La Chronique Agora

Un Waterloo financier transformé en victoire ?

** La stabilisation de Wall Street mardi soir — même si le Dow Jones s’est effrité de -0,3% — devrait éviter au CAC 40 d’aligner une sixième séance de consolidation, dans ce qui aurait pu constituer le symétrique du rebond de la période du 29 décembre au 6 janvier.

Alors que le début de l’année 2009 semblait démentir les plus sombres pronostics, voilà que le bilan annuel ressort désormais négatif de 0,6% à Paris. Les discours alarmistes n’ont pas tardé à emplir les salles de marché et les rédactions de la presse économique.

Mais de quoi les investisseurs peuvent-ils donc avoir encore peur au sortir d’une année aussi épouvantable que 2008 ? Nous soupçonnons que ce pourrait être l’effondrement du système de financement d’Etats tels que les Etats-Unis. La masse des remboursements dus aux créanciers de l’Amérique aurait en effet cessée d’être couverte par un afflux de capitaux équivalent à la moitié de l’épargne nette mondiale (celle des autres Etats et des fonds souverains) depuis cinq ans déjà.

Dans un régime de déflation mondiale, la rareté des capitaux ne fait que rendre plus criantes les difficultés rencontrées par les débiteurs. Qu’un léger déficit de confiance surgisse et le mécanisme de la banqueroute s’enclenche inexorablement.

Si les Etats-Unis en étaient victimes, ce serait l’illustration d’un effondrement de la "martingale de Ponzi" appliquée au système de refinancement fédéral.

** L’expression "schéma de Ponzi" dont on nous rebat les oreilles fait peut-être plus académique… mais son inventeur n’a fait qu’associer la puissance du marketing — qui en était encore à ses balbutiements un siècle auparavant — à un principe algébrique qui ferait bâiller d’ennui un élève de CM2.

Rien d’académique donc, si ce n’est que Charles Ponzi n’a obtenu que la palme de la plus grosse escroquerie pyramidale du premier tiers du XXe siècle : ce n’était certainement pas celle de la plus sophistiquée ou de la plus difficile à détecter.

Il a donc fallu une bonne dose d’aveuglement et de solides complicités pour que le sieur Madoff parvienne à transformer le modeste pâté de sable du sieur Ponzi en un château — de cartes — d’un format comparable à celui de Louis II de Bavière.

Depuis 48 heures, les principaux réseaux de communication américains enchaînent les éditions spéciales consacrées à l’escroc de la décennie… euh non, du siècle… mais non, cela ne fait que huit ans et deux petites semaines, alors disons, du millénaire.

L’arnaqueur du millénaire, cela pose son homme et cela fait un bon titre. Au travers des divers commentaires et interviews entendus depuis lundi, il en ressort aujourd’hui que l’opinion publique apparaît bien plus choquée par la décision d’un juge fédéral de ne pas requérir son incarcération que par la complaisance dont a fait preuve la SEC durant une bonne décennie. Est-ce la force de l’habitude ?

Nous aurions aimé entendre le témoignage d’heureux investisseurs dont Madoff a fait la fortune et qui ont transformé leurs plus-values miraculeuses en yachts, jets privés et autres maisons fastueuses à Palm Beach, Aspen ou Boca Raton. Comment vit-on le fait d’avoir pu asseoir son train de vie sur ce qui s’apparente à du recel ?

Bernard Madoff affirme avoir tout perdu, mais ce n’est pas comme s’il avait coulé un navire rempli de millions de carats de diamants au-dessus de la fosse des Mariannes ou brûlé un Arc de Triomphe composé de liasses de billets de 20 dollars.

L’argent — du vrai argent, pas du virtuel comme les emprunts subprime — est tout simplement passé d’une poche à l’autre. Il ne s’est pas évaporé, il n’a pas disparu du système financier, son changement de propriétaire a forcément laissé des traces — et celui qui a été restitué aux premiers clients "chanceux" également.

Ce qui préoccupe l’opinion, c’est de voir un véritable escroc maintenu dans son luxueux penthouse, au dernier étage d’un des immeubles les plus chics de Manhattan, alors que certains des souscripteurs ruinés se voient délivrer sans délai des arrêts d’expulsion de leur logement.

Pourtant, leur argent est bien arrivé quelque part ! Qui sait, peut-être même a-t-il échoué, par un caprice des marchés dérivés, dans les comptes de l’organisme de crédit qui s’apprête à saisir leurs biens immobiliers.

Ils ont le droit de se demander pourquoi ils n’ont aucun espoir de bénéficier d’une indemnité d’aucune sorte alors que les banques qui se sont "déchirées" sur les subprime, et qui se posent également en victimes d’un vaste réseau d’escrocs, se voient offrir par la Fed, la Banque d’Angleterre ou encore la BCE des crédits pratiquement illimités pour se maintenir dans leurs murs.

** Le battage médiatique orchestré au sujet de l’affaire Madoff (ira, n’ira pas en prison ?) a eu pour effet d’éclipser l’ultime et consternante conférence de presse de G.W. Bush. Il s’est plaint des critiques dont son action — ou son inaction face au désastre de la Nouvelle-Orléans — a fait l’objet. "L’histoire jugera mon bilan", a-t-il affirmé, "et il n’est pas exclu que l’intervention en Irak soit un beau jour considérée comme une grande victoire".

Tout est une question de point de vue… les Anglais ont bien donné un nom de défaite à l’une des principales gares londoniennes !

** Les banques centrales également se pensent sur le point de remporter une grande victoire contre les forces déflationnistes alors qu’elles ont vu les leviers des mécanismes de financement de l’économie mondiale leur échapper ces dix dernières années, avec le plein assentiment des Etats. Ceux-ci prétendent pouvoir remettre la machine en marche en injectant dans le circuit des milliers de milliards de dollars qu’ils ne possèdent même pas.

A l’occasion d’un discours prononcé à la London School of Economics, Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale, a confirmé qu’il faudrait continuer de nettoyer le bilan des établissements financiers des actifs "toxiques". La Fed envisage de les y aider en accroissant sa capacité d’échange de bons du Trésor contre des produits obligataires dépréciés.

Nous en profitons pour attirer votre attention sur le fait que plus la Fed engrange des positions de moindre qualité (même si elle s’en défend), plus l’avantage des T-Bonds — en termes de sécurité — se réduit par rapport aux emprunts émis par des entreprises disposant d’un bon matelas de cash et de revenus récurrents.

En croyant se prémunir du risque, les investisseurs qui cherchent refuge sur les bons du Trésor US ne font qu’accélérer son transfert du bilan des banques du secteur privé vers celui du prêteur en dernier ressort : la Fed.

Les Etats-Unis vont de surcroît faire délibérément exploser leur déficit budgétaire en 2009. Il sera plus que deux fois supérieur à celui des pays — certes mal en point — qui composent la Zone euro. Mais comment croire durable l’engouement pour des emprunts libellés en dollars alors que la création monétaire ex nihilo est galopante et que la baisse de la qualité de la devise se traduit par une baisse simultanée de la rémunération ?

Serait-ce l’illustration du principe : épargner plus pour gagner moins ?

Philippe Béchade,
Paris

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