La Chronique Agora

Un monde assoiffé d'électricité

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UN MONDE ASSOIFFE D’ELECTRICITE — 1ère PARTIE
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Par Chris Mayer (*)
Vous avez entendu parler de la grande panne de 2003 ?

Il s’agissait de la plus grande panne d’électricité jamais vue en Amérique du Nord ; elle a affecté plus de 10 millions de Canadiens et 40 millions d’Américains. La coupure électrique s’est propagée à toute la région du nord-est. Les communications ont été coupées. Des chemins de fer ont dû fermer. Les systèmes de protection des frontières ont cédé. Des milliers d’entreprises ont dû fermer. On a entendu parler de pillages. Même les réserves d’eaux ont été polluées. Des eaux usées se sont écoulées dans des rivières. Des millions de personnes ont dû vivre en faisant bouillir leur eau avant de la consommer. Les pertes financières totales auraient atteint plus de six milliards de dollars.

Pensez-vous que nous reverrons un tel phénomène ? Moi, j’en suis convaincu. Ces cinq dernières années, nous avons vécu plusieurs pannes significatives. Ce sont des signes avant-coureurs, cher lecteur. Ca va se reproduire.

Pourquoi ? Parce que les Etats-Unis et le Canada ont négligé leurs réseaux électriques comme des jardiniers ayant laissé les mauvaises herbes envahir leurs plates-bandes. Le réseau nord-américain est le plus vaste de la planète. Il a été construit en grande partie durant la première moitié du 20ème siècle. Mais malgré son âge, entre 1975 et 1998, les investissements dans le réseau électrique nord-américain ont diminué chaque année.

Ce sont là 23 années consécutives d’investissements déclinants dans la maintenance et les réparations. Les choses ne se sont guère améliorées ces cinq dernières années. L’investissement dans le réseau électrique a atteint en moyenne la moitié de ce qu’il était au cours des deux décennies précédentes.

Maintenant, ajoutez à cela un nombre croissance d’utilisateurs. La population américaine vient d’atteindre les 300 millions de personnes. Et réfléchissez au fait que l’économie dépend de plus en plus de l’électricité. Le Conseil nord-américain de la fiabilité électrique déclarait dans son dernier rapport en date que la demande augmente trois fois plus rapidement que l’offre. La marge de capacité — c’est-à-dire la capacité du système à répondre à une demande inattendue (en cas de conditions météorologiques extrêmes, par exemple) — est sous l’objectif minimum de 15% dans la majeure partie des Etats-Unis.

Bref, pour faire simple, le système électrique américain est vieux et usé. Pourtant, on le fait tourner à plein régime, comme jamais auparavant. Ajoutez à ce réseau vieillissant une demande en croissance, et qu’obtient-on ? Une amère potion de coupures à répétition.

Il a fallu beaucoup de temps pour se mettre dans un tel pétrin. Il faudra beaucoup de temps — et d’argent — pour en sortir. La grande panne de 2003 a ouvert quelques yeux. Des changements ont été faits qui pourraient déclencher un boom de dépenses tel que nous n’en avons pas vu depuis plus de 30 ans.

L’essentiel, pour les investisseurs, c’est que les investissements dans le réseau électrique nord-américain devraient dépasser les 10 milliards de dollars annuels dans les prochaines années. Au total, les fournisseurs de services prévoient de dépenser plus de 100 milliards de dollars d’ici 2015.

Je pourrais vous en dire plus sur la fascinante histoire du réseau et comment on en est arrivés là. Je pourrais vous parler des régions les plus encombrées — qui n’attendent que la panne. Je pourrais vous décrire la demi-douzaine de projets majeurs dont les coûts devraient se monter à plusieurs milliards de dollars — et ces estimations se révéleront sans doute trop basses. C’est simplement la nature de tels travaux. On commence avec une estimation de trois milliards de dollars, et on finit par dépenser neuf milliards. Ce ne serait pas la première fois — et de loin.

