▪ C’est comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton "envolée des cours" à 19h (heure de Paris) vendredi soir à Wall Street. Les indices américains ont bondi de 1% en à peine un quart d’heure, passant d’une baisse moyenne de 0,25% à une hausse de 0,8% puis 1% en fin de séance.
Cette envolée semblait surgir de nulle part ; elle présentait beaucoup de similitudes avec le rally haussier de jeudi. Rappelons qu’il avait débuté avec la publication d’un indice d’activité européen relativement mineur qui fut rapidement monté en épingle et présenté comme le chiffre le plus important de la semaine. Cependant, le cas est un peu différent cette fois-ci : la plupart des observateurs avertis ont pu rapidement identifier l’origine concrète de ce violent décalage indiciel.
Quelle ne fut pas notre surprise, en parcourant les comptes-rendus rédigés après la séance, de constater que la quasi-totalité des commentateurs avaient complètement zappé l’événement le plus décisif du jour ! Ils s’étaient remis à débiter les mêmes navrantes banalités que jeudi pour justifier un renversement de situation dont la soudaineté aurait au moins dû les intriguer.
Nous avons eu droit à tous les poncifs tels qu’un retour spontané de l’optimisme. Ce dernier était sans doute parti faire un tennis… mais pris de remords, il aura décidé de refaire un crochet par Wall Street. Nous n’avons pas échappé aux "effets positifs d’un déferlement de bons trimestriels" — lesquels avaient pourtant laissé les marchés américains complètement froids durant les trois premières heures de la séance. Et nous avons atteint des sommets de sagacité avec l’évocation du soulagement de Wall Street de voir 90% des banques européennes passer avec succès l’épreuve des stress tests.
▪ Ceci mettait fin à un suspens insoutenable… sauf pour l’ensemble des opérateurs ayant constaté que les résultats avaient "fuité" la veille — et en oubliant de préciser que les indices américains avaient commencé à baisser dès que la liste des gagnants et des perdants avait été rendue officielle en Europe, peu après 18h.
Mais puisque le marché monte à la veille du week-end, pourquoi se fatiguer à effectuer un véritable travail d’investigation ? Tout le monde se fiche bien de savoir pourquoi les cours grimpent ! Ce qui compte, c’est de pouvoir filer au plus vite préparer le barbecue du vendredi soir en se sentant un peu plus riche au moment de choisir entre des travers de porc en promo et un T-bone certifié élevage bio.
Un marché qui se met à grimper sans qu’on lui ait rien demandé, c’est comme au Monopoly lorsque l’on tire la carte "erreur de la banque en votre faveur, recevez 10 000 $". On se réjouit de l’aubaine et on remet la carte au milieu du paquet avant qu’un autre joueur n’ait l’idée de demander s’il n’était pas marqué "allez en prison".
▪ En tout cas, la hausse de vendredi à Wall Street s’est jouée sur un coup de dés. Le "double six" salvateur, le véritable catalyseur du rebond fut en fait l’explosion à la hausse du titre Genzyme : +20% en quelques secondes vers 19h, suite à une information parue sur l’édition en ligne du Wall Street Journal faisant état de discussions informelles avec le laboratoire français Sanofi-Aventis en vue d’un rapprochement. Voilà que la fièvre des OPA réveillait soudain Wall Street qui somnolait depuis l’ouverture et ne s’enthousiasmait guère pour l’actualité du jour.
Les déboires de Sanofi-Aventis, incapable d’empêcher la copie du Lovenox par Novartis/Sandoz et leur partenaire américain Momenta (qui fit un bond historique de 82%), relancent les spéculations sur une concentration du secteur pharmaceutique.
▪ Les investisseurs étaient tellement peu enclins à prendre des initiatives vendredi qu’ils ont à peine réagi lorsque General Electric (GE) a annoncé le relèvement de son dividende (divisé par trois en 2009 par mesure d’économie).
Le titre GE avait pris 2% en quelques secondes mais sans véhiculer une forte impulsion haussière au compartiment des valeurs industrielles. Sans Genzyme, elles auraient probablement consolidé à l’image de leurs homologues européennes.
▪ La meilleure illustration nous est offerte par le CAC 40 : +0,18% à 3 607 points. Il a inscrit à l’arrachée une troisième séance de hausse consécutive et terminé la semaine au-dessus des 3 600 points, après avoir rebondi sur 3 575 points au plus bas du jour.
La performance hebdomadaire du CAC 40 s’établit à +3,05%. Tout s’est donc joué sur la seule séance "miracle" de jeudi ; elle a reflété essentiellement les spéculations sur les résultats des stress tests. Notons que les estimations de Goldman Sachs s’avérèrent d’une troublante exactitude : ce sont en effet pas moins de 90% des banques européennes qui ont triomphé de l’épreuve haut la main. Ouf, on respire !
Sauf que les scénarios retenus n’ont rien d’extrêmes (comme l’avait également prévu Goldman Sachs, décidément d’une prodigieuse sagacité). Ils s’apparentent à une "crise modérée"… mais que se passerait-il si les Bourses chutaient de plus de 20% et si la problématique des dettes souveraines faisait soudain flamber les taux et s’envoler les CDS ?
▪ D’après de nombreux témoignages recueillis après de traders pas trop naïfs, la hausse surprise de jeudi (+3,8% en ligne droite à Paris) a surtout constitué pour quelques grosses maisons de courtage une belle occasion de "faire courir" les vendeurs à découvert.
Le consensus était en effet plutôt vendeur au lendemain du diagnostic économique passablement négatif de Ben Bernanke. Il évoquait jeudi une nouvelle baisse des taux "en cas de besoin"… mais quelle différence cela pourrait-il faire alors que l’argent est déjà gratuit ?
Rien ne saurait affecter une psychologie du marché redevenue très haussière, toutefois, et nous en avons eu une nouvelle preuve dès vendredi matin : en effet, la chute de 1,4% de la consommation des ménages français au mois de juin est passée carrément inaperçue. Le CAC 40 n’a même pas bronché et a continué d’accélérer à la hausse.
L’explication serait qu’un bon indice IFO en Allemagne aurait compensé l’impact négatif de la décrue des ventes de détail en France… Sauf que ce chiffre n’a été rendu public que beaucoup plus tard dans la matinée.
Il faut savoir composer avec les caprices du décalage horaire : ce qui compte c’est que l’envol des indices ait fini par avoir lieu. En ce qui concerne les conditions météorologiques au moment de l’atterrissage… il sera toujours temps de s’en préoccuper le moment venu ! Pour l’heure, place à l’apéritif et aux plateaux-repas. Et par précaution, gardez vos ceintures attachées.