concerne, lorsque nous voyons un boom, nous commençons à nous méfier.

* Eux comme nous s’étonnent de la stabilité de l’économie mondiale — et du dollar.

* "Cette stabilité semble n’avoir guère de sens au vu du déficit courant massif des Etats-Unis", commentent-ils.

* A 800 milliards de dollars, le monde n’a jamais rien vu de tel. Normalement, cela entraînerait une augmentation de la dette US nette, qui deviendrait ensuite une obligation de payer des intérêts. Le déficit US de cette année se monte à 7% du PIB. A ce rythme, il suffirait de dix ans pour mettre la dette accumulée à 70% du PIB. A 5% d’intérêt, cela signifierait que les Etats-Unis verseraient 3,5% de leur PIB en intérêts à des prêteurs étrangers — une somme équivalent à toute la croissance de son PIB, et plus encore, éternellement.

* Pas vraiment sympathique. Mais ne vous inquiétez pas : le système explosera bien avant que cela ne se produise. L’équipe Deutsche Bank suppose qu’il doit y avoir une raison pour laquelle il n’a pas déjà explosé ; leurs analyses en arrivent à la conclusion que le système n’est pas du tout instable. Peut-être n’explosera-t-il jamais !

* Les chercheurs pensent voir un "nouveau cycle impérial mondial". Il est basé, disent-ils, sur de la main d’œuvre asiatique bon marché, la supériorité des compétences et de la gestion américaines, des taux de rendement différents pour les Etats-Unis par rapport aux investissements étrangers, des profits élevés dans le secteur financier, un effet de levier considérables, et les gains engrangés par les Etats-Unis grâce à la diffusion de leur propre devise dans le reste du monde. Tous ces facteurs, disent-ils, donnent aux Etats-Unis un avantage qui ne se voit pas dans le flux de statistiques sur les fonds circulant sur la planète.

* C’est une sorte de "matière noire", semblent-ils dire. Elle est si noire que nous ne pouvons pas du tout la voir. Chacun des facteurs listés ci-dessus pourrait être considéré comme négatif aussi bien que positif. La main d’œuvre asiatique bon marché permet aux entreprises américaines de faire baisser leurs coûts de main d’œuvre… et d’augmenter leurs profits. Mais qu’arrive-t-il aux travailleurs américains déplacés ? Comment pourront-ils se permettre d’acheter les produits importés — sinon en s’endettant (et donc en créant plus de profits dans le secteur financier) ?

* Lorsqu’ils réaliseront finalement ce qui leur arrive, ne devrions-nous pas nous attendre à les voir réduire quelque peu leurs dépenses ? C’est peut-être la raison pour laquelle les ventes de voitures chutent aux Etats-Unis. Les ventes de maisons y chutent aussi. Selon le Financial Times, les vendeurs de Las Vegas sont si désespérés qu’ils offrent une piscine gratuite et des vacances en Floride pour l’achat d’une nouvelle maison. Les annulations de contrats pour des maisons neuves atteindraient les 42%.

* A un moment ou à un autre, tout cet effet de levier ne se révélera-t-il pas ne être pas si génial, en fin de compte ? L’effet de levier, c’est excellent quand la situation est à votre avantage. Mais quand le vent tourne, il magnifie vos pertes.

* Et les prêteurs des Etats-Unis ne pourraient-ils pas eux aussi décider de limiter un peu leur participation ? Ne vont-ils pas se fatiguer d’une telle quantité de liquidités fournie par le dollar US, et décider de placer une partie un peu plus grande de leur richesse dans d’autres marques ? N’est-ce pas la raison pour laquelle le dollar chute — alors même que les taux d’intérêt US sont supérieurs à ceux de l’Europe et du Japon ?

* Oui… le système est stable. Mais il n’est stable que tant qu’il est stable. Il suffit d’une chose pour le déstabiliser — et l’ensemble se met à vaciller, risquant de s’effondrer.

* Nous ne lisons pas plus l’avenir que Deutsche Bank. En observant le passé, nous voyons ce que nous voyons ; le système du dollar a été un grand succès. L’argent facile qu’il a fourni au monde a déclenché un boom mondial tel qu’on n’en avait jamais vu au cours de l’histoire. Mais — toujours en se fiant à l’Histoire — nous n’avons jamais entendu parler d’un boom keynésien qui n’ait jamais pris fin… ou d’un système de monnaie papier n’ayant pas fini par s’effondrer.

* Bon, il y a une première fois pour tout…

 

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