La Chronique Agora

Une dédicace à huit millions de dollars…

** Au moment où Bouygues et Vinci signaient officiellement un contrat de 432 millions d’euros pour la construction du sarcophage destiné à confiner définitivement le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, il nous revient en mémoire le prodigieux comportement du nuage radioactif, arrêté in extremis par les Ardennes (belges), le massif de la Forêt Noire (allemande), le Jura (suisse) puis les Alpes (italiennes), si majestueuses, et dont la puissante réverbération des glaciers repoussa les particules ionisantes jusque et même au-delà de la stratosphère.

En ce qui concerne la crise du subprime, c’est un peu la même chose : elle a explosé en Californie, avec la faillite de New Century Financial… mais ne devait pas franchir les Rocheuses.

Hélas, portée par les vents d’ouest dominants, elle a rapidement bondi par dessus le canyon du Colorado, dévastant au passage Las Vegas… Puis elle a traversé à toute allure les plaines du Middle West, grimpant vers les Grands Lacs avant de franchir les Appalaches puis l’Hudson River — pour enfin s’engouffrer dans les avenues de Manhattan et terminer sa course au fond de l’impasse de Wall Street (c’était à l’origine un cul-de-sac ; vérifiez, c’est un fait historique !).

La crise du subprime aurait dû s’arrêter là, incapable de franchir l’immensité de l’Atlantique. Mais par un caprice des courants de haute altitude, la voici qui s’abat à présent sur Londres et la banque hypothécaire Northern Rock qui plongeait de 36% lundi… puis Francfort : la banque d’état allemande West LB est mise en difficulté par sa filiale Kestrel, un VIS (véhicule d’investissement structuré), tout comme Sachsen LB quelques semaines auparavant.

Mais que les épargnants français se rassurent, la crise ne franchira pas — c’est sûr — ni la Manche, ni la Meuse, ni le Rhin : l’Hexagone, une fois de plus protégé par toute une série d’obstacles géographiques infranchissables, sera épargné par les calamités planétaires… ainsi que par les sombres prévisions de Bruxelles en matière de croissance, si j’en crois Christine Lagarde !

Quelques esprits chagrins mettent cependant en doute les prévisions de notre sémillante ministre de l’économie, ainsi que les propos apaisants de J.C. Trichet à propos de la solidité du bilan des banques européennes (et de l’impact marginal du credit crunch de la mi-août).

** A 48 heures de la publication du bilan semestriel de quelques établissements de crédit de premier plan, le CAC 40 a terminé lanterne rouge au sein des places boursières européennes, avec une rechute de 1,8% qui ramène l’indice phare sous les 5 440 points.

Le spectre d’un ralentissement économique se soldait par le repli de 90% des titres du SRD, dans un volume de 6,55 milliards d’euros nettement plus étoffé que celui constaté vendredi dernier.

Les opérateurs sont tétanisés par la débâcle de Northern Rock, avec de longues files de clients venus retirer tout ou partie de leurs fonds pour la troisième journée consécutive (les succursales sont restées ouvertes toute la journée de samedi). Tout comme en France ou en Allemagne, les dépôts des épargnants ne sont garantis qu’à concurrence d’un plafond allant de 50 000 euros à 75 000 euros.

Au-delà, il existe un risque, même s’il n’est que théorique, puisque la Banque Centrale d’Angleterre s’est engagée à assurer l’approvisionnement en liquidités du huitième groupe bancaire britannique.

Les investisseurs broient-ils inutilement du noir ?

Pas si sûr ! En effet, les perspectives de l’économie américaine apparaissent « plutôt sombres », et les Etats-Unis se préparent à une remontée de l’inflation vers sa moyenne historique de 5%… phénomène assorti d’une possible remontée des taux vers 10%.

La bulle immobilière qui vient d’éclater (c’était inexorable, tant les excès de liquidités ont suscité une spirale haussière insoutenable à plus long terme) devrait se traduire par un ralentissement économique, voire une récession aux Etats-Unis — hypothèse probable à plus de 33%.

** Vous vous apprêtez déjà à zapper la suite — peu habitués à lire des affirmations aussi péremptoires et catastrophistes dans nos Chroniques… mais retenez votre clic, repoussez doucement votre souris derrière votre clavier et accordez-nous encore quelques secondes d’attention, à défaut d’une confiance aveugle dans les pronostics que vous venez de découvrir.

En effet, votre serviteur n’est pas victime d’un soudain accès de neurasthénie, ni de panique irrationnelle devant les files d’attente qui s’étirent devant les agences de la Northern Rock depuis vendredi dernier. Non non, il ne s’agit là que d’une brève évocation du best of du futur best-seller du Maestro… de Mister Bulles… vous avez tous reconnu Alan Greenspan !

Ces assertions qui frappent les esprits doivent être replacées dans leur contexte, puisque l’ex-patron de la Fed sort cette semaine un livre intitulé The Age of Turbulence: Adventures in a New World… Il a perçu pour la rédaction de cet ouvrage une avance de huit millions de dollars ; à ce tarif là, un succès en librairie devient impératif et il ne faut pas se priver d’un peu de sensationnel !

** Ben Bernanke se voit peut-être voler la vedette à la veille du FOM… mais son prédécesseur lui livre sur un plateau une bonne excuse pour ne pas satisfaire les espoirs de baisse de 50 points de base du prime rate en ce mardi 18 septembre. Si la Fed consent à faire un geste, elle pourrait bel et bien se contenter du strict minium, c’est-à-dire de -25 points de base — alors que le baril de pétrole a inscrit en fin de semaine un plus haut historique au dessus des 80 $. Il se traite actuellement autour de 78,5 $, et de nombreux économistes sont en train de réviser leurs objectifs en matière d’inflation.

Et pour ceux qui ne croient toujours pas au risque de stagflation, les signaux de baisse de régime de l’économie américaine se multiplient : l’indice d’activité industrielle de la Fed dans l’état de New York (baptisé « Empire State ») est ressorti en net repli à 14,7 en septembre contre 25,1 en août, alors que Wall Street attendait une contraction limitée à environ 18,5.

En tout cas, les investisseurs américains n’ont apparemment guère apprécié que les journaux télévisés britanniques diffusent des images retransmises en direct de Chelsea ou de Newcastle, dignes des riches heures d’octobre 1929 : le S&P 500 a en effet reculé de 0,5% dans le sillage des valeurs financières et bancaires, et le Nasdaq a perdu 0,8%.

Il se peut également que la remise en cause de l’infaillibilité des plus hautes autorités monétaires britanniques (et de l’actuel Premier ministre, Gordon Brown), accusées d’avoir favorisé le gonflement démesuré de la bulle immobilière de Londres à Liverpool en tardant à resserrer la politique monétaire, jette une ombre sur la capacité d’une banque centrale — fut-ce la Fed — à résoudre le genre de crise à laquelle nous sommes confrontés… depuis beaucoup plus longtemps que fin février dernier.

Pourquoi Ben Bernanke, quoi qu’il fasse, décevra les marchés mardi, et pourquoi la BCE continue de rejeter les critiques de Nicolas Sarkozy (pardon, la formulation est maladroite : pourquoi elle rejette TOUTE critique, d’où qu’elle provienne), voilà qui constituera le thème de notre prochaine Chronique…

Et Alan Greenspan vous met sur la piste : « la crise immobilière sera plus profonde et plus durable que beaucoup l’imaginent ». Il est mieux placé que quiconque pour savoir pourquoi… et cette simple petite phrase pourrait à elle seule faire vendre beaucoup de papier, dédicacé ou non par le « Maestro ».

Philippe Béchade
Paris

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