La Chronique Agora

Un jour d'actions de grâce… mais pour quoi ?

[NDLR : Françoise Garteiser est en transit au-dessus du continent… En attendant son atterrissage, voici un éditorial de Bill Bonner extrait du magazine MoneyWeek.]

▪ Un jour d’actions de grâce… mais pour quoi ?

Il y a une dizaine de jours, les Américains se sont assis sur leurs larges chaises pour un festin national. C’était jour de congé dans les entreprises. Le Congrès US a été ajourné. Pour un jour au moins, les citoyens ont pu avoir la paix. Dans tous les hameaux, ghettos urbains et banlieues moroses, ils se sont rassemblés pour rendre grâce, tête baissée. Mais des actions de grâce pour quoi ? Il y a toujours eu deux aspects à cette fête — l’un sincère et personnel, l’autre prédateur, frauduleux et insensé.

Thanksgiving n’a pas été décrété fête nationale aux Etats-Unis avant 1863. A l’époque, cette fête ne célébrait pas le succès de l’expérience américaine, mais sa mort.

Imaginez une bataille, de nos jours, au cours de laquelle seraient morts 500 000 soldats américains — quasiment autant qu’il y en a eu durant la Première et la Deuxième guerres mondiales combinées. En termes de pourcentage de la population, tel était le nombre de morts durant la bataille de Gettysburg. C’est l’événement que Lincoln choisit de suivre par un jour d’actions de grâces. Mais là encore — pour quoi ?

"… la paix a été préservée avec toutes les nations, l’ordre a été maintenu, les lois ont été respectées et suivies, et l’harmonie a dominé partout sauf sur le théâtre des conflits militaires" [les italiques sont de nous, ndlr.]. [Et nous] "remettons en Sa tendre garde tous ceux qui sont devenus veuves ou orphelins, sont en deuil ou souffrent de la lamentable lutte civile dans laquelle nous sommes inévitablement engagés". Lincoln aurait dû proclamer un jour de deuil. La bataille de Gettysburg et la Guerre civile n’étaient pas de glorieuses réussites, mais bien des désastres nationaux. L’espoir le plus profond des fondateurs des Etats-Unis — que les gens puissent décider par eux-mêmes la sorte de gouvernement qu’ils auraient — est mort sur le champ de bataille. Mais le cap du pays était fixé.

Les Etats-Unis sont peut-être situés dans le Nouveau Monde, mais ils ont l’un des plus vieux gouvernements de la planète. La France, l’Italie, l’Allemagne, l’Inde, la Chine… tous ces pays ont des gouvernements plus neufs et plus frais, jusqu’à 200 ans plus jeunes. Les économies plus neuves ont aussi plus d’énergie et d’argent. Les Etats-Unis frôlent l’épuisement, en comparaison. La Chine et l’Inde courtisent allégrement l’avenir ; l’Amérique semble s’accrocher désespérément au passé. Son armée est disséminée de par le monde, essayant d’empêcher l’apparition de toute vraie nouveauté. A domicile, ses politiciens et ses économistes tentent d’éviter la disparition de tout ce qui est vieux. A grands frais, les banques et les entreprises — de même que les anciens eux-mêmes — sont étayés… soutenus… et portés.

Malgré tout, l’Américain typique a de bonnes raisons d’être reconnaissant. Sa maison est plus grande et plus tape-à-l’oeil que jamais. Sa voiture est un monstre confortable. Il a plus qu’assez à manger. Il a des gadgets et des bidules à ne plus savoir qu’en faire — y compris une machine soufflante qui l’aide à débarrasser son allée goudronnée des feuilles mortes qui y sont tombées. Et derrière lui se trouve encore le gouvernement le plus puissant que le monde ait jamais vu — prêt à protéger ses intérêts vitaux dans l’Hindou Kouch aussi bien qu’à Wall Street.

Il semble tout de même que chacune de ces bénédictions comporte une mèche allumée. Si l’hiver est rude, notre Américain moyen pourrait ne pas réussir à chauffer son palace. Si le prix du carburant grimpe, conduire sa péniche automobile pourrait le ruiner. S’il jette un coup d’oeil à son miroir, la déprime le guette. Notre propre petit sondage nous dit qu’un ménage sur 10 a rendu grâce au gouvernement à l’occasion de Thanksgiving. Ces gens auraient dû y réfléchir à deux fois. Le gouvernement fédéral ne les a-t-il pas tentés d’acheter une maison en leur accordant un crédit d’impôts et en subventionnant les taux hypothécaires ? Ne les a-t-il pas poussés à dépenser en réduisant la valeur du dollar de 97% au cours des 97 dernières années ? Les autorités n’ont-elles pas entravé la moindre tentative de corriger cette surconsommation en rendant le crédit moins cher et en stimulant encore plus la consommation ? Et ne parle-t-on pas là du gouvernement qui a accumulé un "fossé financier" national net de plus de 200 000 milliards de dollars… de sorte que chaque Américain nouveau-né se retrouve avec un fardeau de 700 000 $ de dette avant même que sa première couche n’ait été changée ?

D’un point de vue purement ethnologique, il est fascinant de voir à quel point le pauvre Américain a été mené par le bout du nez, trompé et manipulé. Les étrangers doivent regarder tout cela avec stupéfaction, se demandant combien d’insultes il peut supporter. Et cette année, tête baissée… alors que sa dinde attendait d’être découpée… l’Américain a dû sentir tout le poids de ses bénédictions. Il est sur la paille. Il risque de perdre son emploi. Son pays est en déclin, en route vers la faillite, tandis que ses dirigeants sont des incompétents et des canailles. Parallèlement, la banque centrale américaine n’attend qu’une occasion de commettre un nouvel acte de sabotage — essayant intentionnellement de saper son épargne… son travail… et son niveau de vie. Comme Lincoln, il peut se dire : à part cela… tout va bien.

Meilleures salutations,

Bill Bonner
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