La Chronique Agora

Un noir panache s’échappe également des tréfonds de Wall Street

▪ L’effondrement de British Petroleum (-15% dès les premiers échanges à Londres) a presque éclipsé les tensions diplomatiques qui ont ressurgi au Proche-Orient… Puis les marchés se sont focalisés sur le communiqué alarmiste concernant les pertes potentielles des banques de la Zone euro à l’horizon 2011, d’où une violente rechute de l’euro sous 1,215 $.

La séance de mardi s’inaugurait donc sur un empilement de mauvaises nouvelles à faire fuir les haussiers les plus intrépides. Les places européennes n’ont pas tardé à perdre 1,5% dès les premiers échanges, puis 2,5% en milieu de matinée et même au-delà de 3% à Madrid.

Une séance de cauchemar s’est dessinée pour les heures suivantes : Wall Street affichait -1,5% en préouverture, dans le sillage d’un euro qui inscrivait un nouveau plancher annuel à 1,211 $ vers 11h. Tous les ingrédients semblaient réunis pour que les Bourses européennes dupliquent le scénario catastrophe des 7 et 14 mai dernier (avec des écarts de -5% ou plus)… tous sauf un : les volumes.

Nous n’avons pas manqué de mettre l’accent sur cette singularité hier, ajoutant que l’ouverture de Wall Street démentait les anticipations les plus sombres formulées mardi matin. C’est ce qui nous a conduit à ne formuler aucun diagnostic prématuré concernant une rechute des indices boursiers sur les planchers annuels au cours des heures suivantes.

Il n’y avait en effet que des raisons de vendre… mais pas de vendeurs ! Attendez un peu que l’euro se refasse une santé, que les actions remontent, que la confiance revienne chez les investisseurs particuliers durant quelques séances : vous verrez comme ils retrouvent soudain l’usage de la partie de leur cerveau qui gère les programmes et les algorithmes destinés à déclencher une panique sur les marchés.

Une fois encore, nous pressentons que les cours ne se redressent que pour mieux rechuter !

Nous ne savons pas quel sera le catalyseur. En revanche, nous savons qu’il n’y aura que l’embarras du choix. Une rumeur (une de plus) de discorde franco-allemande ferait l’affaire, un abaissement de notation d’une ou deux grandes banques européennes serait plus efficace… mais il n’est même pas besoin de se livrer à de savantes extrapolations puisque la BCE fournit déjà tout le matériau théorique dont les pessimistes pouvaient rêver.

▪ Elle a en effet dévoilé lundi un rapport alarmiste concernant les risques de pertes sur les stocks de dettes détenues par les banques privée opérant dans la Zone euro. Elles vont devoir refinancer environ 800 milliards d’euros de dettes à long terme à refinancer entre aujourd’hui même et fin 2012.

Cela représente une trentaine de mois. Calculez la moyenne, cela fait une somme rondelette de plus 26 milliards d’euros à chaque nouvelle lune… et elle sera difficile à décrocher pour l’ensemble des emprunteurs du secteur privé.

Ils vont se retrouver en concurrence frontale avec  plusieurs Etats dont les besoins de refinancements sont tout aussi vitaux — il y va de leur stabilité politique et de la crédibilité de l’euro. La BCE n’a aucun mal à conclure que cette situation va tôt ou tard se traduire par une hausse des coûts de financement pour les banques.

D’après ses calculs, elles risquent de devoir inscrire dans leurs comptes 195 milliards d’euros de dépréciations supplémentaires d’ici la fin 2011 (90 milliards en 2010 et 105 milliards en 2011). Et combien d’entre elles échapperont à un abaissement de notation d’ici 2012 ?

Vous songez « pas beaucoup »… et vous êtes probablement encore au-dessus de la vérité !

Fitch vient d’abaisser d’un cran la note à long terme de Banco Sabadell. De son côté, Standard & Poor’s venait à peine de placer sous surveillance négative la banque Caja Madrid que celle-ci réclamait trois milliards d’euros au fonds de secours bancaire ibérique pour échapper à la banqueroute… Et est-il besoin de rappeler que l’Espagne a perdu son « AAA » ce week-end ?

La consommation s’effondre dans la péninsule (le Portugal est dans le même pétrin)… le chômage bat son record en Europe à 10,1% de taux moyen… et en France, les ventes d’automobiles ont chuté de 11% tandis que le moral des ménages dégringole.

