La Chronique Agora

Un remake du "flash krach" ?

▪ La question était sur toutes les lèvres jeudi en fin d’après-midi : les marchés ne seraient-ils pas en train de nous jouer un remake de la séance du 6 mai dernier ?

Les pertes étaient supérieures à 3% sur l’ensemble des indices américains après trois heures de cotations ; les places européennes ont franchi le cap des -4% à une heure de la clôture (à Paris notamment). Dans ces conditions, certains opérateurs ont eu la désagréable sensation de voir le sol se dérober à nouveau sous leurs pieds.

Le pire cauchemar, ce sont en fait les spéculateurs sur les matières premières qui l’ont vécu avec un plongeon de 7% du cours du baril : il a testé le plancher des 65 $ sur le pétrole livrable en juin. Et que dire des métaux industriels ? Le platine dévissait de 7% et le palladium de 10%. L’indice synthétique des métaux non ferreux a chuté de 7,5%, dans ce que nous interprétons comme une capitulation des non-initiés, trop engagés sur des marchés qu’ils maîtrisent mal.

Nous ne prétendons pas être des spécialistes du NYMEX — et encore moins des platinoïdes… Mais quand nous voyons la position ouverte sur les futures doubler alors que la demande mondiale n’augmente pas et que la Chine tente de ralentir le rythme de son expansion économique depuis la mi-janvier, il n’est pas difficile de crier « attention, casse-cou ». Pourtant, beaucoup d’investisseurs semblaient continuer d’entendre : « achetez tout » !

Nous avions à de maintes reprises expliqué sur le Téléphone Rouge fin avril que les contrats à terme sur le brut et les platinoïdes n’étaient pas des refuges pertinents face à une décrue de l’euro (le pétrole n’en poursuivit pas moins son ascension jusqu’à culminer vers 87 $)… L’or constituait l’exception qui confirme la règle — ce qui ne l’empêchera pas de rechuter sous les 1 200 $/once d’ici fin mai.

▪ Le fait marquant de la fin de journée d’hier, c’est justement le rebond de l’euro au-delà des 1,2550 $ et des 112 face au yen (soit un écart de +1,5%). Ne cherchez pas ailleurs l’origine du vent de panique sur le NYMEX et le CBOT (Chicago Board of Trade… sur lequel se négocient les instruments dérivés sur matières premières).

En fait, nous nourrissons une méfiance atavique à l’encontre de tout ce que l’on peut acheter sur un marché à terme et que l’on ne peut pas se faire livrer dans son salon ou entreposer dans un coffre-fort familial n’ayant pas les dimensions du bunker d’Oncle Picsou.

Cela dit, tapisser son salon de pièces d’or de tous les pays et de toutes les époques, ce n’est qu’une partie de la solution. Après tout, nous ne payons pas encore nos impôts en Napoléons, en pièces de 20 dollars US ou en 50 pesos mexicains (soit l’équivalent d’une once de pur métal précieux).

Il faut conserver quelques liquidités pour s’amuser un peu sur les devises et prendre le contrepied du troupeau. Les vendeurs d’euro étaient fort nombreux depuis mardi, pour ne pas dire largement majoritaires, et leurs arguments tenaient la route — sauf qu’ils se réveillent après que l’euro a perdu 20% en moins de six mois face au dollar.

Mais pourquoi se racheter au plus fort de la cacophonie européenne au sujet de l’encadrement des politiques budgétaires, du déblocage des fonds de l’Euro-TARP, du contrôle de l’activité des hedge funds… sans oublier les dernières déclarations de Dominique Strauss-Kahn : « je ne crois pas que la Zone euro soit en risque d’exploser. En revanche, je pense que le risque c’est qu’elle tourne mal, qu’elle fonctionne mal ».

▪ Les arbitragistes sur actions ont d’autres soucis tout aussi incommodants. Ils craignent en effet de voir les ventes à découvert plus sévèrement réglementées en Europe. Le même genre d’incertitude tétanise Wall Street alors que des projets de loi visant à mieux encadrer les activités spéculatives des banques sur le territoire américain sont toujours en discussion.

Le juteux négoce des CDS devrait cependant être épargné, un amendement venant d’être voté mardi en ce sens. Encore une brillante victoire des lobbys bancaires qui font la pluie et le beau temps parmi les membres les plus influents du Congrès US.

Mais pourquoi vouloir préserver à tout prix le marché des CDS si le dollar et les bons du Trésor US sont des placements aussi solides que le prétend Ben Bernanke ?

