▪ Un empire est-il nostalgique ? Quand les choses commencent à se compliquer, quand ses opérations à l’étranger tournent mal, quand sa « mission » commence à le dépasser… l’inconscient collectif se souvient-il avec mélancolie de l’époque où tout était plus simple, où la suprématie était indiscutable et où l’on n’avait pas besoin de réaffirmer sans cesse — comme pour se convaincre soi-même — son importance dans la pyramide alimentaire mondiale ?
Les Etats-Unis, vacillants, fatigués de porter leur fardeau de dette qu’ils ne savent où poser, regrettent-ils l’ère où, en leaders mondiaux incontestés, ils envoyaient des hommes sur la Lune ? Peut-être qu’ils se souviennent surtout de la Guerre froide de l’époque, de l’assassinat de Kennedy, de Martin Luther King, de Robert Kennedy… et que cela renforce leur conviction qu’ils doivent tenir leur rang — à tout prix.
Comme le disait Bill il y a quelques jours, « un empire ne recule jamais »… même si ça le mène droit à sa perte. En fait, c’est même son destin : l’ascension, la décadence et la chute, comme tout en ce monde.
▪ Et l’Europe, de son côté ? Cet amalgame d’anciens empires déjà passés par de nombreuses vicissitudes ? Sommes-nous vraiment convaincus de notre rang dans le monde ?
Le tissu rapiécé des « 27 » est en train de céder de toutes parts, tiraillé par d’anciens traumatismes et de nouvelles querelles. L’Allemagne semble être au coeur de tous les blocages ; nos voisins d’outre-Rhin ont gardé en tête la République de Weimar, et s’opposent fermement à toute tentative de faire marcher la planche à billets. Ce qui rend fous leurs partenaires, notamment français, qui ont des échéances électorales en vue…
Où est-ce que tout ça va nous mener ? Simone Wapler revenait dans L’Investisseur Or & Matières sur une inquiétante rumeur :
« De La Rue, une entreprise britannique, leader mondial dans l’impression de billets, aurait reçu une commande pour imprimer des ‘nouveaux deutschemarks’ selon une fuite d’un employé, postée sur un forum. Par ailleurs, dans un récent interview au Spiegel, Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, évoque la sortie possible de l’Allemagne de la Zone euro à mots à peine voilés ».
« ‘Nous sommes confrontés à des événements que nous n’avions pas prévus’, commence par dire Wolfgang Schäuble. Puis ‘nous voulons sécuriser notre prospérité à long terme’ après avoir évoqué le problème du vieillissement de la population. Et qui dit population âgée, vivant de rentes, dit population vulnérable à l’inflation.
« Dans cet interview sont ensuite évoquées l’inflation et/ou la guerre comme moyen d’éroder la dette. En final, le Spiegel pose la question d’une réforme monétaire (a monetary reform). Le mot ‘monétaire’ est très important, ce n’est pas ‘fiscal’. Les Allemands sont des gens précis. Il ne s’agit donc pas de mesures budgétaires (faire rentrer des impôts, réduire les dépenses publiques, etc.). Ce à quoi à Wolfgang Schäuble répond : ‘vous avez exactement décrit l’énorme défi historique que nous affrontons’… »
« Je peux me tromper », conclut Simone, « mais il me semble bien que ce Wolfgang Schäuble et l’Allemagne ont une idée derrière la tête : claquer la porte de l’euro si l’impression monétaire — jugée suicidaire pour la prospérité à long terme — est décidée ».
Si c’est effectivement ce qui se passe, il n’aura pas fallu longtemps pour mettre fin au travail et aux idéaux qui ont fondé l’Europe.
Pardonnez cette Chronique un peu amère, cher lecteur : votre correspondante est née l’année où la Grande-Bretagne votait par référendum son maintien dans l’Union, a grandi dans une région qui sait assez ce que coûtent les déchirements entre voisins, et a pu goûter à l’enrichissement et aux libertés que permettent des frontières ouvertes entre nations. Le gâchis actuel, fruit d’années et d’années de démagogie et de mauvaises politiques, me laisse un drôle de goût dans la bouche.
Les empires ne sont pas les seuls à connaître nostalgie et désillusions.