Il est décidément bien difficile de trouver trace des excellentes perspectives économiques dont les médias se faisaient l’écho en début d’année ! Par ailleurs, l’activité commence à ralentir en Chine sous l’effet des mesures de durcissement monétaire mises en place par Pékin (au risque de provoquer l’éclatement de la bulle immobilière).

▪ Mais où trouver un rayon de soleil, tabarnak’ ?

Eh bien au Canada, nom d’un orignal ! La Banque centrale est devenue mardi la première au sein des pays du G7 à relever son taux directeur (d’un quart de point à 0,50%) depuis 18 mois. Une décision devenue impérative malgré l’incertitude en Europe parce que l’économie canadienne tourne à plein régime.

Elle a connu un taux d’expansion vertigineux de 6,1% au premier trimestre (en rythme annuel), soit deux fois plus qu’aux Etats-Unis. Elle compte également avec une accélération de 25% par rapport aux 4,9% de croissance au quatrième trimestre 2009 !

Le Canada regorge de ressources naturelles en quantité quasi illimitée — à la hauteur en tout cas des besoins de la Chine… un très gros client ! –, et surtout de sables bitumineux dont l’exploitation est réputée très polluante.

Tout est une question de moyens s’agissant du traitement des sous-produits résultant du chauffage des schistes (c’est ainsi qu’ils libèrent le pétrole qu’ils contiennent). Mais le pétrole brut extrait des tréfonds du golfe du Mexique est également « vapo-craqué », c’est-à-dire étuvé à très haute température, avant d’être livré aux stations services.

S’agissant des gisements de l’Alberta, tout se passe sur la terre ferme, le plus souvent à l’air libre ; le principal danger réside dans la pollution des nappes phréatiques. Une étanchéité totale des aires de stockage des résidus doit être assurée, ainsi que le retraitement des effluents les plus toxiques.

C’est presque un jeu d’enfant en comparaison des difficultés pour faire cesser une fuite de pétrole à plus 1 500 mètres de profondeur… là où aucun homme, même muni d’un scaphandre pressurisé, ne peut intervenir vu les conditions de pression titanesques. Ou alors, il faudrait passer un mois dans un caisson hyperbare avant de remonter à la surface !

▪ Nul doute que la pollution du siècle, équivalente à plusieurs Exxon-Valdes ou Amoco-Cadiz, va porter un coup très rude à la prospection en eaux profonde. Elle fera exploser les coûts d’exploitation des compagnies pétrolières, avec l’installation de nouveaux systèmes de sécurité.

Wall Street vient d’en prendre conscience avec l’échec de l’opération « top kill« , la dernière susceptible de stopper la fuite dans un délai relativement rapide. Toutes les solutions alternatives vont prendre beaucoup de temps et garantissent la perpétuation d’un désastre écologique sans précédent.

Il se murmure déjà que BP pourrait ne pas y survivre… et que d’éventuels prédateurs seraient bien imprudents de s’intéresser au dossier tant que les coûts de cette catastrophe ne seront pas quantifiés.

Toutes les compagnies pétrolières et parapétrolières américaines impliquées dans l’exploitation de la plate-forme offshore incriminée ont littéralement sombré dans le sillage de leur donneur d’ordre  britannique BP. Le titre a coulé à pic de 15% ce mardi après reprise des cotations à Londres et New York ; sa capitalisation boursière s’est désintégrée, avec une perte de 60 milliards de dollars depuis la mi-avril.

Les valeurs pétrolières ont entraîné Wall Street par le fond, balayant les effets bénéfiques de deux chiffres meilleurs que prévus : une hausse de 2,7% des dépenses de construction en avril et un indice ISM manufacturier stable.

▪ Tous les indices américains ont clôturé au plus bas du jour. Le Dow s’est replié de 1,1% à 10 025 points, le Nasdaq Composite a baissé de 1,55% et le S&P 500 a dévissé de 1,7% (il était encore à l’équilibre vers 20h30).

Le scénario est l’exact symétrique de celui observé en Europe. Les indices américains ont dessiné une hyperbole (culmination après une heure de cotations) tandis l’E-Stoxx 50 ou le CAC 40 ont dessiné une parabole, Paris chutant de 100 points au bout de deux heures, jusque sur 3 415 points avant de rebondir vers 3 520 peu avant la clôture.

Le CAC 40 va devoir lutter une fois de plus pour se maintenir au-dessus des 3 430 points : une nouvelle marée noire d’ordres de vente se profilait dès mardi soir en transactions hors séance. Après l’effondrement du système bancaire aux Etats-Unis, c’est un second pilier économique (et politique) qui menace de rompre et d’engloutir les économies de millions d’épargnants américains.

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