La Chronique Agora

Une confession en bonne et due forme

** La chasteté n’est pas une vertu particulièrement utile quand on est une prostituée, pas plus que la charité ne sert à un inspecteur des impôts. Il y a un temps pour la vertu, comme pour toutes les autres choses.

* La Chronique Agora est un projet millénaire dans le sens où il a vu le jour à l’aube du 21ème siècle — en juillet 1999 pour sa version américaine. Ou en 1998 ? Nous avons oublié.

* Mais même si nos Chroniques sont assez récentes, elles s’appuient sur près de 30 ans d’observations des marchés, de l’économie et de la nature humaine. Bien entendu, le fait de savoir si nous avons tiré les bonnes conclusions de toutes ces années d’observation est ouvert au débat… voire à la moquerie.

* Nous faisons une petite pause, simplement pour réexaminer les sept ou huit dernières années.

* Nous avons eu bien raison sur une chose : la Bulle Technologique de la fin des années 90. Nous avions dit qu’elle éclaterait — et ça a bien été le cas durant la première année du troisième millénaire ; le Nasdaq s’est effondré et ne s’est toujours pas remis. Prédire la fin des technos était un jeu d’enfant. Tant de signaux d’alarme retentissaient que nous avons pratiquement perdu l’ouïe — et la parole, en criant pour tenter de nous faire entendre par-dessus le vacarme. Les valorisations étaient absurdes. Des entreprises sans bénéfices valaient soudain des millions. C’était "une nouvelle ère". Et si nous n’étions pas d’accord, nous nous faisions renvoyer dans les cordes : "vous ne comprenez rien, en fait, pas vrai ?", nous écrivit un lecteur irrité.

* Nous avons également eu bien raison au sujet de l’or. Il s’échangeait pour moins de 300 $ lorsque nous avons commencé à vanter ses mérites. Nous n’avons jamais caché le fait que nous privilégions l’or depuis 20 ans. Mais rien de tel qu’un marché baissier de deux décennies sur votre métal préféré pour vous donner le sens de l’humilité.

* Les lecteurs qui nous subissent de longue date savent que l’humilité est notre seule véritable vertu, et même dans ce domaine, nous ne sommes pas vraiment sincère. Notre humilité provenait du fait que nous avons eu profondément tort durant une période de temps si longue que c’en était embarrassant. Année après année, notre stock d’or a perdu de sa valeur, tandis que notre stock d’humilité grimpait. Notre humilité ne tarda pas à accumuler une valorisation digne des technos, le stade de bulle. Nous étions si humble, en l’an 2000, que nous en étions tout à fait arrogant. Bien entendu, l’humilité nous donnait un avantage et une longueur d’avance ; bon, d’accord, elle nous rendait parfaitement supérieur ! Et voilà, cher lecteur : une confession pleine et entière.

* Après avoir eu tort sur l’or pendant vingt ans, nous avons déduit qu’il était temps d’avoir raison, pendant quelques temps. Le métal jaune a magnifiquement coopéré. Nous nous attendons à ce qu’il coopère durant encore cinq à dix ans — au moins.

** Mais tout n’est pas allé si bien. Nous étions convaincu que l’économie tout entière filait à toute vitesse vers les enfers ; nous n’avons jamais pu comprendre pourquoi elle n’y est pas encore arrivée.

* L’humilité et la modestie nous ont été utiles face à la bulle des technologiques ; durant cette période, elles nous ont aidé à nous méfier des affirmations concernant "la Nouvelle Ere". Mais elles furent aussi inutiles qu’un parapluie dans le désert durant les années qui suivirent. Nous les avons déployées pendant que le soleil brillait. La bulle de l’immobilier, le rebond du dollar et l’économie apparemment robuste de la période 2002-2006 — toutes ces choses exigeaient que l’on abandonne volontairement toute capacité d’incrédulité, et que l’on affiche le genre de mépris indécent pour la vertu sous toutes ses forme que l’on obtient généralement dans une ivresse profonde ou durant un marché de bulle. L’immobilier était le moyen de s’enrichir — mais nous détestions l’idée d’en parler. Le dollar était LA devise en vogue — mais nous avions peur de la détenir. L’économie tournait comme une toupie — mais nous nous attendions à ce qu’elle échappe à tout contrôle.

* Nous nous en serions mieux tiré — si l’on se base uniquement sur les critères financiers — en jetant nos humbles vertus par-dessus les moulins comme des hauts de bikini à Saint-Tropez. Nous aurions dû acheter des immeubles à Miami (sans toutefois oublier de les vendre !). Nous aurions dû acheter le Dow à son plancher en 2002. Nous aurions aussi dû gratter quelques profits grâce au dollar — en vendant nos positions en euro en janvier 2005, lorsque la monnaie unique valait 1,35 $. Et nous voilà… les feuilles s’entassent dans le parc, les jours raccourcissent, l’année aussi. Quelles vertus rapporteront dans les mois qui viennent ?

* Nous avons une prémonition. Et puisque nous sommes d’humeur à nous confesser, nous devons admettre que c’est une prémonition que nous avons depuis longtemps sans résultats, en attendant un véritable effondrement financier qui semble avoir manqué son vol. Néanmoins, nous soupçonnons que le temps de la témérité est terminé. Nous soupçonnons que l’épargne rapportera dans les années qui viennent. Et la timidité. Et même la crainte.

* L’or s’est vendu sous les 600 $ vendredi. A ce prix, il est sous notre cible d’achat. Nous soupçonnons que nos chers lecteurs ne regretteraient rien… s’ils se positionnaient maintenant.

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