Le boom des dépenses pour les réseaux électriques mondiaux est assez simple, en fait. Inutile d’en connaître tous les détails pour en profiter — tout comme il est inutile de savoir comment on fait les trous dans les macaronis pour en savourer un bon plat accompagné de sauce bolognaise.

La quantité d’argent que certains pays investiront pour leurs infrastructures électriques réduit tout simplement à rien les sommes déboursées par l’Amérique du Nord !

Commençons avec l’Inde.

J’ai récemment terminé un livre appelé "L’Inde : guide de l’investisseur dans la prochaine superpuissance économique", par un analyste appelé Aaron Chaze. C’est un ouvrage bien documenté sur la transformation économique de l’Inde. Chaze est haussier sur le pays, comme on peut s’y attendre… et il perd tout simplement la tête lorsqu’on parle d’infrastructures. "Après des décennies de corruption et de négligence qui ont retardé la création d’infrastructures", écrit Chaze, "l’Inde représente désormais le meilleur potentiel pour les investissements dans les infrastructures — non seulement d’Asie, mais du monde entier".

Une bonne partie de ce potentiel réside dans la génération d’électricité. Tout comme en Amérique du Nord, le fossé s’est creusé entre l’offre et la demande. Ces dix dernières années, il s’est même transformé en gouffre. Mais contrairement à l’Amérique du Nord, l’Inde construit une bonne quantité de capacités toutes nouvelles.

La plupart des ménages indiens — 60% environ — utilisent encore des sources d’énergie traditionnelles, comme le bois de chauffage. Cependant, la prospérité croissante de l’Inde amène des changements rapides. Chaze écrit : "l’explosion de la demande, une fois que ces ménages commenceront à vouloir leur part d’énergie, génèrera une véritable frénésie d’augmentation des capacités [électriques] ".

L’Inde projette de dépenser plus de 180 milliards de dollars pour créer le plus vaste réseau électrique de la planète. Le premier ministre Manmohan Singh déclare vouloir que tous les Indiens aient l’électricité d’ici 2012 — soit dans cinq ans à peine.

Et l’Inde n’est pas toute l’histoire — simplement une petite partie de ce qui promet d’être une véritable mousson de dépenses en infrastructures électriques.

La Chine, comme vous pouvez l’imaginer, joue également un rôle important dans cette histoire. Une grande partie de la Chine rurale n’a toujours pas les installations électriques de base. Le pays prévoit donc de dépenser plus de 140 milliards de dollars d’ici 2012 afin d’apporter l’électricité à tous ses citoyens. Cela représente des centaines de millions de nouveaux consommateurs. Dans les zones urbaines aussi, la demande devrait grimper en flèche tandis que les ménages achètent plus de télévisions, de climatiseurs, de réfrigérateurs etc.

En dehors de la Chine et de l’Inde, la Russie représente le plus grand marché de dépenses en infrastructures électriques. Oui, la Russie. Plus de 90 milliards de dollars sont prévus pour moderniser le système électrique russe, vieux et à bout de souffle.

Et puis il y a l’Europe. L’histoire se ressemble tellement, pour chacune de ces régions, que ça en devient répétitif. Voilà un extrait d’un article récemment publié dans le Financial Times : "L’Europe est confrontée à la menace grandissante de coupures d’électricité parce que la croissance de la demande a dépassé les investissements en nouvelles centrales électriques". Ca vous rappelle quelque chose ? En Europe, les dépenses pour les infrastructures électriques devraient atteindre les 40 milliards de dollars d’ici 2010.

Ce sont là les plus grands marchés, ceux qui dépenseront les plus grosses sommes. Mais on constate des phénomènes similaires dans de nombreux marchés plus petits au Moyen-Orient, en Afrique et dans les économies émergentes de l’Asie du sud-est (comme le Vietnam).

C’est une tendance gigantesque, qui mettra des années à se développer pleinement. Pour les investisseurs, la marche à suivre est relativement simple. Les entreprises construisant toutes ces infrastructures devraient profiter d’un vigoureux marché haussier ces cinq prochaines années — au moins.

 

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