Les marchés commencent à prendre conscience que la bulle de dette planétaire est si colossale qu’il n’existe pratiquement aucune échappatoire. Après avoir acculé la Grèce à la faillite, il faudra bien changer de cible un jour. Si la Chine avait une monnaie convertible, cela fait longtemps que ses banques se seraient fait dynamiter pour excès de créances douteuses… mais l’institution qui détient le plus de dettes pourries au monde, c’est la Fed, ne l’oublions pas.

La vague de correction observée jeudi est bel et bien partie des Etats-Unis. Il est très vite apparu évident que la spéculation allait profiter de la dynamique baissière des trois dernières semaines pour enfoncer les indices américains vers leurs récents planchers de « flash krach » (du 6 mai) à l’occasion de cette séance des « Trois sorcières ».

▪ La place la plus vulnérable jeudi fut incontestablement Paris. Elle a subi une déferlante d’ordre de ventes stop à partir de midi, dès que le CAC 40 a enfoncé les 3 500/3 480 points, pour ensuite perdre 100 points supplémentaires en moins d’une heure.

Paris a retracé vers 16h son récent plancher annuel de clôture des 3 390 points et inscrit un plancher intraday à 3 362 points, soit une perte de 4%. Il s’est ressaisi un peu au cours de la dernière demi-heure grâce à quelques rachats techniques — les vendeurs ont de la marge : le mois de mai 2010 se solde par la plus lourde perte mensuelle observée sur le CAC 40 depuis janvier 2009 et surtout octobre 2008.

La volatilité redevient intense sur l’ensemble des indices boursiers. Le CAC 40 a varié de 143 points en l’espace de quelques heures mais en a terminé sur une correction pas trop terrifiante de 2,25%, à 3 432 points. Le tout dans des échanges n’excédant pas 4,4 milliards d’euros, c’est-à-dire inférieurs de moitié à ceux observés les 6 et 7 mai.

A Wall Street, la tendance demeurait très lourde en clôture avec un S&P dévissant de 3,9% (avec 98% de titres dans le rouge) et un Dow Jones en repli de 365 points (avec 100% de ses composantes en baisse)… Le Nasdaq quant à lui se désintégrait littéralement, perdant 4% et passant sous les 2 205 points dans le sillage de Google, Intel et Apple.

▪ Les opérateurs n’ont trouvé aucun réconfort dans la publication des inscriptions hebdomadaires au chômage aux Etats-Unis. Les demandes d’allocation augmentent de manière inattendue de 25 000, passant à 471 000 contre 446 000 la semaine précédente. La moyenne mobile sur quatre semaines s’établit à 453 500, soit une hausse de 7%.

Cela fait un mois que la situation se dégrade, ce qui augure mal d’une poursuite de l’embellie observée en mars et avril sur le front de l’emploi.

Du côté des bonnes surprises, la petite hausse de l’indice d’activité Philly Fed à 21,4 a eu autant d’efficacité pour endiguer la vague d’ordres de vente que les pauvres boudins de plastique déployés devant les côtes de Louisiane pour endiguer la marée noire qui continue de jaillir des entrailles du golfe du Mexique.

Du point de vue technique, la situation semble sans appel à Wall Street. 93% des valeurs du NYSE évoluent désormais sous leur moyenne mobile à 50 jours, et les indices perdent plus de 10% depuis le zénith du 23 avril (la séance de jeudi étant la pire depuis le début du mois de mars 2009).

Le dernier quart d’heure de la séance sur les marchés américains faisait songer à une véritable opération commando visant à provoquer le maximum de dégâts avec le minimum de titres vendus à découvert… quelques minutes avant le début du discours de Barack Obama au sujet de la régulation bancaire (une pure coïncidence, n’en doutons pas).

Ce genre de scénario n’était-il d’emblée pas le plus probable — parce que de loin le plus lucratif — à la veille de la séance d’expiration des dérivés sur actions ?

Mais au fait… qui se soucie encore du fait que 75% des valeurs américaines ont battu le consensus au premier trimestre 2010 ? Et qui jugeait encore le S&P 500 « bon marché » mercredi soir, lorsqu’il a clôturé exactement au niveau du 31/12/2009 (avant d’afficher -3,9% dès le lendemain sans que les acheteurs ne lèvent le petit doigt) ?

Et qu’est-ce que signifie un indice DAX 30 en repli de 1,5% depuis le 1er janvier quand le CAC 40 affiche -13%, Milan -17% et Madrid -23% ?

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