La Chronique Agora

Une civilisation qui ne fonctionne plus

** "Le terrorisme diminuera… les armes de destruction massive seront limitées, les gens seront plus en sécurité partout dans le monde, les droits de l’homme et la démocratie seront libérés au Moyen-Orient, et les fragiles perspectives de prospérité mondiale seront améliorées… Le poids de l’incertitude qui grignote la croissance mondiale diminuera lui aussi, ainsi que la taxe énergétique provenant des pics temporaires du prix du pétrole".

* C’est ainsi que parlait Larry Kudlow en mars 2003.

* Le pic pétrolier qu’il décrivait s’est produit le 12 mars 2003, mettant le prix d’un baril de pétrole à pas moins de 37,83 $.

* A l’heure où nous écrivons ces lignes, le baril cote plus de 135 $.

* Mais Kudlow n’était de loin pas seul dans ses hallucinations. Laurence Lindsey, qui était alors conseiller économique de George Bush, regarda dans sa propre boule de cristal et n’y vit rien pour lui déplaire.

* "Selon tous les scénarios plausibles, l’effet négatif sera relativement limité par rapport aux bienfaits économiques… Le principal problème est le pétrole, et un changement de régime en Irak faciliterait une augmentation [de l’offre de] pétrole mondial", faisant ainsi baisser les prix de l’or noir.

* Paul Wolfowitz, qui était alors secrétaire adjoint à la Défense US, continua en rassurant les Etats-Unis sur le fait que les revenus pétroliers de l’Irak financeraient tous les coûts de reconstruction du pays.

** Aujourd’hui, nous parlons d’un des erreurs de calculs les plus crétines de tous les temps. En un seul coup maladroit, un groupe relativement petit de mouches du coche est parvenu à saper les progrès de neuf générations. Cinq ans plus tard, les Etats-Unis se retrouvent du côté perdant du "plus grand transfert de richesse de l’histoire", expression utilisée par T. Boone Pickens pour décrire le marché pétrolier de 2008. George W. Bush a les sondages les plus défavorables de tous les présidents US de l’histoire. Le secteur le plus profitable de tous les Etats-Unis — la finance — s’est effondré… le dollar a perdu un tiers de sa valeur… et les économistes européens, chinois et indiens hochent la tête en disant : "je vous l’avais bien dit".

* Mais à la Chronique Agora, nous voyons toujours le bon côté des choses. En ce qui concerne le sujet du jour, le bon côté, c’est que les Etats-Unis avaient besoin qu’on leur rabatte le caquet. Après l’effondrement de l’Union Soviétique, en 1990, les Etats-Unis avaient le monopole de la force militaire mondiale. La Nature a horreur du monopole ; elle devait remettre les USA à leur place. Et qui était mieux placé pour s’en charger que ce groupe de néo-conservateurs ? Ils n’avaient pas besoin d’histoire, pas plus qu’ils ne comprenaient l’économie. Ils étaient parfaits pour mener le pays à la disgrâce et à la faillite.

* M. Kudlow continuait ses mauvais calculs en faisant référence à un sondage dans lequel 69% des participants affirmaient être prêts à payer 300 $ pour la guerre en Irak.

* Pour l’instant, rien que cette année, le prix du pétrole a grimpé de 40%. Il est désormais 100 $ plus cher que lorsque les néo-conservateurs ont entraîné les Etats-Unis dans la guerre contre l’Irak. Chaque Américain utilise 25 barils de pétrole par an. Cela revient à une "taxe pétrolière" de 2 500 $ de dépenses énergétiques supplémentaires par personne… ou 10 000 $ pour une famille de quatre, annuellement. De plus, on estime que la guerre elle-même coûte entre 1 000 et 2 000 milliards de dollars. Divisez cela par le nombre de familles américaines, et vous obtenez un chiffre de 10 000 $ ou plus.

* Oups.

* Mais ces chiffres ne sont qu’un début. La flambée des prix de l’énergie sape le way of life américain lui-même, tel qu’il est actuellement. Comme le dit notre collègue Byron King, nous avons passé les 100 dernières années à construire le mauvais genre de monde. A présent, de nombreuses personnes sont condamnées à vivre dans les ruines d’une civilisation qui ne fonctionne plus.

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